Etats-Unis : les cinq immenses chantiers économiques de Joe Biden

Plan de relance, transition énergétique, industrie, commerce mondial, fiscalité... la pandémie va obliger le nouveau président des Etats-Unis Joe Biden à agir dans l'urgence.
Grégoire Normand
Pour les 100 premiers jours de son mandat, Joe Biden a prévu une stratégie nationale de vaccination.
Pour les 100 premiers jours de son mandat, Joe Biden a prévu une stratégie nationale de vaccination. (Crédits : Reuters)

Après plusieurs semaines d'attente interminables, le nouveau président américain Joe Biden a prêté serment à Washington mercredi 20 janvier devant toutes les caméras de télévision du monde entier. Il arrive après quatre années de mandat chaotiques qui ont considérablement changé le visage de l'Amérique aux yeux de la planète. Si l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche a été applaudie par certains milieux économiques et financiers, le mouvement trumpiste restera bien ancré dans la société américaine. Le républicain milliardaire a ainsi collecté 73,9 millions de voix, soit 11 millions de bulletins supplémentaires qu'en 2016. A l'opposé, l'ex-sénateur a remporté 80 millions de votes, soit 14 millions de voix en plus par rapport à Hillary Clinton. Ce bilan comptable signifie que le camp démocrate aura des marges de manoeuvre limitées dans un pays ravagé par une pandémie sans fin et une récession économique immense. Autant dire que les chantiers qui attendent le nouveau chef d'Etat dans un pays divisé sont colossaux.

Joe Biden Investiture

Investiture de Joe Biden mercredi 20 janvier. Crédits : Reuters.

Un plan d'urgence à 1.900 milliards de dollars

En 2020, l'économie américaine a plongé à un niveau historique de 2,4% et le chômage a fini à 6,7% au sens du bureau international travail (BIT). Des millions d'emplois ont été détruits en seulement quelques mois et le nombre de victimes de la pandémie ne cesse de s'allonger. Face à ce marasme, Joe Biden a annoncé un plan d'urgence qui sera suivi d'un plan de relance dont les contours doivent encore être précisés. Parmi les principales mesures évoquées figurent la somme de 1.400 dollars distribués directement aux citoyens. Cette enveloppe devrait représenter environ 465 milliards de dollars du stimulus budgétaire. Il envisage également d'augmenter l'assurance-chômage d'environ 400 dollars par semaine (350 milliards de dollars). Il a également annoncé un arsenal d'aides massif pour les collectivités de l'ordre de 350 milliards de dollars. "Ce plan de 1.900 milliards vise d'abord le maintien ou la prolongation des mesures d'urgence sur les ménages. Ces mesures sont relativement consensuelles. Dans ce paquet, la hausse du salaire minimum au niveau fédéral de 15 dollars pourrait en revanche susciter des discussions plus longues avec les républicains" explique le directeur de la recherche macroéconomique chez Saxo Banque Christopher Dembik interrogé par La Tribune. En effet, l'introduction du salaire minimum de 15 dollars à l'échelle fédérale risque d'enflammer les débat au Congrès. Beaucoup de conservateurs annoncent déjà des milliers de suppressions de postes en raison de la hausse du coût du travail.

De son côté l'économiste de l'OFCE, Christophe Blot estime "que les ambitions des mesures d'urgence vont d'abord être de lutter contre les conséquences économiques de la pandémie. Elles s'inscrivent dans la continuité des mesures prises au printemps 2020. Dans le détail, ce sont principalement des mesures qui se ressemblent comme les mesures d'aides au chômage par exemple. Beaucoup de mesures sont ciblées sur les collectivités. Les Etats et comtés sont moins en capacité de s'endetter en raison de moindres rentrées fiscales. Il existe une volonté de transfert de l'Etat vers les états fédérés." L'exécution du plan de relance va en grande partie dépendre de l'évolution de l'épidémie sur le territoire américain et des états fédérés qui disposent de vastes compétences pour mettre en oeuvre les mesures destinées à endiguer le virus (fermeture des écoles et des commerces).

Un plan contre le réchauffement climatique

Pendant son mandat, le président Trump avait mis un coup d'arrêt à l'ambition étasunienne de participer à la diplomatie verte en se retirant des accords de Paris. Ce départ fracassant avait à l'époque fait la joie de l'industrie des énergies fossiles qui pèsent énormément de l'autre côté de l'Atlantique avec l'exploitation du pétrole de schiste notamment. Au plan national, l'ex-président républicain avait passé son temps à détricoter la réglementation fédérale en faveur de l'environnement et baisser les moyens des principales agences fédérales en charge de ces dossiers brûlants.

