Tourisme médical : comment la France peut rattraper son retard

La France a bien du mal à se faire connaître sur le nouveau marché du tourisme médical. Malgré des hôpitaux suréquipés et des professeurs reconnus dans le monde entier, l'accueil de patients étrangers, souvent fortunés, reste une pratique peu développée, sauf dans certains établissements privés.

Depuis ce printemps, une nouvelle marque d'excellence française est née : French Healthcare. Destinée à promouvoir les industries de santé, comme celle des hôpitaux et des cliniques, le label espère les aider à sortir de l'ombre. Car si les dispositifs médicaux français ont bonne presse, l'Hexagone est hors circuit en matière de soins aux patients étrangers, dit « tourisme médical ». Loin des destinations phares que sont la Turquie, la Thaïlande, Singapour, mais aussi la Suisse, l'Allemagne et l'Espagne, la France a bien du mal à faire connaître son système de santé. Au-delà des pays francophones d'Afrique et du croissant Maroc-Algérie-Tunisie, les patients étrangers y pensent rarement. Et c'est bien dommage, sur un marché mondial de plus de 60 milliards de dollars qui devrait augmenter de 25% par an au cours de la prochaine décennie (selon Visa et Oxford Economics).

On l'entend régulièrement depuis cinq ans, le tourisme médical est en pleine croissance. Entre 2007 et 2012, le nombre de personnes traversant les frontières pour se faire soigner serait passé de 7,5 millions à 16 millions par an.

Et pour la première fois cette année, le grand salon du tourisme de Berlin ITB a ouvert une partie de ses espaces aux offres de tourisme médical. Avec une population mondiale qui vit plus longtemps, les maladies chroniques et des cancers dopent le phénomène.

Un potentiel inexploité

De plus, grâce à Internet, les patients ont accès à toutes les informations sur les thérapies innovantes et les offres médicales dans le monde entier.

« Les classes moyennes se développent dans les pays émergents, avec des foyers qui ont désormais les moyens de se faire bien soigner, observe Patrick Biecheler, associé chargé du pôle Industrie pharmaceutique & Santé du cabinet Roland Berger. Comme les infrastructures de ces pays n'ont pas évolué aussi vite que les revenus, elles ne sont pas encore suffisantes en termes d'offre de soins et d'expertise. On trouve ces situations en Asie, en Amérique du Sud et dans les pays du Golfe. »

Les nouvelles technologies ont aussi accentué cette migration médicale. Elles favorisent les premiers contacts, et les téléconsultations permettent d'établir des diagnostics pour envisager le protocole de soins. Suivant les pays d'origine, les motivations sont diverses : du simple accès à une médecine moderne jusqu'à la recherche des meilleurs spécialistes, en passant par le prix des soins.

Et face à cette demande, un véritable medical business est né. Soins esthétiques à prix accessibles en Thaïlande ou en Malaisie, soins dentaires en Hongrie, médecine de reproduction en Espagne ou séjours touristiques comprenant une journée bilan médical, les formules sont variées. Par exemple, les deux cliniques ophtalmologiques WorldEye présentes en Turquie et en Allemagne travaillent avec des agences de voyages. Elles affirment recevoir tous les ans 50.000 patients étrangers venus de 107 pays, soit bien plus que le flux de vers la France où l'on évoque 6 000 nouveaux visas temporaires pour soin sollicités par an et quelque 20.000 renouvellements.

Car sur ce marché, la France est en retard. Malgré une compétence médicale reconnue auprès de l'OMS, elle n'est pas une destination thérapeutique très prisée. En 2014, Laurent Fabius avait commandé un rapport à l'économiste Jean de Kervasdoué pour chiffrer l'accueil de patients étrangers dans l'optique de développer ce type de tourisme dans l'hexagone.

Et le constat était décevant, puisque selon l'économiste, « quand l'Allemagne en était à 2 milliards d'euros générés par des patients étrangers payants, la France était à 120 millions ».

