L'ouragan Irma sera-t-il un mal pour un bien pour Saint-Martin ? (2/2)

Paris et Amsterdam veulent coopérer pour reconstruire Saint-Martin ravagée en septembre par l'ouragan Irma, et en assainir les pratiques illégales. Le délégué interministériel à la reconstruction de Saint-Martin estime qu'il existe une "fenêtre de tir" pour repenser le modèle économique et social de Saint-Martin.
Michel Cabirol
(Crédits : POOL New)

Près de cinq mois après le passage de l'ouragan Irma (6 septembre), Saint-Martin panse encore ses plaies. La gestion de la crise est désormais quasi terminée même s'il restait en début d'année un problème d'accès à l'eau courante pour 10% de la population. Mais au-delà de cette crise majeure, la reconstruction de Saint-Martin, tant de la partie française que néerlandaise, offre "une fenêtre de tir" pour "repenser le modèle économique et social" de l'île, estime le délégué interministériel pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin, Philippe Gustin.

"C'est le premier alignement des planètes depuis 370 ans", assure-t-il. Soit depuis la signature du Traité de Concordia le 23 mars 1648 entre Français et Néerlandais avec le départ de la garnison espagnole de Saint-Martin. Pourquoi? Parce que, selon cet ancien ambassadeur en Roumanie, l'ouragan Irma, qui a ravagé l'île de Saint-Martin, peut finalement être un "électrochoc salutaire" et une "chance unique" pour reconstruire à Saint-Martin un modèle économique et social sain avec des règles respectées dans toute l'île. "Cela mérite de tenter ce challenge", martèle-t-il.

Pourquoi cela peut marcher

Quel est cet alignement des astres? La France a beaucoup mis la pression ces derniers mois sur la collectivité de Saint-Martin pour qu'elle fasse respecter l'état de droit. Si au début il y a eu quelques frictions inévitables, le président Daniel Gibbs montre du courage en adoptant de nouvelles règles d'urbanisme pour Saint-Martin et en les faisant appliquer, quitte à démolir des habitations dans des zones à risques. Ce qui n'est jamais facile, et encore plus sur une petite île où tout le monde se connait. Mais est-il normal que la gendarmerie était implantée sur une zone inondable? C'est à ce prix que la France est prête à aider Saint-Martin à se reconstruire.

"On veut des règles et on veut qu'elles soient appliquées, rappelle simplement Philippe Gustin. On souhaite enclencher un système vertueux pour que l'intérêt général puisse en bénéficier". C'est à la collectivité de Saint-Martin de se saisir de cette nouvelle dynamique. En clair, elle devra aussi lutter contre l'économie dissimulée sur laquelle repose une grande partie de l'économie de Saint-Martin. Car, selon Philippe Gustin, la moitié des entreprises saint-martinoises a recours à du travail dissimulé et seulement la moitié des salariés de l'île sont dans les clous de la législation. Il n'est pas non plus rare que des Saint-martinois travaillent "au black" côté néerlandais et touchent des allocations côté français.

Pour parvenir à ses fins, le délégué interministériel peut compter sur une société civile qui émerge des ruines de Saint-Martin. Traumatisée par les conséquences inédites de l'ouragan Irma et, au-delà par les dysfonctionnements majeurs de Saint-Martin, cette société civile est en train de faire évoluer les mentalités à Saint-Martin et entend peser sur les politiques locaux. "Il est important de reconstruire Saint-Martin de manière durable et raisonnée", insiste Philippe Gustin.

C'est d'ailleurs l'objet du protocole du 21 novembre signé entre Matignon et Saint-Martin dont la mise en œuvre a commencé. L'État a effectivement terminé la nouvelle carte des aléas naturels, ce qui a permis à la collectivité de lancer de nouvelles règles en matière d'urbanisme qui devront être respectées. L'État et Saint-Martin ont d'ailleurs prévu de mettre en place une stratégie conjointe de lutte contre les implantations illégales et de déployer une police de l'urbanisme et de la construction avant la fin du mois de mars. Enfin, la collectivité proposera d'ici à fin mars un plan pluriannuel d'investissement et de rattrapage portant sur la période 2018-2023.