Dans son programme présidentiel, le nouveau locataire de la Maison Blanche a prévu un plan de bataille jugé ambitieux par beaucoup d'observateurs avec la neutralité carbone à atteindre en 2050 notamment. Si beaucoup de mesures restent à préciser, Joe Biden a annoncé dans son programme un plan d'investissement dans les énergies renouvelables de 2.000 milliards de dollars sur quatre ans "visant à construire un futur de l'énergie plus propre et équitable avec des infrastructures modernes et durables". Cela devrait passer par "la rénovation de ponts et autoroutes, des espaces verts et des systèmes d'eau, des réseaux électriques pour préparer les fondations d'une croissance durable, afin de résister aux impacts du changement climatique et fournir un accès à de l'air et de l'eau propres".

"Sur le mandat, 2.000 milliards sont prévus. Cela fait environ 500 milliards chaque année. Il ne s'agit pas que d'investissement public. Des mesures doivent contribuer à accélérer l'investissement privé. Plusieurs points sont à préciser. Sur le plan budgétaire, certaines mesures devraient arriver au cours de l'été si la situation sanitaire s'améliore. L'objectif est de changer le modèle de développement des Etats-Unis à plus long terme" observe M.Blot. "Sur la transition énergétique, il s'agit d'une vraie révolution idéologique dans le camp des démocrates. Il y a un changement de paradigme sur la décarbonation de l'économie avec une montée en puissance du nucléaire. Le nucléaire doit contribuer à la transition écologique. L'autre objectif du plan de Biden est la résilience. L'idée est d'avoir des infrastructures qui permettent de résister à des aléas climatiques" complète Christopher Dembik.

Autre nouveauté, la secrétaire au Trésor et ex-responsable de la FED, Janet Yellen, a annoncé lors de son audition au Sénat qu'elle allait créer une équipe dédiée au changement climatique au sein de son administration. Là encore, les marges de manoeuvre du nouveau président sont étroites. Même si le pétrole est de moins en moins rentable, surtout depuis la pandémie, l'industrie fossile et l'industrie automobile aux Etats-Unis emploient des millions de travailleurs. Surtout, la puissance américaine est devenu le principal exportateur de pétrole brut au monde. Le bras de fer avec les géants pétroliers s'annonce tendu dans un pays qui est le deuxième émetteur de CO2 sur la planète.

pétrole schiste

Des pompes servant à l'extraction du pétrole dans le Texas. Crédits : Reuters.

Une industrie Made in USA

Sans surprise, Joe Biden a réalisé une grande partie de sa campagne sur le thème du nationalisme économique tout comme son rival fidèle à son slogan "make america great again". Le candidat démocrate ainsi dit vouloir assurer que le futur sera "made in America" pour tous les travailleurs. Il prévoit que cette ambition passera notamment par un accroissement des dépenses fédérales chaque année "pour le matériel de Défense, en passant par l'acier ou les flottes automobiles dans le but d'aider les industries américaines et leurs travailleurs."

Là encore, la réindustrialisation qui est un thème à la mode dans la plupart des pays développés risque d'être freinée par les pays à bas coût de l'Asie. Les multinationales qui vont chercher à refaire leurs marges après la récession devraient s'orienter vers des pays où les coûts de main d'oeuvre sont toujours moins chers. Il a néanmoins proposé le retour des chaînes de logistique critiques. "Nous devons arrêter de dépendre de la Chine ou des autres pays pour la production de produits critiques".

Commerce : pas de rupture attendue

Sur le front de la politique commerciale, la plupart des économistes interrogés ont expliqué qu'ils ne s'attendaient pas à un tournant de la part de l'administration Biden. Si le nouveau chef d'Etat a annoncé sa volonté pour les Etats-Unis de retrouver une place dans les instances multilatérales, il ne veut pas forcément baisser la garde vis à vis de la Chine. En effet, beaucoup de pommes de discorde subsistent entre les deux puissances planétaires sur la propriété intellectuelle, et le numérique. "Concernant la politique commerciale, il y a une réelle continuité sur le fonds. Il existe un accord bipartisan sur les mesures à adopter face à la Chine. Les dissensions commerciales vont subsister" complète l'économiste de Saxo. "Sur le plan diplomatique, les choses vont changer en apparence. Il s'est montré ouvert au multilatéralisme. Les relations devraient changer avec l'Europe. Sur la bataille entre Airbus et Boeing, le conflit était antérieur. La concurrence forte sur l'aéronautique va se maintenir. La protection de ces secteurs est important pour les Etats-Unis et l'Europe" signale Christophe Blot.

