De Manning à Snowden : que deviennent les lanceurs d'alerte ?

Barack Obama a annoncé mercredi qu'il commuait la peine de prison de la lanceuse d'alerte Chelsea Manning. La révélation des documents a souvent bouleversé la vie de ces personnes. L'occasion de revenir sur le devenir de quelques lanceurs d'alerte emblématiques de ces 10 dernières années.
Grégoire Normand
Les autorités russes viennent de prolonger le permis de séjour d'Edward Snowden jusqu'en 2020.

Les révélations des lanceurs d'alerte provoquent bien souvent des remous dans les milieux politico-financiers et dans l'opinion publique. Si certains sont soutenus par des élus ou des comités de soutien, d'autres sont parfois conspués à l'image de Chelsea Manning qui a réveillé l'indignation de nombreux Républicains outre-Atlantique. Le porte-parole de la Chambre des représentants Paul Ryan a présenté la récente décision d'Obama de réduire la peine de Manning comme une "honte". Le sénateur John McCain a quant à lui parlé de "grave erreur" montrant "l'échec du président Obama sur les politiques de sécurité nationale"Au delà des réactions qu'ils peuvent susciter, les lanceurs d'alerte ont connu des destins souvent bien chaotiques.

>> Lire aussi : Etats-Unis : Chelsea Manning libérable en mai, Wikileaks crie victoire

Obama commue la peine de chelsea manning

Illustration de Chelsea Manning fournie par l'armée américaine . Crédits : Reuters

1- Chelsea Manning à l'origine de Wikileaks

  • Les révélations

Chelsea Maning, née Bradley Manning en 1987, est une ancienne analyste de l'armée américaine. En 2010, Manning a transmis de nombreux documents militaires classifiés à l'organisation Wikileaks. Plus de 90.000 fichiers militaires ont permis de documenter la guerre en Afghanistan allant de 2004 à 2009. Les fichiers dévoilés par Wikileaks ont permis notamment de mettre en lumière le rôle joué par certaines unités des forces spéciales chargées, en dehors des commandements officiels, de débusquer et tuer des leaders insurgés en Afghanistan. Les documents ont également permis de pointer les différentes bavures commises par les militaires américains par le biais des "warlogs" qui ont apporté de nombreux renseignements sur les décès de civils liés à la guerre en Irak. L'un des documents les plus emblématiques concerne la vidéo d'un hélicoptère américain qui s'attaque à des civils dont des Irakiens travaillant pour Reuters en juillet 2007 à Bagdad. Cette vidéo a été rendue publique par le fondateur de Wikileaks Julian Assange lors d'une conférence de presse en avril 2010 à Washington.

  •  Les suites

Le 21 août 2013, Bradley Manning a été condamné à 35 ans de prison après plus de deux mois de procès. Son arrestation avait provoqué d'importantes mobilisations aux Etats-Unis où il était à la fois perçu comme un traître et comme un lanceur d'alerte. Le lendemain du verdict, Bradley Manning change d'identité et en février 2015, l'armée américaine l'autorise à suivre un traitement hormonal. Le 17 janvier dernier, Barack Obama a décidé de réduire sa peine avant de quitter le pouvoir. Chelsea Manning devrait être libérable en mai prochain alors qu'elle ne devait être libérée qu'en 2045.

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Edward Snowden dans une vidéo conférence en septembre 2016. Crédits : Reuters.

2- Edward Snowden et la NSA

  • Les révélations

Ancien consultant de la Central Intelligence Agency (CIA) et de la National Security Agency (NSA), Edward Snowden a eu accès à des milliers de documents qu'il a remis notamment au Guardian et au Washington-Post. Ces fichiers ont révélé l'existence de programmes de surveillance de masse décidés par les autorités américaines et britanniques. L'ancien journaliste du Guardian Glenn Greenwald qui a été l'un des premiers journalistes à avoir accès aux documents de Snowden a décidé de poursuivre ses investigations sur le site d'information The Intercept. Ce média fait partie du groupe The First Look Media financé par Pierre Omidyar, fondateur d'eBay.

