Mayotte, la France au bout du monde (1/4)

Le 101e département français, niché dans l'océan Indien à plus de 8.000 kilomètres de la métropole, cherche à tirer profit de sa situation géographique pour se développer. Pourtant, avec un système éducatif à la traîne, un chômage galopant et des restes de colonialisme, le parcours semble sinueux. Mais les pistes pour doper l'économie insulaire se dessinent peu à peu.
Sarah Belhadi
Avec 50.500 visiteurs, la fréquentation touristique a reculé de 4% en 2014, après une forte hausse de 14% en 2013, d'après les données de l'Insee-CDTM sur les flux touristiques à Mayotte. Sur la photo, l'ilot Choazil, au nord de Mayotte.

C'est en jetant un coup d'œil à travers le hublot de l'avion que l'on découvre l'île de Mayotte, encerclée par une double barrière de corail. Cachée du reste du monde, au milieu du canal du Mozambique dans l'océan indien, l'île fait partie de l'archipel des Comores. Elle n'est pourtant pas tout à fait comme les autres terres voisines. C'est un morceau de France de 374km2 au  beau milieu de l'Afrique. Une France lointaine : plus de 8000 kilomètres séparent Paris de Mamoudzou, la capitale de l'île. Au premier abord, c'est un décor de carte postale. Les fins connaisseurs diront qu'elle est encore sauvage, préservée, discrète.

La rancœur historique

Pourtant, cette sérénité n'est qu'une apparence. L'île, au milieu du canal du Mozambique, est marquée par une histoire tumultueuse, qui commence en 1841. Mayotte appartient alors à un monarque malgache, du nom de Andriantsoly. A coups de pressions et de menaces, l'île est cédée à la Marine française qui souhaite avoir une position stratégique, en plein cœur de l'océan indien.

Officiellement, Mayotte a choisi de rester française en 1974, après consultation par référendum, alors que les autres îles de l'archipel, La Grande Comore, Mohéli et Anjouan choisissent l'indépendance. "En réalité, Mayotte n'a rien décidé du tout. Depuis toujours, les gens prennent la consultation du 22 décembre 1974 pour un référendum. Mais il s'agit juste d'une consultation. Il n'a pas été demandé aux Comoriens des quatre îles de décider de leur sort, encore moins aux habitants d'une seule île. On leur a demandé un avis", nuance Mahmoud Ibrahime, professeur d'histoire et spécialiste des Comores.

L'Histoire de l'île est donc marquée par la colonisation, et une défiance que l'on ressent encore aujourd'hui entre les populations. La Martinique a ses "békés", Mayotte ses "Wazungu". La plaie saigne encore. Et le développement de l'île est à la traîne.

"L'île de Mayotte, comme les trois autres îles de l'archipel a du potentiel dans plusieurs domaines comme le tourisme, mais aussi avec le port de Longoni. A condition qu'on l'on cesse de tromper les jeunes, de leur faire croire qu'ils auraient plus d'affinités avec des Réunionnais, des Malgaches ou même des Français qui vivent à 10.000 km", analyse Mahmoud Ibrahime, originaire de la Grande Comore, une des quatre îles de l'archipel des Comores. Pour certains, le développement régional serait la clé de la réussite.

La mauvaise éducation

Que l'île tourne son regard du côté de ses voisines ou de la France, elle ne peut fermer les yeux sur les problèmes structurels qui affectent son développement. Le retard dans l'éducation est le premier. En 2012, une enquête de l'Insee révèle que un habitant sur trois n'a jamais été scolarisé, contre moins de 2% dans l'Hexagone. Chez les moins de 30 ans, c'est un jeune sur cinq. Il y a trois ans, l'étude notait que "le niveau scolaire des jeunes reste également très faible : 56 % des jeunes de 15 à 29 ans qui ont achevé leur scolarité n'ont obtenu aucun diplôme qualifiant (19 % en France métropolitaine)". De plus, Mayotte détient le record d'inactivité des DOM. "Les inactifs représentent 54 % de la population des 15 à 64 ans, alors que leur part n'atteint jamais 50 % dans les autres DOM et se situe à 28 % en métropole", note l'Insee.

