Bruxelles et Pékin négocient, dans l'ombre de Trump

La mauvaise volonté du président américain permet aux Européens et aux Chinois d'afficher leur complicité sur le climat. Mais dans l'ombre, d'âpres négociations commerciales se poursuivent.
Florence Autret
L'Europe tentée de jouer de la carotte et du bâton avec Pékin.
L'Europe tentée de jouer de la carotte et du bâton avec Pékin. (Crédits : Reuters)

Une heure trente : c'est le temps que le Premier ministre chinois Li Keqiang, le président de la Commission Jean-Claude Juncker et le président du Conseil Donald Tusk passeront ensemble vendredi matin pour leur réunion formelle à l'occasion du sommet UE-Chine qui s'ouvre ce soir. Une session courte dont le changement de cap à Washington devrait toutefois transformer en événement. Les dirigeants européens et chinois devraient en effet publier une déclaration jointe sur le climat et l'efficacité énergétique qui contrastera avec l'unilatéralisme de Donald Trump.

"Le sommet va probablement donner des signaux sérieux du fait qu'il est important de s'en tenir à des engagements fermes dans le système commercial multilatéral", expliquait mercredi une source européenne.

Au-delà de cette déclaration très opportune qui sert tant les intérêts européen que chinois, où en est-on vraiment des relations entre ces deux puissances économiques ?

Accord d'investissement et antidumping au programme

Début 2014, des négociations ont été ouvertes en vue de la conclusion d'un accord d'investissement. Le douzième « round », qui s'est tenu en septembre, était encore essentiellement consacré à des discussions sur la définition de termes comme « investissement », « traitement juste et équitable » ou encore sur les mécanismes de règlement des conflits. Mais la volonté d'aboutir est là, vue la place prise par la Chine dans le commerce extérieur européen.

"Un accord d'investissement avec la Chine remplacerait les accords actuels que les Etats membres ont conclu bilatéralement. Cela améliorerait la sécurité juridique, notamment pour les investisseurs ou exportateurs européens en Chine", estime l'avocat Olivier Prost, associé du cabinet Gide Loyrette Nouel à Bruxelles.

Cela n'empêche que par ailleurs, Chinois et Européens restent à couteaux tirés dans de nombreux secteurs, à commencer par l'acier. Au total, pas moins de dix-sept procédures antidumping et trois anti-subventions sont en cours d'instruction à Bruxelles, dont certaines pourraient resurgir dans les entretiens de vendredi. Pour l'instant les deux discussions - accord d'investissement et réciprocité dans les conditions d'investissements - sont menées séparément.

"Si on ne veut pas un accord sur l'investissement  qui soit de l' « eau tiède ». Il faut absolument instiller du contrôle des investissements et de la réciprocité dans les accords eux-mêmes", estime l'avocat.

Cet hiver, Paris, Rome et Berlin ont demandé à la Commission de se pencher sur une procédure de contrôle des investissements, sans résultat jusqu'à présent. Aborder franchement le manque d'ouverture du marché chinois aux capitaux étrangers pourrait pourtant s'avérer un moyen de renforcer le pouvoir de négociation européen.

"L'anti-dumping est ce que craint le plus la Chine depuis des années . Si on y ajoute un mécanisme de contrôle des investissements, cela va aussi leur faire très très peur", dit-il

L'Europe affiche un déficit commercial dans le commerce de biens de 175 milliards d'euros avec la Chine sur les trois dernières années (en légère baisse l'an dernier). Il est de 11 milliards dans les services. Quant aux investissements, le déséquilibre n'a fait que grandir ces dernières années : le stock des actifs détenus par des Européens en Chine atteint 35 milliards d'euros contre 168 milliards pour les actifs chinois en Europe.

Un écart colossal qui tient en partie à un décalage de développement. Alors que la Chine est devenue la première puissance mondiale (mesurée en PIB) devant les Etats-Unis, le revenu moyen de ses habitants reste le quart de celui des Américains. Indépendamment de la politique américaine, la question posée à l'Europe reste celle de manière dont elle entend absorber le choc de la « poussée » chinoise. Elle ne sera pas résolue vendredi.

Des résultats probablement difficiles à déchiffrer

La mauvaise humeur de Donald Trump permettra certes d'afficher un résultat positif (l'engagement pour le multilatéralisme et le climat), mais les experts estiment qu'il ne faut pas s'attendre à ce que ce sommet marque un tournant. La publicité faite aux échanges risquent d'être quoiqu'il en soit plutôt limitée.

"Nous allons accueillir nos partenaires chinois. J'espère qu'ils sont sur la même ligne que nous", a expliqué jeudi midi le porte-parole du président Juncker. Avant d'ajouter : "Nous vous tiendrons informés des possibles arrangements concernant la presse."

La dernière édition avait été marquée par la transmission par Pékin d'une liste de journalistes indésirables, suscitant l'ire de l'association des correspondants bruxellois, et l'annulation de la conférence de presse finale. Le Premier ministre chinois et les deux dirigeants européens devraient toutefois s'exprimer demain midi.

Florence Autret
Commentaire 1
à écrit le 01/06/2017 à 17:07
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Normal d'évoluer dans l'ombre pour deux régimes qui n'ont pas de légitimité politique.

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