En plein Covid, le débat sur le système de santé enfièvre la présidentielle américaine

SPÉCIAL ÉLECTIONS AMÉRICAINES. Au cours de la campagne électorale, les questions de santé ont occupé le devant de la scène et pourraient bien peser sur le résultat final. La crise a révélé les faiblesses de l'organisation actuelle du système de santé et ouvert la voie aux propositions mettant fin au « tout privé », les deux candidats en lice s'écharpant sur l'Obamacare. Mais la mise en place d'un système de santé moins libéral, plus proche du modèle français, est-elle possible ?
(Crédits : Mike Blake)

Joe Biden veut réformer et améliorer l'Obamacare, Donald Trump entend bien le supprimer. En pleine pandémie, la santé s'est imposée comme l'un des enjeux essentiels de l'élection présidentielle américaine. Appuyé sur l'industrie la plus puissante du monde et sur des hôpitaux classés parmi les meilleurs, le système américain génère depuis des lustres de très fortes inégalités. Et comme dans tous les pays, le coronavirus a mis en lumière ses faiblesses.

Aux États-Unis, la santé obéit à une logique libérale à l'opposé de la vision universaliste pratiquée en France. Là-bas, l'assurance maladie repose largement sur les lois du marché, 68 % des Américains sont couverts par un opérateur privé, majoritairement dans le cadre de leur emploi. A côté de ces dispositifs très onéreux, une assurance publique se décline en deux programmes : Medicare propose une couverture maladie aux plus de 65 ans et aux personnes handicapées ; Medicaid s'adresse aux familles à faibles ressources. Le premier est géré par le gouvernement fédéral, le second par les États.

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Depuis 2010, l'Affordable Care Act (ou ACA), nom officiel de l'Obamacare, oblige tous les Américains à souscrire une assurance moyennant une aide fiscale. Cette réforme respecte strictement les fondements du système : faire confiance à des acteurs privés pour régler un problème public. Mais entre 10 et 14% des Américains passent entre les mailles du filet, soit a minima 32 millions de personnes. Les conséquences sont parfois dramatiques : 18.000 décès par an sont attribués à l'absence de couverture maladie. Le sujet est d'ailleurs une antienne de toutes les grandes séries télé hospitalières depuis les années 90, mettant en scène des malades ou blessés triés suivant qu'ils ont ou non une plus ou moins bonne assurance médicale. Car tout le monde n'a pas les moyens de se faire soigner. Par exemple, selon l'organisation indépendante Fair Health, le coût d'une hospitalisation liée au Covid oscille entre 42.486 et 74.310 dollars pour les malades sans assurance, en fonction des complications et des facteurs de risques. Un coût colossal alors que plus de 220.000 morts sont recensés Outre-Atlantique fin octobre.

Problème d'infrastructures

A l'instar de la France, la pandémie a frappé de plein fouet les hôpitaux. Manque de masques et d'équipements, impréparation, absence totale de coordination entre les différents acteurs... Les constats ne sont finalement pas si différents des nôtres. Sur le plan économique la situation se révèle désastreuse, ces établissements, publics ou privés, ont enregistré de très grosses pertes liées à la déprogrammation des actes rémunérateurs et sont aussi confrontés à un nombre important d'impayés. Le premier plan de sauvetage, lancé cet été, a en partie compensé ces déficits.

Patrick Biecheler est associé en charge du secteur pharmacie santé au sein du cabinet Roland Berger : « Le Covid a surtout mis en lumière certaines insuffisances du système américain, principalement en termes d'infrastructures. Le système d'assurance privé a abouti à une multiplication des silos, avec une prise en charge en fonction de la couverture et non de la maladie. La faille principale a été de ne pas coordonner les activités de soins entre les différents acteurs. À cela, s'ajoute un taux d'équipement plus faible qu'en France ou en Allemagne avec 3 lits pour 1.000 habitants (contre respectivement 6 et 8), même si ces comparaisons doivent être nuancées compte tenu des spécificités du territoire américain ».

La crise sanitaire a également révélé l'incapacité de l'État fédéral, conduit par Donald Trump, à assurer une coordination et une gouvernance permettant de gérer la situation, malgré des outils existants. Autre dommage collatéral impactant la Santé : en juillet dernier, selon une enquête de l'ONG Families USA, environ cinq millions d'Américains avaient perdu leur assurance santé en même temps que leur emploi au cours des premiers mois de la crise du Covid-19.

Une « option publique » ?