  • Les suites

Poursuivi par les Etats-Unis, Edward Snowden risque 30 ans de prison. Exilé en Russie depuis 2013, il est accusé d'espionnage au titre d'une loi de 1917 et de vols de documents. Plusieurs organisations comme Amnesty International ont demandé sa grâce il y a quelques mois avant que Barack Obama ne quitte le pouvoir, sans succès. Il a néanmoins remercié le président sortant pour sa décision de commuer la peine de Manning sur Twitter.

Par ailleurs, les autorités russes viennent de prolonger son permis de séjour jusqu'en 2020. Ce geste ne devrait pas faire bouger l'actuelle position des Etats-Unis. Le porte parole de l'exécutif américain a souligné que l'ancien consultant "avait fui dans les bras d'un adversaire" en parlant de la Russie.

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 Irène Frachon au tribunal de Nanterre en mai 2012. Crédits : Charles Platiau/Reuters

3- Irène Frachon et le scandale du Médiator

  • Les révélations

 A la suite du décès de plusieurs patients, la pneumologue de Brest Irène Frachon a mis au grand jour le scandale du Médiator commercialisé par le groupe Servier. Les dangers du traitement étaient déjà connus par le laboratoire bien avant la lanceuse d'alerte. Par ailleurs, elle a dû faire face au silence des autorités sanitaires et au déni d'une partie du milieu médical. Elle décide alors de publier un ouvrage en 2010 intitulé "Mediator 150 mg, combien de morts ?" qui met sur la place publique les dangers de ce traitement. Si la médiatisation a bien avancé, la machine judiciaire semble prendre du retard notamment en raison "des manœuvres procédurières" du groupe Servier selon Irène Frachon.

  • Les suites

Le temps judiciaire devrait être bien plus long que le temps médiatique. Dans une interview accordée à Mediapart au moment de la sortie du film "La fille de Brest", la médecin rappelle que "rien n'est réglé ou presque [...] Dans le meilleur des cas, il n'y aura pas de procès avant 2018". En attendant la tenue du procès, elle continue de se battre pour défendre les victimes du Médiator.

"Je continue à me battre au quotidien pour faire reconnaître les droits des victimes du Mediator. Mon seul objectif c'est « du pognon pour ces victimes » ! Parce qu'elles en crèvent aussi, d'être en invalidité et généralement ruinées. Et c'est urgent. Or, le temps de la justice est long. Je sais que j'en ai encore pour des années."

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Stéphanie Gibeaud à l'origine du scandale d'UBS. Crédits : Flickr/L'échappée volée

4 - Stephanie Gibeaud et le scandale d'UBS

  • Les révélations

Stéphanie Gibeaud  a occupé le poste de responsable marketing chez UBS de 1999 à 2008. Elle était notamment en charge d'organiser des événements. En 2008, sa supérieure hiérarchique lui demande qu'elle efface son disque dur qui contient des fichiers de clients et de chargés d'affaires comme l'indique Francetvinfo. Les documents contenus dans ce disque dur révèlent que des chargés d'affaires suisses sont en relation avec des clients français pour leur faire ouvrir des comptes en Suisse. Ces comptes n'auraient pas été déclarés. Elle porte plainte contre son employeur en 2009.

  • Les suites

Licenciée en février 2012, Stéphanie Gibeaud est poursuivie en diffamation par UBS comme elle le rappelle sur son blog hébergé par Mediapart. Cette procédure intervient alors que l'ancienne salariée de la banque a publié un ouvrage intitulé "La femme qui en savait trop". L'établissement bancaire estime que des passages porteraient atteinte à son image. Selon ses dires :

"La médiatisation que je vis au quotidien a tissé un cordon sanitaire autour de moi, mais elle m'a coupé depuis plus de quatre années d'une vie professionnelle, de revenus, d'une carrière. Le fait d'être médiatisée crée de facto une discrimination à l'embauche. Par ailleurs, cette affaire UBS a engendré des frais médicaux et thérapeutiques importants et m'a conduite à mendier les minima sociaux depuis l'été 2014."

