"L'Arabie Saoudite a adressé un message à l'Iran mais également à Daech"

Pour Denis Bauchard, spécialiste du Moyen-Orient à l'IFRI et ancien ambassadeur de France en Jordanie, la décision de l'Arabie Saoudite manifeste son inquiétude face à l'influence croissante de l'Iran mais aussi de Daech sur son propre territoire.
Denis Bauchard, spécialiste du Moyen-Orient à l'IFRI, juge que si l'Arabie Saoudite a contribué au chaos du Moyen-Orient, c'est oublier l'intervention américaine en Irak en 2003 qui a largement contribué à la création de Daesh.

LA TRIBUNE - L'Arabie Saoudite a-t-elle eu raison de rompre ses relations diplomatiques avec l'Iran ?

DENIS BAUCHARD - Cette décision a été prise après l'intrusion de manifestants à son ambassade de Téhéran, ce qui est inacceptable pour un Etat souverain. Tout le débat est de savoir si cette intrusion a été commanditée par le pouvoir iranien ou s'il y a eu une défaillance des forces de police. Mais ce n'est pas la première fois que l'Iran s'illustre dans ce type d'incident, je pense à l'assaut de l'ambassade américaine en 1979 qui s'était suivi d'une prise d'otages.

Pourtant, l'intrusion a été écourtée par l'intervention des forces de police iranienne, de même que l'incident a été condamné par le président Rohani...

Les mots du président Rohani ont été faibles, et surtout ils n'ont pas été repris par l'ayatollah  Khameneï. Le président Rohani n'a pas de réels pouvoirs en matière de sécurité publique : il a  essentiellement  un rôle de gestion économique et sociale du pays..

L'Arabie Saoudite n'a-t-elle pas joué une forme de provocation en procédant à l'exécution d'un dignitaire chiite ?

Sur les 47 personnes exécutées ce jour-là, cinq seulement étaient de confession chiite, les autres étaient des sunnites convaincues d'entreprise terroriste en lien avec Al Qaïda ou Daech. Pour l'Arabie Saoudite, il s'agissait d'adresser plusieurs messages. D'abord qu'elle entendait répondre avec la plus grande fermeté au terrorisme et à la déclaration de guerre de Daech. Ensuite, elle a affirmé sa volonté de contrôler sa minorité chiite, et ainsi adresser un message à l'Iran tout en donnant un gage au clergé  wahhabite saoudien. En revanche, on peut s'interroger sur l'opportunité d'une telle initiative. Les risques ont probablement été mal calculés compte tenu du contexte actuel...

On a le sentiment que l'Arabie Saoudite est sur la défensive...

En effet, elle l'est parce que ses relations avec les Etats-Unis se sont extrêmement détériorées ces dernières années. Plusieurs éléments font partie du contentieux avec Washington :  le lâchage de Moubarak en Egypte, la mollesse de leur intervention en Syrie contre le président Assad alors que « les lignes rouges » avaient été franchies,  le récent accord sur le nucléaire signé avec l'Iran, et enfin, la complaisance avec Israël au Proche-Orient. Il faut ajouter à cela le développement  de l'influence iranienne dans la région, de l'Irak au Liban. Cette attitude défensive conduit Ryad à prendre des initiatives sans en référer à Washington comme le montre l'intervention très risquée au Yémen. Mais l'Arabie Saoudite est également en prise avec des défis intérieurs. Elle doit ainsi répondre aux attentes de la jeunesse saoudienne et mener des réformes structurelles et économiques ambitieuses, tout cela dans un contexte d'un  déficit budgétaire important -130 milliards de dollars pour l'exercice en cours-, conséquence de la chute des cours du pétrole, à laquelle elle a contribué. Enfin, la question de la transition peut ajouter à la confusion. Le roi Salman qui a succédé à son frère, le roi Abdallah, à la mi-2015, est malade. Or, si le prince Mohamed Al Nayef est premier dans l'ordre de succession, son fils, Mohamed Ben Salman, est vice prince -héritier. Mais, cet ordre n'a toujours pas été avalisé par le Conseil d'allégeance, qui est l' instance familiale chargée de gérer la succession au trône. Il y a donc un risque de rivalité entre les deux prince- héritiers en cas de succession.