Déjà, la future secrétaire au Trésor Janet Yellen lors de son grand oral devant des sénateurs américains a déclaré que les Etats-Unis allaient déployer un large arsenal d'outils pour contrer les pratiques "abusives", "injustes" et "illégales" de Pékin. Face aux autorités chinoises qui affirment leur volonté hégémonique, Joe Biden a également annoncé un rapprochement avec l'Union européenne sur le plan commercial. Sur ce sujet, les négociations sur les différents traités de libre-échange pourraient être freinées par l'aile gauche du parti démocrate qui bataille depuis des années contre ces accords parfois jugés "néfastes" et favorisant les pratiques de dumping social, fiscal ou environnemental. "Sur le libre-échange, l'arrivée de Biden signe le retour des Etats-Unis dans les instances internationales mais ils ont perdu la manche et cela devrait être très dur de revenir dans la course" précise M.Dembik. Il évoque notamment la récente signature du grand traité entre la Chine et les autres pays asiatiques faisant de cette zone le plus grand espace commercial de la planète.

> Lire aussi : "Biden ne va pas baisser les barrières douanières du jour au lendemain"

Fiscalité : une hausse attendue pour les entreprises et les ménages les plus aisés

La politique fiscale de Joe Biden promet quelques changements. Après une baisse importante de la fiscalité des entreprises sous Donald Trump, les firmes devraient être mises à contribution dans les mois à venir. En effet, l'ancien vice-président sous Barack Obama a prévu d'augmenter l'impôt sur les sociétés passant d'un taux de 21% à 28%. Il était d'environ 35% avant la présidence de Trump. En dépit de cette hausse, les entreprises disposent encore beaucoup d'outils pour échapper à l'impôt aux Etats-Unis.

Les débats sur la fiscalité des géants du numérique devraient reprendre très rapidement. En effet, les Etats-Unis avaient clairement freiné les discussions au sein de l'OCDE pour mettre en oeuvre une fiscalité sur les grandes firmes de la tech. Mardi dernier, la secrétaire au Trésor du président Joe Biden a estimé qu'une taxe internationale sur les géants du numérique "permettrait de percevoir une juste part des entreprises, tout en maintenant la compétitivité de nos entreprises et en diminuant les incitations (...) aux activités offshore que nous ne voulons certainement pas récompenser". Là encore, des doutes demeurent sur la réelle volonté des Etats-Unis de taxer des firmes implantées sur leur territoire.

Du côté des ménages, le chef d'Etat a prévu une hausse de la contribution fiscale des plus riches. "Les négociations devraient aboutir à des compensations pour les ménages les plus aisés comme des déductions fiscales. "Le grand soir fiscal ne devrait pas avoir lieu. On est très loin d'une grande redistribution" envisage Christopher Dembik. Lors de la primaire des démocrates, l'aile gauche du parti portée par Bernie Sander et Alexandria Ocasio-Cortez avait ravivé le débat sur la fiscalité des plus aisés outre-Atlantique. Leur défaite avait mis entre parenthèse ces discussions mais avec la crise, elles pourraient à nouveau refaire surface dans un pays marqué par une forte hausse des inégalités depuis 40 ans.

Grégoire Normand
Commentaires 3
à écrit le 23/01/2021 à 9:11
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Beaucoup trop âgé, retraité proche de vivre en Ehpad, pas très sérieux ....

à écrit le 22/01/2021 à 18:36
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Les démocrates feraient mieux de s'occuper des émeutiers gaucho-anarchistes de Portland plutôt que de lancer une procédure inutile d'empêchement contre Donald Trump par pure vengeance personnelle de Nancy Pelosi... à moins que leur stratégie ne soit ...

à écrit le 22/01/2021 à 8:26
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"devant toutes les caméras de télévision du monde entier." C'est vrai que c'est la graisse qui donne du goût, mais seulement à la viande hein... :-) Mais merci de nous éviter le déjà rincé "réconcilier les américains entre eux" et autres tour...

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