Cuba : le dégel avec Washington accélère le départ des candidats à l'émigration

Poussés par la crainte que le législateur américain revoie le régime de faveur dont ils bénéficient depuis 1966, les Cubains ont été extrêmement nombreux à prendre la route pour les Etats-Unis en 2015. Quelque 11.000 d'entre eux se sont retrouvés coincés en Amérique centrale en raison d'une impasse politique.
Giulietta Gamberini
Les réformes introduites par Raoul Castro, qui facilitent certaines transactions (la vente de sa maison ou de sa voiture par exemple) ainsi que certaines formes d'auto-entreprise, ont permis à nombre de Cubains de récolter enfin l'argent nécessaire pour affronter le voyage.

Allègement des restrictions commerciales pratiquées par Washington, arrivée d'Airbnb puis du wifi publicréouverture de l'ambassade américaine à La Havane... Après l'annonce fin 2014 du dégel des relations entre Cuba et les Etats-Unis, 2015 aura été une année de promesses d'ouverture pour les Cubains. Pas suffisamment, toutefois, pour calmer l'envie d'une partie de la population de quitter l'île communiste et de rejoindre les nombreux compatriotes séduits par le capitalisme américain.

Au contraire, au cours de la dernière année fiscale, le nombre de Cubains partis pour les États-Unis a significativement augmenté: ceux ayant atteint la frontière sud avec le Mexique ont notamment été 30.000, à savoir 77% de plus que l'année précédente, calculent les autorités américaines, citées par le New York Times. Et une bonne dizaine de milliers est encore en route: coincée en Amérique centrale depuis deux mois à la suite d'une impasse politique, elle vient de reprendre son chemin et devrait atteindre sa destination finale dans les prochaines semaines.

Un régime de faveur depuis 1966

A l'origine de cet empressement, un ensemble de facteurs concurrents. D'une part, les réformes introduites par Raoul Castro, qui facilitent certaines transactions (la vente de sa maison ou de sa voiture, par exemple) ainsi que certaines formes d'auto-entreprise, ont permis à nombre de Cubains de récolter enfin l'argent nécessaire pour affronter le voyage -notamment pour payer les contrebandiers. Dans le cadre de l'ouverture engagée par l'île communiste, les passeports sont par ailleurs délivrés plus facilement.

D'autre part -et surtout-, la restauration des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis a fait surgir la crainte que le législateur américain ne revoie le traitement de faveur réservé aux immigrés cubains, explique le NYT. Depuis 1966, ceux-ci peuvent en effet bénéficier d'un atout: la loi américaine leur accorde, une fois qu'ils ont mis les pieds sur le sol américain, un statut spécial facilitant la demande d'une carte de résident. L'opportunité et le caractère politique d'un tel régime de faveur ont d'ailleurs été constamment contestés par La Havane.

Quand le chemin le plus long est le plus sûr

Poussés par cette crainte, nombre de Cubains ont ainsi entrepris l'année dernière un périple à travers huit pays pour rejoindre les Etats-Unis. La majorité d'entre eux a d'abord volé vers l'Equateur, qui jusqu'en décembre dernier ne demandait pas de visa, pour ensuite parcourir la Colombie, Panama, le Costa Rica, le Nicaragua , Honduras, le Guatemala et enfin le Mexique.

Bien plus long que la traversée de l'étroite mer séparant La Havane de Miami, ce circuit est néanmoins beaucoup moins dangereux. Il évite en plus aux Cubains -dont nombreux ont disparu dans les eaux du Golfe de Mexique-, un autre risque: celui de se voir appliquée la politique du "pied mouillé, pied sec" qui, depuis 1995, autorise les gardes-côtes américains à  renvoyer sur l'île ou dans un pays tiers les migrants péchés dans les eaux entre les deux pays.

1 million de dollars dépensés par le Costa Rica

Le Costa Rica a affirmé avoir tenté d'aborder les problèmes posés par cet afflux avec ses voisins, lesquels auraient toutefois préféré l'ignorer, rapporte le NYT. Mais quand en novembre 2015 San José a réussi à démanteler un réseaux de trafiquants qui assuraient le passage clandestin des Cubains, ces derniers se sont retrouvés coincés. Si le Costa Rica leur a accordé les visas demandés, le Nicaragua, plus proche du gouvernement cubain, les a en effet refusés, et la foule s'est entassée à la frontière. Des désordres ont été violemment réprimés en novembre.

En environ deux mois, le Costa Rica aurait dépensé un million de dollars pour loger dans 38 centres d'hébergement et nourrir ces migrants. "Jamais avant, y compris en cas de catastrophe naturelle, nous n'avons dû assister autant de gens pour aussi longtemps", a observé le ministre costaricain des affaires étrangères, Manuel Gonzales, cité par le NYT. Les migrants sont par ailleurs devenus les proies faciles de toutes sortes de bandits armés.

Un accord et des règles plus strictes

Un accord sur comment accélérer le départ des Cubains a pu enfin être trouvé entre le Costa Rica et les autres pays d'Amérique centrale en décembre: il leur permettra d'atteindre, en payant 555 dollars au total, le Mexique via El Salvador et le Guatemala. Grâce à deux vols organisés par jour, les 8.000 Cubains bloqués au Costa Rica devraient pouvoir être évacués en trois semaines. Lancé le 12 janvier, le plan devrait s'étendre aux quelque 3.000 encore au Panama. Une fois au Mexique, ils bénéficieront selon la loi locale d'un droit de transit de 20 jours pour atteindre la frontière avec les Etats-Unis.

Cet accord ne s'appliquera toutefois pas aux éventuels nouveaux arrivants, ont mis en garde les parties. L'Ecuador demande d'ailleurs désormais un visa aux Cubains. Le Costa Rica a pour sa part fermé mi-décembre sa frontière avec le Panama aux migrants cubains, et promis d'expulser ceux qu'il trouvera malgré cela sur son territoire.

Les États-Unis se veulent rassurants

Quant aux Etats-Unis, s'ils ont déclaré "soutenir des formes de migration sûres, ordonnées et légales depuis Cuba", ils ont aussi tenu à rassurer les Cubains: "l'administration n'a pas de projet de modification de la politique migratoire actuelle vis-à-vis de Cuba", a affirmé le département américain. Le NYT rappelle d'ailleurs qu'un projet de loi en ce sens présenté par un député de l'Arizona n'a pas rencontré beaucoup de succès.

Mais à un an des élections présidentielles américains, et à l'heure où Obama se bat pour une levée de l'embargo, on peut comprendre la préoccupation des Cubains: après 50 ans de paralysie politique et une année d'accélération, aucune surprise ne semble pouvoir être exclue.

Giulietta Gamberini
Commentaire 1
à écrit le 21/01/2016 à 9:52
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Profitons de cette relative tranquillité qu'offre la gouvernance particulièrement intelligente de Obama parce qu'on ne sait pas ce que vont nous réserver les futurs élections présidentielles américaines.

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