Depuis des années, la frange la plus à gauche des Démocrates défend la mise en place d'un système public se rapprochant du modèle français. Cette piste s'inscrivait d'ailleurs au cœur des propositions de Bernie Sanders lors de la primaire démocrate. Victor G. Rodwin est professeur de politique et de management de la santé à l'École de service public Wagner de l'Université de New York : « La mise en place d'un payeur unique et d'une assurance pour tous paraît très peu probable, la moitié des salariés américains souscrivent à l'assurance privée de leur employeur. Ils y sont attachés et ne veulent pas en changer. D'autant plus qu'il y a vraiment dans la population le sentiment que le système public est inférieur au système privé.»

Les programmes santé des candidats à la présidentielle se polarisent sur l'Affordable Care Act. Côté Républicain, Donald Trump poursuit sa croisade contre l'Obamacare. Il espère son annulation par la Cour suprême ce qui conduirait quelque 20 millions de personnes à risquer de perdre leur couverture. Côté Démocrate, Joe Biden plaide pour la création d'une « option publique » à laquelle on pourrait choisir de souscrire ou pas. Son coût s'élèverait à 750 milliards de dollars sur 10 ans. Anne-Laure Beaussier, chercheuse au CNRS et à Sciences Po, auteure de « La Santé aux États-Unis : une histoire politique sait que le projet soulève des questions compliquées » : « La pandémie a pu créer une attente auprès de la population pour une assurance publique.

Le modèle défendu par Joe Biden s'inscrirait dans la continuité de l'Obamacare. Mais les questions du contrôle des coûts, des tarifs des médecins et des médicaments seraient très difficiles à régler. Le dernier projet de réforme visant à encadrer les tarifs des professionnels de santé et produits pharmaceutiques remonte à 1993-1994, sous Bill Clinton. Une campagne de lobbyistes très intense avait participé à son échec. Les blocages politiques sur cette question sont vraiment très forts ».

Avec plus de 10.000 dollars par habitant par an (4.600 dollars en France), les États-Unis détiennent le record du monde des dépenses de santé. La raison est simple : des médicaments aux séjours à l'hôpital, en passant par les salaires pratiqués dans le secteur, les prix s'envolent. Contrairement au modèle français, mais aussi allemand ou japonais par exemple, pas de négociations avec l'État. « La victoire de Joe Biden pourrait conduire à une forme de compromis avec la mise en place d'un payeur public auquel employeurs et employés pourraient adhérer. Je suis convaincu que petit à petit, cette concurrence entre un payeur public ouvert à tous et les assureurs privés pourrait mener à une baisse des prix et à une meilleure couverture », anticipe Victor G. Rodwin.

Autre hypothèse, une transformation impulsée par les acteurs du secteur Santé eux-mêmes. Ils disposent de ressources considérables et la crise sanitaire a remis un coup de projecteur sur le rôle moteur de cette industrie à l'échelle mondiale, en particulier les Big Pharma pleinement engagées dans la course au vaccin, comme le souligne Patrick Biecheler : « Aujourd'hui 17 % du PIB des États-Unis est consacré aux dépenses de santé, cette somme est déjà énorme. Il ne s'agit donc pas de dépenser plus, mais de mieux organiser. D'abord en s'assurant que toute la population est couverte par une assurance, ensuite en mettant en place une coordination plus efficace pour mieux répartir les fonds. Le système américain est presque malade de ses dogmes : la liberté, la responsabilité, la défiance envers l'impôt accusé de tuer l'entreprise. Les acteurs du privé seraient donc les mieux placés pour améliorer la prise en charge des citoyens. Les assureurs ou les Gafam pourraient être des vrais agents de changement. Ils ont la capacité à faire une démonstration expérimentale sur une population donnée en vue d'une généralisation de cela à l'ensemble des États-Unis ». De fait, les Google, Apple, Facebook, Amazon et autres Microsoft ont depuis longtemps affiché leur énorme appétit dans ce domaine.

Commentaires 2
à écrit le 27/10/2020 à 10:30
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La grande peur de devenir communiste! Du coup, il choisissent l'inégalité dont évidemment pâtissent les plus faibles. Les US, un exemple à suivre, ou comme celui de la Russie, de la Chine. 3 grands pays soucieux de leur peuple plus que de leur influe...

à écrit le 27/10/2020 à 9:27
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Donald Trump n'a toujours pas supprimé l'obomacare, on est déjà soûlé des élections présidentielles américaines dont on se fiche parce que l'on n'y voté pas, ce serait bien au moins de ne pas faire en plus de politique fiction.

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