La mise sous cloche de l'économie tricolore a fait disjoncter tous les instruments de mesure classique des conjoncturistes. Selon la dernière livraison de l'Insee publiée ce jeudi 13 août, le nombre de chômeurs au sens du bureau international du Travail (BIT) a diminué de 271.000, à 2 millions de chômeurs. A la fin du mois de juin, le taux de chômage a baissé de 0,7 point par rapport à la fin du mois de mars passant de 7,9% à 7,1% de la population active. Il a ainsi retrouvé son niveau enregistré à la fin de l'année 2008 alors que l'économie hexagonale s'engouffre dans une terrible récession et a déjà détruit des milliers d'emplois dans de grands groupes.
Sylvain Larrieu, chef de la division synthèse et conjoncture du marché du travail à l'Insee, explique ce paradoxe à La Tribune. "Pour être au chômage, on suit les critères du BIT. Être sans emploi pendant une semaine donnée ; être disponible pour travailler dans les deux semaines à venir ; avoir effectué, au cours des quatre dernières semaines, une démarche active de recherche d'emploi ou avoir trouvé un emploi qui commence dans les trois mois. Le confinement, qui représente près de la moitié du second trimestre, empêche certaines personnes sans travail de chercher un emploi. Les entreprises ont pu geler leur recrutement, certains secteurs ont dû stopper leur activité. Cet effet fait baisser le taux de chômage."
De son côté, Philippe Waechter, chef économiste chez Nostrum Asset management, interrogé par La Tribune, ajoute que "le taux de chômage au premier trimestre avait déjà baissé fortement. Jusqu'à la mi-mai, le taux de chômage était très faible. Le thermomètre marque un peu de retard. Les personnes ne peuvent pas faire de recherche d'emploi. Compte tenu du chômage partiel, les emplois ne sont pas supprimés. Cette situation est très particulière. Au mois de juillet, on devrait voir le chômage augmenter".
Le chômage baisse chez toutes les catégories, sauf les jeunes
Les statistiques surprenantes dévoilées par l'organisme public indiquent que le chômage a diminué pour toutes les catégories d'âge sauf les moins de 25 ans. Ainsi, le ratio de chômage pour les 25-49 ans est passé de 7,2% à 6,4% entre le premier et le second trimestre. Chez les plus de 50 ans, la chute est encore plus spectaculaire sur la même période (-1 point) passant de 5,4% à 4,4%. Pour les hommes, la proportion a baissé de 0,3 point (7,7% à 7,4%) tandis que chez les femmes, la diminution est de 1,1 point (7,9% à 6,8%).
En revanche, le tableau est bien plus sombre pour les jeunes avec une hausse marquée de 1,8 point, passant de 19,2% à 21%. Ces chiffres montrent que cette population a subi de plein fouet les effets de la pandémie et de la mise à l'arrêt de secteurs entiers de l'économie au mois de mars. De nombreux établissements (bars, restaurants, hôtellerie) qui emploient beaucoup de jeunes ont dû stopper leur activité du jour au lendemain avant que la récession ne frappe l'ensemble des secteurs.
Le halo du chômage en plein boom
L'autre signal inquiétant est que le halo(*) du chômage a décollé au cours du second trimestre. Les services de l'Insee ont enregistré un véritable boom de cette catégorie avec 767.000 personnes de plus après une précédente hausse au premier trimestre (+44.000). "Cette hausse exceptionnelle du halo est la contrepartie de la baisse du taux de chômage. Il y a un effet de vase-communicant", explique Sylvain Larrieux.
Le taux d'emploi chez les jeunes en chute libre
La publication de l'institut de statistiques comporte d'autres indicateurs qui permettent d'avoir une vision plus pertinente de l'état du marché du travail dans ce contexte de crise sanitaire mondiale. Le taux d'emploi des 15-64 ans a baissé de 1,6 point à 64,4% au cours du second trimestre. La situation est particulièrement alarmante pour les jeunes. En effet, les économistes de l'organisme public notent que "la baisse est particulièrement marquée pour les jeunes (-2,9 points, à 26,6 %), dont le taux d'emploi atteint un plus bas historique depuis que l'Insee le mesure (1975)".
L'autre indicateur qui rend mieux compte des répercussions de la crise sur le marché du travail est le taux d'emploi des CDD et de l'intérim. "Le non-renouvellement des contrats à durée limitée pendant la période de confinement entraîne une forte baisse du taux d'emploi en contrat à durée déterminée (CDD) ou en intérim, qui diminue de 1,2 point sur le trimestre et de 1,1 point sur un an. À 6,4 %, il se situe mi-2020 1,7 point au-dessous de son plus haut niveau atteint fin 2017", indique l'Insee.
Le sous-emploi en forte hausse
L'autre signal alarmant est la forte poussée du sous-emploi. Au cours du second trimestre, il a bondi de 12 points pour s'établir à 20%. C'est un niveau inédit depuis que l'Insee produit ces chiffres (1990). "Cette hausse est due à la très forte augmentation du nombre de personnes en emploi (à temps plein ou à temps partiel) qui déclarent des journées non travaillées en raison d'un chômage partiel, dans le cadre du dispositif exceptionnel d'activité partielle pour maintenir les salariés en emploi", constatent les auteurs de la note.
Des perspectives assombries
Malgré toutes les mesures de déconfinement décidées depuis la mi-mai et la reprise de l'activité dans des conditions sanitaires et sociales parfois complexes, le retour à une situation économique et sanitaire normale est loin d'être acquise. Le port du masque rendu obligatoire dans certaines villes ou zones depuis quelques jours indique que la propagation du virus n'est pas complètement sous contrôle. En outre, la vitesse de la reprise de l'activité va dépendre des avancées de la recherche. Sur ce dernier point, aucun vaccin n'a véritablement fait ses preuves. En attendant, la santé économique des entreprises continue de se dégrader et les mesures de chômage partiel qui ont déjà été durcies il y a quelques semaines avec un moindre prise en charge par la collectivité (Etat et Unédic) devraient encore diminuer.
"Concernant les perspectives, on devrait avoir une remontée du chômage sur la seconde moitié de l'année. Tous les indicateurs sont affolés. Le marché du travail est encore sous perfusion [...] L'activité est bien plus faible que l'an dernier à la même période. Il va y avoir un ajustement par le marché du travail. L'idée de l'activité partielle était de préserver le marché du travail pendant le confinement mais on voit que ça ne marche pas pour tous les secteurs. L'activité ne redémarre pas complètement dans l'hôtellerie, la restauration, le tourisme...[...] Le support de l'Etat va se réduire dans la durée. L'économie a du mal à retrouver ses repères. Les chocs sont très profonds. Tout ne va pas revenir à la normale. Tout l'ajustement passera par le marché du travail. Tous les efforts dans les prochains mois doivent être faits sur le marché du travail", alerte Philippe Waechter.
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(*) Le halo du chômage regroupe les personnes qui recherchent un emploi mais ne sont pas disponibles pour travailler, ainsi que des personnes qui souhaitent travailler mais qui n'ont pas effectué de démarche active de recherche d'emploi dans le mois précédent, qu'elles soient disponibles ou non.