Donald Trump se "Reaganise" à Detroit

Dans un discours très attendu après une semaine de polémiques, Donald Trump a déployé hier après midi à Detroit un programme économique très libéral à l'attention d'un public constitué majoritairement de donateurs et d'investisseurs. Une étape importante pour le candidat républicain qui cherche à unifier son parti et à rassurer les milieux financiers et économiques.
Moody's a évalué les effets qu'auraient les politiques économiques des deux candidats à la présidentielle sur l'activité des Etats-Unis. (Graphique Statista*)

"Une nouvelle vision économique pour redorer le blason de l'Amérique !" C'est avec ce slogan que Mike Pence, "vice-président" de Donald Trump pour la campagne présidentielle, a invité le candidat républicain sur la scène du très respecté Detroit Economic Club. L'homme d'affaires reconverti en politicien passait hier après-midi son "grand oral" devant un public pro-business afin de dévoiler les mesures phares de son programme économique. Le lieu de cette rencontre était soigneusement choisi : Detroit, cette ville symbole de l'industrie automobile florissante de l'Amérique, tombée ensuite dans l'oubli et la désuétude avec la crise de 2008. Une ville qui colle parfaitement au slogan de campagne du candidat républicain : "Make America Great Again".

Un discours avant tout adressé aux milieux économiques et financiers

Donald Trump s'est plié à l'exercice du discours économique, bien loin des "shows" dont il a l'habitude, contenant même sa colère à l'encontre des manifestants venus perturber le meeting à de nombreuses reprises. Il faut dire que l'enjeu était de taille : après deux semaines de controverses qui avaient durement affecté sa côte de popularité et définitivement libéré les critiques en provenance de son propre camp, Donald Trump se devait de convaincre avec des propositions économiques sérieuses et raisonnées. Son discours visait autant à unifier sa famille politique autour des archétypes du Parti Républicain (moins de taxes et moins de régulation) qu'à convaincre les milieux financiers et économiques encore très sceptiques à son égard mais dont le soutien financier est crucial pour sa campagne.

Trump a donc troqué hier la veste du populiste au profit du costume du businessman. Certainement une façon de séduire les nombreux donateurs qui étaient présents, à l'image de l'investisseur texan Doug Deason qui disait avant la rencontre attendre de Trump qu'il "dresse un plan pour baisser l'impôt sur les sociétés, éliminer les coûts de la bureaucratie d'au moins 10%, mettre fin aux programmes de santé publique et réduire considérablement toutes les régulations fédérales absurdes que le gouvernement a mis en place". Rien moins que cela.

Un plan fiscal ambitieux mais risqué

Des attentes auxquelles Trump le libéral a répondu sans broncher promettant de baisser les impôts sur les revenus en s'appuyant sur quatre fourchettes fiscales : 0% pour les Américains gagnant moins de 25 000 dollars par an (50 000 dollars pour les couples) puis 12%, 25% et 33% pour la tranche maximum (contre 39,6% jusqu'à aujourd'hui). En parallèle, le candidat républicain entend relancer l'investissement en abaissant l'impôt sur les sociétés de 35% à 15%. Selon une étude publiée par la Tax Policy Center, ce plan entraînerait pourtant une perte de recettes fiscales de l'ordre de 25.000 milliards de dollars sur les vingt prochaines années avec un ratio dette/PIB qui passerait de 74% à 180%.

"La simplification du système fiscal sera un point fondamental de ma politique" a affirmé le magnat de l'immobilier.

Face à cette fragilisation budgétaire Trump n'entend pas pour autant couper dans les dépenses publiques pour financer les baisses d'impôts : il a au contraire affirmé qu'il dépenserait massivement dans la construction d'infrastructures pour stimuler l'économie américaine. Ce double volet budgétaire ne peut donc a priori qu'entraîner une hausse importante de la dette publique qui ferait monter les taux d'intérêt et qui neutraliserait les bénéfices économiques par la suite. Mais le milliardaire américain, appuyé par sa nouvelle équipe économique aux couleurs très Wall Street (sans doute un nouveau clin d'oeil aux donateurs), semble convaincu de la justesse de son plan.

Dans la digne lignée des "Reaganomics", Donald Trump en a évidemment appelé dans son discours à moins de régulation. Il a proposé un moratoire temporaire sur de nouvelles régulations bancaires tant qu'il n'y aurait pas de retour significatif de la croissance et a réaffirmé sa volonté d'abroger et de remplacer le Dodd-Frank Act de 2010 qui vise à limiter les investissements spéculatifs. Cette dernière mesure pourrait lui apporter les votes de nombreux détenteurs de petits business souvent contraints par ce traité écrit pour les grandes banques mais s'appliquant à tous. Le businessman candidat en a profité pour critiquer les régulations sous l'administration Obama et Clinton qu'il a qualifié "de poids sur l'économie, une ancre qui nous tire vers le fond".