Faut-il craindre une escalade dans l'affrontement confessionnel entre sunnites et chiites ?

Cet affrontement existe déjà, mais il est largement instrumentalisé par l'Iran et l'Arabie Saoudite. Ce que l'on peut craindre c'est que l'exécution des personnalités chiites qui vient d'avoir lieu n'entrave sérieusement les processus de réconciliation amorcés au Yémen, et en Syrie. Le véritable enjeu de ce conflit entre ces deux puissances est le leadership régional. D'un côté, les Iraniens entendent affirmer leur influence sur le Golfe dont ils soulignent le  caractère persique. De l'autre côté, l'Arabie Saoudite lui dispute le leadership idéologique et religieux dans le monde islamique.

L'Arabie Saoudite a-t-elle intérêt à la déstabilisation du Moyen Orient ?

Elle mène la politique étrangère qui correspond à ses intérêts, ou, en tout cas, la perception qu'elle a de ceux-ci. Cela a certes contribué à accentuer le chaos au Moyen-Orient. D'ailleurs, il suffit de voir l'énergie qu'elle déploie au Yémen avec une centaine d'avions mobilisés, tout en étant très discrète en Syrie et en Irak dans la lutte contre Daech. Mais l'Arabie Saoudite n'est pas la seule responsable de cette situation. Je rappelle que cette organisation terroriste est largement le produit de l'intervention américaine en 2003 qui a conduit au démantèlement de l'Etat irakien, et notamment de l'armée de Saddam Hussein dont de nombreux cadres ont rejoint avec armes et bagages les insurgés.

Les Occidentaux semblent stupéfaits de l'attitude des Saoudiens ces derniers temps, tout en s'étant rapprochés de l'Iran. Sont-ils engagés dans un rééquilibrage de leur politique régionale, ou assiste-t-on à un basculement d'alliance ?

D'abord, il n'y a pas une seule position dans le bloc occidental. Du côté américain, il y a clairement une volonté de se désengager du bourbier moyen-oriental. Washington est désireux de rééquilibrer sa politique étrangère dans la zone pacifique devenue prioritaire pour contrer la montée de l'hégémonie chinoise. La France, elle, se range clairement du côté de l'Arabie Saoudite avec qui les relations sont excellentes. Certes, le quai d'Orsay a publié  un communiqué pour afficher ses réserves suite aux exécutions du 2 janvier, mais le mot utilisé - "déplorer" - a , dans le langage diplomatique, une   faible portée.

Commentaires 21
à écrit le 08/01/2016 à 21:10
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L'Arabie Saoudite est une dictature dirigée par une famille qui capte toute la richesse du pays sans rien faire, ni études ni investissements. Vous avez 6 millions de travailleurs étrangers dans ce pays et seulement 4 millions de Saoudiens qui trava...

à écrit le 06/01/2016 à 12:44
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A qui doit on tout ce chaos au Moyen Orient si ce n'est a l'ingérence des euro-atlantistes et US! N 'allons pas chercher "les méchants" où il ne sont pas!

le 06/01/2016 à 17:06
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Russie qui soutient le dictateur syrien depuis le départ n'est donc pour rien dans ce chaos! Ukraine aussi, bah non ce n'est pas moi, mais qui donc alors? L'Iran n'est donc pas responsable du chaos au Yémen! Pas plus que la Chine n'est responsable ...

à écrit le 06/01/2016 à 11:55
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Incroyable, le nombre de spécialistes en tous genres que la France possède. Il suffit de voir nos minables médias pour s'en persuader. Je suis spécialiste dans la bêtise humaine (spécifiquement française; surtout celle de nos décideurs)...

