"Les courants d'affaires entre Tahiti et la Métropole pourraient être plus fréquents"

Dans un entretien accordé à La Tribune, Teva Rohfritsch, le ministre de la Relance économique et de l'Economie bleue dresse les perspectives de l'économie polynésienne. Lancé au printemps, le plan de relance devrait permettre de consolider la reprise. La priorité est en partie accordée à l'économie bleue.
"Les courants d'affaires entre Tahiti et la Métropole pourraient être plus réguliers, plus fréquents. Le secteur de la pêche est de ce point de vue intéressant. En Métropole, il connait des difficultés liées notamment à la mise en place de quotas. Les industriels, les capitaines devraient venir investir en Polynésie française mais ils en n'ont pas encore eu l'idée", déclare Teva Rohfritsch.

La Tribune - Quelle est la situation de l'économie polynésienne ?

Teva Rohfritsch - La reprise de l'activité est là, encore un peu timide mais réelle et les indicateurs de l'Institut d'Outre-mer le confirment. Le PIB a progressé de 1,1% en 2015. Il devrait augmenter d'au moins 1,5% encore cette année. L'activité sera encore plus soutenue en 2017.

Pour quelles raisons l'économie était-elle en crise ?

Nous avons beau être éloignés de la Métropole et des grandes zones économiques, nous ne sommes pas à l'abri de leurs soubresauts. Le secteur du tourisme a souffert consécutivement à la crise mondiale de 2008-2009. Ce secteur avait déjà pâti de la flambée des cours du brut. A ces deux chocs, s'ajoutent deux autres phénomènes tout autant impactant : la chute des cours de la perle noire de Tahiti, le deuxième secteur le plus important de l'économie polynésienne, et les effets encore perceptibles de la fin du Centre d'expérimentation du Pacifique qui a fermé ses portes en 1996.

La fin des essais nucléaires aurait pesé sur l'activité ?

Avec le départ des chercheurs et des militaires, c'est toute notre économie insulaire qui a été désorganisée. Le commerce a souffert, l'industrie et les services également. Toute la chaîne de sous-traitance a vu son activité chuter de manière importante en quelques mois.

Quels sont les piliers de la reprise en cours ?

En 2013 et 2014, les finances publiques étant dans le rouge, nous avons dû réduire la dépense publique et relever la pression fiscale. Cette politique a produit ses effets puisque nous sommes passés d'une situation de déficit des comptes publics à une situation excédentaire. De fait, nous avons pu relancer l'économie grâce à une relance keynésienne classique.

Plus précisément ?

Le gouvernement a investi dans les travaux publics, et notamment dans la réfection des routes. Nous avons également relancé le logement social, où les besoins sont importants. Conséquence directe de l'instabilité politique qui frappe le Pays depuis 2004, le logement social était en panne. Au cours de cette période, seule une dizaine de logements sortait de terre chaque année, contre 400 au cours des belles années. Nous avons aujourd'hui retrouvé ce rythme.

Quel est le coût de cette politique ?

Il s'élève à 8 milliards de francs pacifique (CFP), soit un peu plus de 66 millions d'euros. Ce montant est à mettre en rapport avec notre budget de fonctionnement qui s'élève à 125 milliards de CFP (1 milliard d'euros). Cet effort public n'est peut-être pas original mais il a le mérite d'avoir un effet de levier important et rapide sur l'activité du secteur privé, ce qui permet de relancer l'emploi.

En tant que Ministre de la Relance économique, vous êtes également à l'initiative d'un Plan de relance. Quelle est sa philosophie ?

Le gouvernement, le Pays ne peuvent pas tout. C'était le cas auparavant, mais ce temps est révolu. L'idée transversale de ce plan est d'améliorer l'environnement fiscal, réglementaire pour libérer les énergies dans le secteur privé.

Quelles sont les mesures contenues dans ce plan ?

