Mayotte (3/4) : l'île peut-elle miser sur le tourisme ?

La métropole aurait-elle négligé le potentiel de développement de son 101ème département, situé au nord du canal du Mozambique, dans l'océan indien ? Le tourisme ne représente que 2 et 4% du PIB de l'île, mais les professionnels insulaires misent sur son développement dans les années à venir. Pour autant, il n'est pas question de sacrifier le patrimoine naturel sur l'autel du tourisme de masse. Troisième volet d'une série de quatre textes sur Mayotte.
Sarah Belhadi
Mayotte, le 101è département français, travaille actuellement sur son dossier de candidature pour faire inscrire son lagon -l'un des plus grands du monde- au patrimoine mondial de l'Unesco.

Des années durant, le parfumeur Guerlain a exploité plusieurs hectares d'ylang-ylang, ces arbres cultivés pour l'essence de leurs fleurs, à Mayotte. Aujourd'hui, il a délocalisé sa production dans les îles voisines des Comores et à Madagascar, en raison d'un coût de la main d'oeuvre moins chère. Pendant longtemps, l'ylang-ylang a pourtant fait la gloire de l'île. L'essence d'ylang-ylang, principal produit d'exportation, représentait encore à elle seule près de 90% des recettes d'exportations de Mayotte en 1999. Aujourd'hui, elles sont inexistantes. Certes, les plantations, qui appartiennent désormais à un riche entrepreneur peuvent encore se visiter. Mais du sceau du parfumeur, il ne reste plus grand chose. Peu importe, l'île n'a pas besoin d'une essence en guise d'ambassadeur. Elle tourne désormais son regard du côté de son lagon.

Il se rêve déjà inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, parmi les joyaux de l'humanité. Avec sa double barrière de corail, le lagon de Mayotte de 1550 km2 est l'un des plus grands du monde. Cette rareté lui permettra peut-être d'intégrer le club très select des sites, à la "valeur universelle exceptionnelle", selon l'expression consacrée.

Depuis 1972, plus d'un millier de sites ont été distingués à travers le monde par l'institution onusienne. Pour le moment, l'île peaufine sa candidature. "La première étape consiste à inscrire le bien dans une liste indicative qui sera remise fin 2016 et ensuite il faut démontrer le caractère exceptionnel du patrimoine", résume Chamssidine Houlam, chef de projet au conseil départemental, qui planche actuellement sur ce projet avec une dizaine de personnes. "Le label pourrait faire décoller le tourisme", assure-t-elle. Mais pas seulement, c'est aussi l'assurance de préserver ce riche patrimoine "qu'on veut transmettre à nos enfants", poursuit Chamssidine Houlam. Si tout se passe bien, Mayotte devra néanmoins attendre 2017 pour obtenir le précieux sésame.

Le tourisme vert, avenir de l'île

Mais il faut se garder de sous-estimer la population mahoraise. Elle n'a pas attendu l'Unesco et son consortium d'experts pour prendre conscience de ses atouts. En 1999, un couple d'enseignants, expatriés ici, veut faire découvrir les richesses naturelles de l"île. 16 ans plus tard, l'association des Naturalistes de Mayotte s'est institutionnalisée : elle compte 14 salariés, 800 adhérents, et 3674 participants aux activités en 2014. Expatriés, touristes, locaux, sillonnent les quatre coins de l'île à la découverte de ce patrimoine. En randonnée. Ou en bivouac. Même les plus jeunes, collégiens et lycéens veulent sensibiliser la population.

Car en plus de la découverte du patrimoine naturel, l'association cherche aussi à protéger les espèces rares de l'île. "C'est l'occasion de sensibiliser les habitants à la préservation des tortues géantes par exemple", explique Sarah Mosnier, en charge de la communication des Naturalistes. Une préservation de plus en plus précaire... A l'instar de ces tortues devenues la cible des braconneurs de l'île. En 2014, le REMMAT (Réseau d'échouage mahorais de mammifères marins et de tortues marines), qui lutte contre ce fléau, a recensé 262 cas de braconnages de tortues marines.

Par ses initiatives, l'association met en place un tourisme écologique et responsable : valorisation du patrimoine naturel, prise de conscience des populations de la nécessité de préserver leur environnement et développement d'emplois locaux. "L'écotourisme est une piste sérieuse. Il y a des possibilités de développement au  niveau régional, avec le Canal du Mozambique (le bras de mer qui sépare Madagascar du Mozambique)", assure de son côté Chamssidine Houlam.

Mayotte, une carte postale de façade ?

Pour autant, l'île est encore loin de ses objectifs."Ce qui pose problème c'est le savoir-faire et la capacité de financement. Pour faire du tourisme, il faut que l'île soit propre et les gens accueillants", analyse de son côté Houlam Chamssidine, également vice-présidente de l'association des Naturalistes. "Pour l'instant, les gens ne voient pas ce qu'ils peuvent en tirer... mais les jeunes interpellent souvent leurs aînés".