Dans le palmarès des meilleurs établissements de santé du monde, établi chaque année par l'organisme de certification du tourisme médical MTQUA (situé à Bangkok), aucun hôpital ou clinique français n'a jamais été classé. C'est bien ce que souligne sa présidente Julie Munro :

« La France est en retard pour le développement des meilleures pratiques de soins et en matière de normes essentielles pour certifier la qualité des séjours des patients étrangers. »

Pour expliquer ce retard, les raisons ne manquent pas. D'une part, les partenaires évoquent le problème linguistique. La France souffre aussi d'un manque de label de qualité identifiable, ce qui pourrait s'améliorer avec le développement de la marque French Healthcare. Autre point faible, le service hôtelier de la plupart des établissements, très en dessous des standards exigés, avec peu de chambres individuelles, une mauvaise qualité des repas, pas de conciergerie... Payant eux-mêmes leurs soins ou par l'intermédiaire de leur assurance maladie, les patients étrangers sont aussi des clients. Ils sont loin de chez eux et ont besoin de services particuliers pour faciliter leur séjour. Or sur ce point, le caractère universel de notre système de santé cadre mal avec la création d'une « classe affaire » pour ce type de patients. À chaque évocation du sujet, les inquiétudes sont vives, et les syndicats évoquent un système de soin à deux vitesses. On se souvient de l'émoi provoqué par la privatisation d'un étage de l'hôpital AmbroiseParé de Boulogne-Billancourt pour recevoir un riche émir en mai 2014.

Après le rapport Kervasdoué, le secteur médical commence à prendre conscience du potentiel de ce medical business en période de contrainte budgétaire. Si les cliniques privées y sont déjà sensibles, elles n'enregistrent pas beaucoup de demandes, faute d'être bien identifiées sur la scène internationale. Davantage connus par la réputation de leurs professeurs et la qualité de leurs infrastructures, les CHU seraient mieux placés pour attirer des patients étrangers et fortunés à la recherche des meilleurs soins. Mais l'ouverture à ce type d'activité reste discrète et même si les hôpitaux de Paris ont listé à l'intention des étrangers des parcours de soins à prix forfaitaire pour une centaine de maladies, cette activité concerne sans doute moins de 1% des patients.

Le service doit s'adapter

L'hôpital européen Georges-Pompidou a bien commencé à développer un service dédié et des formations spécifiques pour ses soignants, mais cette diversification est encore un sujet sensible, et l'AP-HP ne souhaite pas s'exprimer sur le sujet. Dans d'autres hôpitaux, le potentiel est mieux perçu. C'est le cas dans le nouvel hôpital de Calais, qui a compris l'intérêt d'accueillir des Anglais en mal de rendez-vous médicaux dans leur pays. Pour la direction, cette activité de complément permet de rentabiliser les investissements et l'établissement a signé un accord avec la Sécurité sociale anglaise pour faciliter la prise en charge des patients d'outre-Manche.

Entre les cliniques privées et les hôpitaux publics, des établissements privés à but non lucratif se placent au premier rang des pionniers français du tourisme médical. En tête, l'Hôpital américain à Neuilly-sur-Seine, fondé par des Américains en 1906. International depuis sa création, il compte 145 lits en chambres individuelles et il est accrédité par une agence américaine qui garantit le respect des normes de sécurité et de qualité des soins. Aujourd'hui, l'établissement reçoit environ 4 000 patients hors frontières, soit 30 % de ses séjours d'hospitalisation.

« Nous offrons des services adaptés aux habitudes des patients, dans leur langue, explique Thuy-Tien Couty, directrice de la communication. Par exemple, nous avons créé il y a plus de vingt-cinq ans une cellule Japon, avec un médecin et des infirmières de langue japonaise. Nous avons aussi des collaborateurs de langue chinoise et arabophones. Et notre service prend les patients en charge depuis leur premier contact à leur convalescence, en participant si besoin à l'organisation du voyage, à la recherche d'un hébergement pour la famille... ».

Autre pionnier français du tourisme médical, l'institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne) s'est fait un nom à l'international grâce à son expertise en matière de lutte contre le cancer. Établissement privé à but non lucratif, il accueille des patients étrangers depuis sa création. Il a renforcé son pôle international en 2012 et a notamment signé des partenariats avec le Kazakhstan, le Koweït et les Émirats arabes unis. Avec près de 2 000 patients non résidents par an, l'activité lui rappor

terait 13 millions d'euros chaque année. Et pour les besoins spécifiques de ces personnes, l'hôpital a mis en place une navette pour les reconduire à leur hôtel après les consultations et bénéficie d'une résidence hôtelière à proximité.