Elles sont nombreuses, notamment pour relancer la consommation des ménages. Selon nos estimations, 20 milliards de CFP sont placés sur des comptes d'épargne. Nous souhaitons qu'ils irriguent l'économie. Pour atteindre cet objectif, nous avons lancé une prime à la casse pour les achats de voitures électriques. Pour relancer le secteur immobilier, nous allégeons l'impôt sur le foncier pour les constructions qui sortiront de terre avant fin 2017 et nous baissons le montant des droits d'enregistrement. Nous venons également soutenir les ménages dans le financement de l'acquisition ou la construction de leur résidence principale.

Ce plan contient-il des mesures pour relancer l'emploi ?

Nous avons une politique d'emplois aidés très offensive. Avec le Contrat d'aide à l'emploi (CAE) qui offre une indemnisation aux entreprises, aux associations qui embauchent un demandeur d'emploi, nous résorbons le chômage qui frappe environ 25% de la population active, tout en améliorant l'employabilité de nos concitoyens. Cette stratégie de contrat aidé n'est pas nouvelle. Je rappelle qu'il n'y a pas d'assurance chômage en Polynésie française. Nous n'en avons pas les moyens. Il y a trente ans, nous avons fait le choix d'offrir une couverture santé de qualité à nos concitoyens plutôt que de mettre en place une assurance chômage. Ce choix n'est pas remis en question pour l'instant.

La Polynésie française s'étend sur 5 millions de kilomètres carrés. Que faites-vous pour développer l'économie bleue ?

Il était temps que ce thème soit une priorité... Sachez que l'on recense 250 quais, ports ou débarcadaires en Polynésie française et 48 aéroports ! Pour développer enfin l'économie bleue, nous avons de nombreux projets. Nous souhaitons agrandir le port de Papeete à l'est pour créer une plate-forme industrielle et de services internationaux pour les flottilles qui pêchent en dehors de nos côtes. Des activités d'avitaillement, de ravitaillement, de transbordement, de réparation, de transformation dans l'agroalimentaire pourront y être développées. Dans le domaine de l'aquaculture, des projets sont également en cours de réalisation tant sur l'île de Tahiti que dans l'archipel des Tuamotu. Prenez l'atoll de Hao, un investisseur chinois, Monsieur Wang Cheng, prévoit le lancement d'une ferme aquacole de poissons de lagon de 32 hectares en 2018. Ce devrait être une première étape avant le lancement d'autres fermes dans d'autres atolls.

Mais Hao n'était-il pas au centre des expériences nucléaires du CEP ?

Il n'y avait qu'une base vie sur cet atoll. Il n'y a pas eu d'essais. L'atoll et son lagon ne sont pas contaminés. Par ailleurs, cet investisseur a pris des engagements forts pour que ce projet réponde à des critères d'excellence environnementale très élevés.

Et le secteur de la pêche ?

Nous avons un plan d'action très ambitieux. Nous voulons faire passer de 6.000 à 13.000 le nombre de tonnes de poissons pêchés. Pour atteindre cet objectif, il faut relancer l'industrie de construction de bateaux qui était active à l'époque du CEP. Les entreprises locales qui travaillaient pour les grands groupes comme DCN, aujourd'hui DCNS ont un savoir-faire sur lequel nous pouvons capitaliser.

Ce projet est en passe d'être lancé ?

Pour stimuler les investissements, nous jouons la carte de la défiscalisation. Nous devons donc obtenir l'agrément de Bercy. Mais force est de constater que les agréments nationaux sont de plus en plus difficiles à obtenir. La présentation de notre schéma directeur début 2017 devrait débloquer la situation.

Les liens économiques avec la Métropole sont-ils importants ?

Les courants d'affaires entre Tahiti et la Métropole pourraient être plus réguliers, plus fréquents. Le secteur de la pêche est de ce point de vue intéressant. En Métropole, il connait des difficultés liées notamment à la mise en place de quotas. Les industriels, les capitaines devraient venir investir en Polynésie française mais ils en n'ont pas encore eu l'idée.

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