Selon l'enquête emploi conduite par l'Insee, le taux de chômage en 2014 s'établit à 19,6 % de la population active, en augmentation de 0,6 point par rapport à 2013. Mayotte compte 10 500 chômeurs, soit 1 100 de plus qu'en 2013.

L'île pourrait se targuer d'être le département le plus jeune de France. En 2012, l'Insee révélait que la moitié de la population mahoraise, qui compte un peu plus de 210.000 habitants avait moins de 17 ans et demi, contre 39 en métropole. Mais il n'est pas sur que cette donnée démographique soit synonyme de dynamisme.

Mayotte, cet eldorado pour les Comoriens

Mayotte est aussi un eldorado pour les îles voisines comoriennes. Ainsi elle compterait environ 50.000 clandestins. D'autres estimations avancent le chiffre de 60.000.Un telle situation créé des tensions communautaires parfois violentes dans certains villages. Parmi eux, on compte près de 3000 mineurs isolés étrangers, "dont 300 sans référent légal, vivent durablement sur l'île", note Jacques Toubon, le Défenseur des droits.

En mai dernier, il a d'ailleurs demandé à ce que les fonds d'aide européens (une enveloppe de 340 millions d'euros sur la période 2014-2020) soient attribués en priorité à la protection et au suivi de ces mineurs. Cette enveloppe d'aide a été allouée en 2014 quand Mayotte est devenue la neuvième région ultrapériphérique de l'Union Européenne. Ces fonds doivent permettre le développement socio-économique.

Le va-et-vient des fonctionnaires

L'économie de l'île est très largement fondée sur le tertiaire, et concentre 83% des emplois. Le chiffre est même porté à 95% pour les emplois occupés par les femmes. "Plus d'une personne occupant un emploi sur deux travaille dans un établissement administratif, d'enseignement, de santé ou d'action sociale. Ce secteur recouvre pour l'essentiel de l'emploi public", note l'Insee en février 2014.

Mais Mayotte peut-elle uniquement construire une économie pérenne sur le tertiaire et sur ses fonctionnaires, souvent de passage pour 2 ans ? Pour certains métropolitains, la tentation de l'île est grande. Et les avantages sont nombreux...

Les fonctionnaires d'Etat ou de la fonction publique hospitalière, comme dans tous les Dom, perçoivent une majoration de leur traitement de salaire et des indemnités pour leur installation (l'indemnité de sujétion géographique à partir de janvier 2017). Des primes qui visent à accroître l'attractivité de ces territoires éloignés. Mais les administrations en pâtissent. Car, ces personnels restent rarement pour une longue durée. Chaque départ ou nouvelle arrivée perturbe l'organisation. Tous les 2 ans ou les 4 ans, ces va-et-vient ont nécessairement un impact, qui condamne l'île à un fonctionnement court-termiste.

Miser sur l'innovation ?

Les possibilités de développer l'emploi privé sur l'île existent. Mayotte jouit d'un des plus beaux patrimoines naturels au monde qui fait le bonheur des amateurs de plongée. Ou des randonneurs. Mais les structures d'accueil sont encore limitées. Pour exemple, on ne compte que 6 hôtels étoilés, répondant ainsi à des critères de confort, de qualité, d'hygiène, d'environnement. Et les formations en hôtellerie-restauration sont encore rares.

Outre le tourisme, l'île pourrait aussi miser sur le développement du numérique. Et l'idée germe peu à peu. La WecCup, une association réunionnaise créée en 2009 pour promouvoir le numérique, met aux défis des jeunes pousses des îles de l'océan Indien de réaliser un site Internet en 24 heures. Et si la croissance d'un des plus petits départements de France reposait sur Internet ?

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[Série d'été en 4 épisodes]

1/4 : Mayotte, la France au bout du monde

2/4 : Mayotte : comment rallier ce bout du monde français

Prochain épisode: lundi 17 août sur latribune.fr

Sarah Belhadi
Commentaires 3
à écrit le 25/08/2015 à 3:45
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Organisez un vrai referendum et je parierai que les habitants vont vouloir rester francais.

à écrit le 04/08/2015 à 16:33
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Le genre de caillou qui nous coûte très cher...

à écrit le 04/08/2015 à 15:11
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Mayotte,la "FRANCE " !!! Ah bon ,si vous le dites !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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