La cellule de renseignement Tracfin grossit au gré de l'actualité

La cellule de renseignements financiers, Tracfin, chargée de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, a vu son activité presque tripler depuis 2008. La faute notamment à la crise financière et à la montée du risque terroriste.
Mathias Thépot
Le ministère de l'Economie loge le service de renseignement financier, Tracfin.

A Bercy, ils sont désormais un peu plus d'une centaine d'agents à travailler au sein du plus petit des Services de renseignement français, Tracfin, qui a pour mission de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Rien à voir avec les 5.000 agents de la prestigieuse Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Mais ce n'est pas pour autant que les fonctionnaires Tracfin, qui se focalisent sur une analyse strictement documentaire des flux financiers, restent inactifs, bien au contraire.

Entre 2008 et 2014, le nombre de notes transmises par ce Service à l'autorité judiciaire et aux administrations du renseignement et de la lutte contre la fraude fiscale et sociale a presque triplé, à 1.395 unités. Les effectifs de Tracfin ont pour leur part bondi de 40% sur la même période et vont être amenés à croître encore, afin de répondre aux demandes toujours plus nombreuses : sur la seule année 2014, le nombre de déclarations de soupçons de professionnels assujettis (banques, assurances, notaires, opérateurs de jeux en ligne etc...) portant sur des sommes douteuses auprès de Tracfin a crû de 34%.

Pourquoi une telle croissance ?

Comment se fait-il que ce Service qui existe depuis 1990 ait connu une telle croissance lors des six dernières années ? Il y a d'abord eu la transposition en 2009 en droit français de la troisième directive européenne anti-blanchiment qui a mécaniquement fait augmenter les missions de Tracfin. Concrètement à partir de ce moment, le Service de renseignement financier a pu transmettre ses notes à l'administration fiscale.

D'ailleurs depuis 2009, "la croissance de notre activité provient des transmissions de notes aux administrations (de renseignement et de lutte contre la fraude fiscale et sociale)", explique son directeur Jean-Baptiste Carpentier, qui ajoute que son Service se concentre sur les "dossiers à forts enjeux".

Les conséquences de la crise financière de 2008-2009 a aussi participé a tiré l'activité de Tracfin. Car le contexte a vu croître les "pratiques frauduleuses et les tentatives d'ingérence de la criminalité organisée dans le secteur bancaire, mais aussi dans l'économie légale", expliquait déjà le Service dans un rapport publié en 2013. Des entreprises peinent à trouver des modes de financement, notamment à court terme, et, étant en grande difficulté, elles sombrent parfois dans l'usage de moyens frauduleux pour se procurer des fonds.

Le risque terroriste

Et enfin, de manière plus récente, la montée du risque terroriste a complètement révolutionné les pratiques de Tracfin. Depuis les attentats de janvier dernier, l'activité de sa cellule de lutte contre le financement du terrorisme a ainsi doublé ! Déjà en 2014, 3.000 personnes ont été suivies par cette cellule, et 231 dossiers traités, soit une hausse de 15% par rapport à 2013. A l'issue de ses investigations, Tracfin a effectué 78 transmissions : 67 aux services de renseignement, 1 aux services de police judiciaire et 10 à l'autorité judiciaire. Il faut par ailleurs savoir qu'en matière de terrorisme, Tracfin travaille en fait en général "en sous-traitance d'un autre service" de renseignement, détaille Jean-Baptiste Carpentier.

Au-delà de la forte croissance de cette activité, le Service a dû s'adapter à l'émergence de l'Etat Islamique dont les ressources "se chiffrent en millions de dollars", rappelle Jean-Baptiste Carpentier, et qui est en situation de financer le terrorisme, même si "la chute des prix du pétrole a tout de même affaibli ses ressources", ajoute-t-il.

Tracfin porte donc une vigilance toute particulière aux opérations financières susceptibles de financer le mouvement terroriste. Le trafic des antiquités pillées sur des sites proche-orientaux et revendu sur les places européennes et asiatiques est notamment scruté de près. Tracfin a d'ailleurs sensibilisé les sociétés de ventes à ce risque.

Réguler les nouveaux moyens de paiement

A une plus petite échelle, sa cellule de lutte contre le terrorisme se penche sur l'organisation financière des candidats au jihad ou à des actions terroristes en France, qui porte sur des sommes "beaucoup plus restreintes", explique Jean-Baptiste Carpentier.
L'intérêt de ses investigations est davantage de mettre en évidence les liens entre plusieurs personnes susceptibles de se livrer à des activités terroristes.

Pour faciliter la tâche de la cellule de renseignement financier, plusieurs mesures gouvernementales ont été, ou sont sur le point, d'être prises. L'article 9 du projet de loi sur le renseignement prévoit par exemple de modifier "le code monétaire et financier pour permettre à Tracfin de recueillir auprès des entreprises de transport ou des opérateurs de voyage et de séjour des données identifiant leurs clients ou concernant les prestations qu'ils leur ont fournies".

En parallèle, le ministre de l'Économie Michel Sapin a annoncé récemment que les paiements de plus de 1.000 euros en espèce seront interdits dès le 1er septembre 2015. A partir du 1er janvier 2016, les bureaux de change devront pour leur part réclamer une pièce d'identité lorsqu'une personne souhaitera échanger plus de 1.000 euros de devises.

Il sera ensuite temps de s'atteler à règlementer de manière plus stricte les nouveaux moyens de paiement, difficilement traçables, comme les cartes prépayées, les services de transfert d'argent de type Western Union ou MoneyGram, mais aussi l'utilisation des monnaies électroniques et des devises virtuelles.

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Mathias Thépot
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