Un créneau pour les startups

Pour développer le tourisme médical, la France a besoin de créer une véritable filière qui lui permette d'être identifiée. Le soutien politique reste indispensable. C'est le cas en Allemagne où les länder assurent la promotion de leurs établissements de santé en toute occasion. Déjà, une brochure a permis dans la suite du rapport Kervasdoué d'établir l'offre des établissements français, un premier pas pour se faire une place dans les circuits et salons spécialisés.

Pour le consultant du MTQUA Enric Mayolas, « il faut organiser les acteurs autour d'une marque, définir le portefeuille de services et les atouts de chaque établissement, et obtenir les certifications. »

Sur les services nécessaires au-delà du parcours de soins, des startup commencent à se créer. C'est le cas de France Surgery qui compte quatre salariés et accompagne depuis cinq ans les patients étrangers depuis l'élaboration de leur projet jusqu'à leur retour chez eux.

« Nous avons déjà une plateforme de télémédecine pour la mise en relation des patients avec un médecin français, explique Carine Hilaire, cofondatrice et coordinatrice. En France, nous avons beaucoup de demande de pays africains qui n'ont pas accès à des plateaux techniques comme les nôtres. »

Pour Patrick Biecheler, les grands noms de l'assistance comme Europ ou Mondiale Assistance auraient tout à gagner à se positionner sur ce secteur dans la mesure où ils disposent déjà des compétences de premier accueil médical et de transport dans un cadre sanitaire sûr. Car le potentiel existe et le rapport Kervasdoué l'évalue à 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 30.000 nouveaux emplois d'ici 2020. Un mouvement qui permettrait de rétablir la balance commerciale de notre tourisme médical :

2 % des Français auraient déjà séjourné hors des frontières pour des raisons médicales et pour bénéficier de meilleurs tarifs. Des entreprises comme MediAgence ou Chirurgie Direct jouent les intermédiaires entre patients français et cliniques étrangères sur des spécialités mal prises en charge par la Sécu : ophtalmo, implants dentaires...

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Le TOP 10 des hôpitaux pour le « medical business »

Voici les dix hôpitaux du palmarès de l'organisme MTQUA selon ses critères d'excellence pour le tourisme médical. L'organisme basé à Bangkok sélectionne beaucoup d'établissements asiatiques.

  • 1 Fortis (anciennement Wockhardt) Hospital à Bangalore (Inde)
  • 2 Gleneagles Hospital à Singapour
  • 3 Prince Court Medical Centre à Kuala Lumpur (Malaisie)
  • 4 Shouldice Hospital à Toronto (Canada)
  • 5 Schön-Klinik à Munich (Allemagne)
  • 6 Bumrungrad International à Bangkok (Thaïlande)
  • 7 Bangkok Hospital à Bangkok (Thaïlande)
  • 8 Wooridul Spine Hospital à Seoul (Corée)
  • 9 Centre médical Clemenceau à Beyrouth (Liban)
  • 10 Christus Muguerza Super Specialty Hospital à Monterrey (Mexique)
Commentaires 6
à écrit le 12/02/2019 à 12:58
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La France va devenir le pays leader au monde dans ce domaine, d'ici les prochaines années.

à écrit le 10/02/2018 à 6:58
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je me permet de réagir sur un point important et qui concerne ce que je connais bien, les soins dentaires. Chaque année nous voyons le nombre de demandes pour des implants à Budapest augmenter significativement. Le nomadisme médical est une réalité p...

à écrit le 25/07/2017 à 4:56
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Les expats francais se font tous quand c'est necessaire poser des implants made in Korea. Trois fois moins chers qu'en France. Cherchez l'erreur ?

à écrit le 24/07/2017 à 15:20
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Si je comprends bien, on pousse les français à rester le moins longtemps possible à l'hôpital (service ambulatoire) pour donner des lits aux étrangers qui ont de l'argent? ça sera cela l'hôpital du futur?

à écrit le 24/07/2017 à 14:55
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Cet organisme est à BKK et il y deux hopitaux de BKK dans les 7 premiers mondiaux . Suffisant pour décrédibiliser cette publicité honteuse .

le 26/10/2017 à 13:31
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MTQUA est une compagnie Americaine, et nous ne cherchons pas de publicité. Le TOP 10 des hôpitaux pour 2017 est ici: https://worldsbesthospitals.net

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