Un programme de développement économique sur fond de protectionnisme

Donal Trump s'est appuyé sur l'exemple de Detroit pour qualifier d'échec flagrant la politique économique d'Obama et Clinton, perpétuel "record de nouvelles régulations, de hausse d'impôts, de restriction sur la production privée d'énergie et de traités unilatéraux en défaveur des Etats-Unis". Un échec qui pour lui tient aussi à l'abandon du sacro-saint principe "America First" consistant à privilégier les intérêts américains avant toute chose. Une opinion qui le différencie des idées classiques du Parti Républicain plus enclin au libre-échange.

Appuyant sa démonstration sur les accords commerciaux entre les Etats-Unis et la Chine, Trump entend rétablir une "justice commerciale" plus en faveur des Etats-Unis. S'il est élu Président des Etats-Unis il souhaite renégocier tous les traités commerciaux sur plusieurs points :

  • Dénoncer la manipulation des taux de change du yuan, dont il estime la sous-évaluation comprise entre 15% et 40%. Une manœuvre qui permettrait à la Chine d'avoir des prix plus compétitifs que ceux des Etats-Unis, créant logiquement un déficit commercial des USA vis-à-vis de la Chine.
  • Protéger l'investissement et l'innovation américaine en mettant fin aux violations de la propriété intellectuelle et de la cybercriminalité chinoise qui selon Trump coûtent "300 milliards de dollars et des millions d'emplois chaque année" aux Etats-Unis.
  • Relancer l'industrie américaine en mettant fin aux subventions illégales de la Chine à ses exportations et en contraignant l'Empire du Milieu à respecter les standards salariaux et environnementaux.
  • Renforcer la position de négociation des Etats-Unis en réduisant la dette américaine (détenue en grande partie par la Chine) et en augmentant la présence militaire américaine en Asie pour accroître leur pouvoir d'influence.

Cette politique commerciale très protectionniste, qui s'oppose logiquement à l'ALENA (Accord de Libre Echange Nord-Américain) et au TPP (Accord de Partenariat Transpacifique), oublie pourtant que se priver d'importations bon marché en provenance de Chine renchérirait les prix des produits sans pour autant garantir la réindustrialisation du pays car 50% des biens importés sont des matières premières (dont la production dépend avant tout des ressources naturelles du pays).

Enfin, ignorant les préoccupations environnementales, le candidat républicain a réaffirmé son souhait de voir le plan climat de Obama et l'accord de la COP 21 annulés. Il considère ces traités comme étant de nouvelles régulations simplement aptes à bloquer la croissance économique et plaide à l'inverse pour une relance de l'extraction offshore et du charbon.

A travers un discours marqué par des critiques acerbes en direction de son opposante Hillary Clinton ("Elle est la candidate du passé, nous représentons le futur" a-t-il lancé), Donald Trump a donc tenté de faire raisonner les slogans libéraux (anti-taxation et anti-régulation) aux oreilles des Républicains. Mais il a bien noté que le Michigan, territoire historiquement industriel et surtout "swing state" dans cette campagne, ne serait pas sourd à ses plaidoyers protectionnistes et patriotes.

"Ce seront des mains américaines qui reconstruiront ce pays" a lancé Donald Trump à l'adresse des classes ouvrières qui font son succès depuis le début de la campagne.

Charge désormais à Hillary Clinton, qui s'exprimera elle aussi dans le Michigan sur sa politique économique, jeudi, de ne pas laisser Trump remonter dans les intentions de vote avec ce discours voué à faire oublier les dernières polémiques.

Lire aussi : Trump peut-il vraiment gagner

* graphique réalisé par Statista.

Commentaires 6
à écrit le 09/08/2016 à 17:36
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J'aime bien les supers prévisions de la tribune. Ils nous disaient qu'avec le brexit il y aurait un cataclysme boursier. Résultat des courses - Le FTSE 100 est passé de 6340 avant le Brexit à 6860 maintenant. - Le CAC 40 est passé de 4400 avant ...

à écrit le 09/08/2016 à 14:43
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Un très bel article impartial et journalistiquement impartial ... digne d'un oubli reportage

à écrit le 09/08/2016 à 14:21
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Trump me fait penser aux punks des 70's: No future, just now!

à écrit le 09/08/2016 à 13:57
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Ne reprochons rien à Trump. Si il gagne,ce sera la revanche des petits sur l'impudence des politiciens.

à écrit le 09/08/2016 à 12:12
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Sinon sur Moody's et votre graphique: aprés remplacement du Dodd-Frank Act de 2010, moody's vaut potentiellement 0 pour ne pas avoir compris ou était le pb dans ses notations.

à écrit le 09/08/2016 à 11:34
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C'est la critique des démocrates de dire que Trump "reaganise" ou repacks les vieilles idées républicaines. Trump veut rendre son avantage compétitif à l’Amérique, la grande Amérique, selon 5 axes: 1. investir massivement dans les infrastructures (g...

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