Elle estime surtout que l'Etat n'a pas joué son rôle dans cette affaire pour la protéger. "Il est clair que ma précarité n'est pas légale. C'est le sens du courrier que j'ai adressé à la Cour Européenne des Droits de l'Homme : l'État Français ne respecte pas les règles en matière de protection des lanceurs d'alerte".

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Antoine Deltour lors de son procès au Luxembourg en avril 2016. Crédits : REUTERS/Vincent Kessler

5 -Antoine Deltour à l'origine des Luxleaks

  • Les révélations

Jusqu'en 2010, Antoine Deltour a travaillé au Luxembourg pour le cabinet PriceWaterhouseCoopers. Lors de l'une de ses missions, il découvre que l'une des filiales d'une multinationale européenne avait profité d'une fiscalité avantageuse grâce au système des "tax rulings" qui ont été signés par un fonctionnaire luxembourgeois. En octobre 2010, il démissionne et part avec des milliers de documents comme il le raconte au Monde :

"La veille de mon départ, je cherche des documents de formation pour pouvoir partir avec. C'est à ce moment-là que je trouve un dossier librement accessible qui contient des centaines de tax rulings [rescrits fiscaux]. Des données très sensibles et pourtant non protégées, assure Antoine Deltour. Je les ai copiés et pendant des semaines, je n'en ai rien fait."

Quelques mois plus tard, l'émission Cash Investigation et le consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) vont dévoiler le système des rescrits fiscaux. PwC va alors porter plainte à la suite de la diffusion de l'émission et va mener une enquête.

>> Lire aussi : Optimisation fiscale : Bruxelles oblige les multinationales à plus de transparence

  • Les suites

Antoine Deltour est placé en garde à vue en juin 2014. Il va ensuite être jugé avec son ancien collaborateur Raphaël Halet au Luxembourg lors d'un procès retentissant. Au mois de juin dernier, ils ont été déclarés, "coupables" de "vol, violation du secret professionnel et du secret des affaires", mais aussi "de fraude informatique, de blanchiment et divulgation du secret des affaires". Malgré ces condamnations, la justice du Grand Duché a reconnu que les anciens collaborateurs de PwC "ont contribué à une plus grande transparence et équité fiscale", que les deux prévenus "ont agi dans l'intérêt général et contre des pratiques d'optimisation fiscale moralement douteuses".

Le 12 décembre dernier a eu lieu le procès en appel où les deux collaborateurs voulaient faire valoir leur statut de lanceur d'alerte. D'après l'AFP, le tribunal a reconnu le statut de lanceur d'alerte aux deux Français. Mais il a aussi constaté que ce statut ne les protégeait pas ni en droit national, ni en droit européen. Le verdict du procès en appel est prévu pour le 15 mars prochain. En attendant, des comités de soutien continuent de se mobiliser à travers des manifestations et des pétitions en ligne.

Grégoire Normand
Commentaires 4
à écrit le 20/01/2017 à 20:57
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Merci pour cet article. Dommage qu'il n'y en ait pas plus souvent sur les lanceurs d'alerte et en particulier les pressions et menaces qui sont exercés sur eux.

à écrit le 20/01/2017 à 11:33
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Merci beaucoup pour cet article. Hé oui au lieu de s'attaquer à la source principale du problème on préfère faire taire les messagers qui n'y sont pourtant absolument pour rien aux problèmes mais comme ils les mettent au grand jour ils deviennent de ...

le 20/01/2017 à 18:37
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@citoyen blasé: en 1 mot, "toi président" :-)

le 21/01/2017 à 18:40
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Vous devriez arrêtez de vous intéresser à moi, pour ma part je ne m’intéresse pas à vous, soyez logique avec vous mêmes, un minimum d'amour propre, oubliez moi svp, merci.. Si vous ne savez pas vous exprimer correctement et sans ressentiment inut...

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