L'île doit aussi faire face à l'insécurité. Le 4 août, dans la soirée, la compagne d'un fonctionnaire de police de l'air et des frontières a été aspergée d'un liquide inflammable alors qu'elle promenait son chien dans Dzaoudzi. Las de l'insécurité galopante, le Gemtour, le Groupement des Entreprises Mahoraises du tourisme, créé en 2014, et qui regroupe une quarantaine d'entreprises, a pourtant adressé une lettre ouverte au Préfet en avril. Ils demandent alors une réponse concrète... Mais à l'époque, le principal intéressé fait savoir qu'il ne répond pas aux lettres ouvertes. Un rendez-vous est prévu le 21 septembre pour aborder la question. "A Mayotte, les touristes qui viennent, on leur dit de rester chez eux à partir de 18h", lâche Romain Chavanis, le secrétaire général du Gemtour, expatrié à Mayotte depuis 2010. Et si l'île jouit d'un patrimoine d'exception, les professionnels déplorent toujours la saleté des lieux. Dans un sondage réalisé en juillet, 90% des habitants de l'île la juge sale. Plages, routes, communes. Et, les poubelles entassées à l'entrée de Mamoudzou sont encore trop souvent l'accueil réservé aux touristes, en guise de colliers de fleurs, mais aussi le quotidien des habitants.

Une offre hôtelière insuffisante

 A ces difficultés, il faut y ajouter le nombre insuffisant de structures d'accueil pour les vacanciers. On compte à peine 1000 lits. "Il en manque 4000 lits sur l'île", renchérit le secrétaire général du Gemtour, qui souhaite développer le tourisme insulaire et améliorer les conditions d'accueil. "On entend parler de projets mais ils ne voient jamais le jour", déplore-il. Ainsi, le projet de bungalows cing étoiles, imaginé par Hilton et qui devait voir le jour dans la commune de Bandrélé, au sud de l'île, est toujours en attente...

L'autre point noir à Mayotte, c'est la formation du personnel, très en dessous des exigences nécessaires à un développement prospère, et un service de qualité. "Dans le meilleur hôtel de l'île, on ne parle pas anglais", constate Romain Chavanis. Le Gemtour plaide pour la création de sections adaptées dans les lycées de l'île. Pour l'instant, Mayotte n'en compte qu'une seule. "On nous a proposé la création de nouveaux lycées, on pense que c'est idiot. Il faut créer des sections dans des établissements déjà existants", déplore-t-il.

150.000 touristes en 2025 ?

Pour l'instant, l'île parvient à satisfaire la demande. Les touristes "affinitaires" -qui viennent rendre visite à leurs proches- sont encore majoritaires (55% des visiteurs en 2013, selon l'Insee). "Durant leur séjour, les deux tiers des touristes sont hébergés chez des proches, famille, amis ou relations", analysait l'Insee il y a deux ans. Mais jusqu'à quand ?

Depuis trois ou quatre ans, Mayotte peut aussi compter sur le développement d'un tourisme régional. Avec la multiplication des attaques de requins sur les côtes réunionnaises, les habitants se réfugient ici, à 1500 km de leur île, pour profiter d'un lagon encore protégé. En matière de tourisme, le malheur des uns, fait les affaires des autres.

Si les professionnels se fixent un objectif de développement du tourisme estimé à 150.000 visiteurs en 2025 contre environ 50.000 à l'heure actuelle, il n'est pas question de devenir un site destiné à un tourisme de masse, avec des clubs vacances en toile de fond. "On n'a pas envie de devenir la Guadeloupe, on ne veut pas de grands hôtels. On plaide pour un tourisme écologique", assène Romain Chavanis.

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[Série d'été en 4 épisodes]

1/4 : Mayotte, la France au bout du monde

2/4 : Mayotte : comment rallier ce bout du monde français

Prochain épisode: lundi 24 août sur latribune.fr

Sarah Belhadi
Commentaires 9
à écrit le 21/08/2015 à 17:32
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C'est qui les expatriés? Ils ne sont pas Français?

à écrit le 21/08/2015 à 15:10
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Mayotte mais il faut en partir vite! pourquoi n'a t'on pas interrogé les Français sur ce sujet ? seuls les Mahorais ont donne leur avis; La seule chose qui les intéresse c'est : le RSA et les diverses allocations ! Cette ile est dangereuse pour l...

à écrit le 18/08/2015 à 19:05
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50 000 touristes - 53% d'affinitaires c'est donc actuellement 25 000 touristes qui viennent pour l'île. Pour passer à 125 000, il faut donc multiplier par 6 la fréquentation actuelle en 10 ans.... 125 000 touristes qui vont rester 1 semaine c'est p...

à écrit le 18/08/2015 à 15:03
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Mayotte ? on parle bien de cette île occupée illégalement par la France après le référendum d'autodétermination des Comores ? occupation pour laquelle la France a été condamnée par l'ONU ?

le 19/08/2015 à 7:14
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Je crois que L'ONU ne condamne plus depuis le resultat du referendum ou 93% des habitant de Mayotte ont vote pour devenir le 101eme departement francais.

le 21/08/2015 à 16:10
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heu, l'article parle bien "d'expatriés" comme Romain Chavanis. Donc on ne doit pas être en France...

à écrit le 18/08/2015 à 14:15
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L'île peut surtout compter sur les élus (et sur les impôts que l'on va nous extorquer, une fois de plus) !

à écrit le 18/08/2015 à 14:07
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Les touristes ont-ils vraiment envie de venir voir sur place les effets d'une immigration incontrôlée qui viendra mendier dans les plages et hôtels !

à écrit le 18/08/2015 à 12:56
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Votre article est intéressant et approfondi mais il manque un point primordial. Le manque d accès aérien de l'ile

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