Amsterdam prêt à nettoyer "les écuries d'Augias"

Du côté néerlandais, Amsterdam est semble-t-il également au diapason de Paris. Selon Philippe Gustin, "le gouvernement est prêt à travailler aux côtés de la France et nettoyer les écuries d'Augias" à Saint-Martin. Ni plus, ni moins. L'opinion publique néerlandaise a découvert avec effarement lors de cette catastrophe naturelle que Sint Maarten était un territoire où tout semblait permis (drogue, corruption, prostitution...). Ce qui a fait heurté au sein d'un royaume plutôt permissif mais Sint Maarten, qui a toutes les compétences d'un État à l'exception de la défense et des affaires étrangères, a dépassé les limites requises.

En conséquence, Amsterdam a mis la pression sur le gouvernement autonome local en demandant, en contrepartie d'une aide de 550 millions d'euros, qui sera gérée par la Banque mondiale, la création d'une chambre d'intégrité pour lutter contre la corruption et le retour des douaniers néerlandais aux frontières. Un ultimatum qui a fait tomber le gouvernement local. Mais tout va dépendre également du résultat des prochaines élections à Sint Maarten prévues le 26 février.

Un partenariat entre la France et les Pays-Bas

Autre priorité dans les prochains mois, pérenniser la coopération étroite entre la France et les Pays-Bas sur le dossier Saint-Martin. Après la gestion de la crise entre les deux pays, la délégation interministérielle de reconstruction a multiplié les contacts avec la partie néerlandaise. Elle souhaite lancer des actions concrètes dès le début de l'année, sur des projets d'infrastructures communs (hôpital, gestion des déchets, assainissement, réseaux de transports...) et des coopérations policières entre les deux États, notamment en vue de maîtriser les flux migratoires. Un forum quadripartite rassemblant les deux États, la collectivité de Saint-Martin et le gouvernement autonome de Sint Maarten, qui doit se réunir début 2018 à Saint-Martin, définira les priorités de cette coopération.

Amsterdam semble bien disposé à assumer sa part mais beaucoup dépendra des futures élections à Sint Maarten. Depuis que le gouvernement local est tombé il y a deux mois, la situation reste actuellement assez instable. Les autorités craignent d'ailleurs une hausse de la délinquance côté néerlandais. C'est pour cela que les renforts de gendarmerie seront maintenus à Saint-Martin encore un certain temps. Un alignement des astres

Michel Cabirol
Commentaires 5
à écrit le 19/01/2018 à 15:51
Signaler
Une belle opportunité effectivement mais, jusqu'à présent on ne peut pas dire que la France ait brillé dans ses politiques d'aide aux territoires d'outre mer où qu'il se trouvent ! Espérons que joint au pragmatisme néerlandais l'action se révélera pl...

le 19/01/2018 à 23:33
Signaler
Le pragmatisme néerlandais s'apparente plutôt à un laisser-faire ou à une indifférence totale de leurs territoires. La corruption est un problème récurrent à Curaçao et Sint Maarten tout comme la criminalité et la prostitution. De plus, le vivre-ens...

à écrit le 19/01/2018 à 10:09
Signaler
Je rêve ou c'est bien écrit , "avec des règles respectées dans toute l'île et respecter l'état de droit." Un bon début pour appliquer ces bons principes sur le continent ?

le 19/01/2018 à 11:10
Signaler
j'avais cru lire que faute de pouvoir recouvrer l'impôt, ils taxaient tout ce qui arrivait par les ports, une super TVA, là au moins l'argent était collecté.

le 19/01/2018 à 23:38
Signaler
Effectivement, l'octroi de mer est une taxe à l'importation de tous les produits arrivant sur l'île en plus de la TVA. C'est qui finance en partie les collectivités en outre-mer. Le problème lié à l'urbanisme concerne la mise en place relativement ré...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.