à écrit le 06/01/2016 à 11:16
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"cette organisation terroriste est largement le produit de l'intervention américaine en 2003 qui a conduit au démantèlement de l'Etat irakien, et notamment de l'armée de Saddam Hussein dont de nombreux cadres ont rejoint avec armes et bagages les ins...

à écrit le 06/01/2016 à 10:21
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L’Arabie Saoudite "envoie un message" en coupant au sabre 47 têtes, rien à signaler. Mais l'intrusion de quelques manifestants dans l'ambassade à Téhéran, ça oui c'est scandaleux, ça oui c'est une grave atteinte à la bien séance. Ben oui quoi, déra...

le 06/01/2016 à 14:25
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Merci pour votre commentaire, suis d'accord avec vous.

à écrit le 06/01/2016 à 9:17
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Le Moyen Orient est en guerre, la guerre gronde de la Turquie au Yémen. Est ce notre guerre : NON Exigeons le rapatriement de toutes nos forces et troupes en France, toutes càd exigeons aussi la fermeture de nos bases dans les pays du Golfe, dont E...

le 07/01/2016 à 0:00
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La prise de position de l'exécutif français en faveur des pays du Golf est une erreur politique majeure

à écrit le 06/01/2016 à 5:10
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Pour que 2016 soit une bonne année… Inutile de s’envoyer des vœux et/ou de se souhaiter bonne année pour espérer le moindre changement. Pour que les choses changent vraiment — et elles pourraient changer — nous sommes invités à prendre d’urgence ...

le 06/01/2016 à 10:53
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EXELLENT RAISONNEMENT???

le 06/01/2016 à 12:05
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Recopier les éléments de langage du FN sur tous les médias n'en font pas une vérité.

le 06/01/2016 à 12:22
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Excellent article et Merci à La Tribune de l'avoir publié. La Révolution doit commencer en Amérique et se propager sur toute l'Europe. "Dieu le Fric" responsable de toute la misère du Monde et de la folie de certains et certaines, doit être maîtris...

à écrit le 05/01/2016 à 23:37
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"De l'autre côté, l'Arabie Saoudite lui dispute le leadership idéologique et religieux dans le monde islamique" Non l'Iran ne lui conteste pas un leadership religieux auprès des sunnites, par contre l'Arabie Saoudite veut continuer à assumer ce rôle ...

à écrit le 05/01/2016 à 23:08
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@BONSOIR : Je voudrai bien quelqu'un compétent me dise comment DAECH peut se procurer des 4X4 tous neufs .... depuis que les bombardements les détruisent DAECH en a toujours il faut bien que ces véhicules soient débarqués dans un port puis acheminé...

le 06/01/2016 à 12:09
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Vous avez une vision bien ethnocentriste et occidentale. DAECH contrôle une zone a cheval sur 4 pays et se fiche des "frontières" qui n'ont d’ailleurs jamais vraiment été étanches dans cette région.

à écrit le 05/01/2016 à 21:16
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L'Arabie saoudite a besoin de daesh et d'al-Qaïda pour mener sa guerre contre l'influence chiite car les ils n'ont pas la force militaire suffisante dans sa lutte donc ils les utilise tout en étant conscient que sa peut se retourner contre eux ils es...

à écrit le 05/01/2016 à 19:55
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Parenthèse du 12 décembre: Elections municipales, première fois que les femmes ont le droit de se présenter et de voter, 17 élues, dont une à La Mecque et une autre à Al Djaouf, ville importante au nord. Après l’encouragement à l'inscription des ét...

le 06/01/2016 à 7:02
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OK avec cette vision de la situation! La France n'a pas beaucoup de soutiens sur la Syrie, Liban, etc. Compliqué ce foutoir! Et les valets britanniques sont aussi aux abonnés absents, comme leurs maitres. UK, paradis des communautarismes, Ils héberg...

à écrit le 05/01/2016 à 19:11
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C'est vrai que la France a de bonnes relations avec l'Arabie Saoudite, comme elle en avait avec Kadafi... Je pense que suite à l'attentat du 11 septembre, l'avenir de l'Arabie était scellée. Le fait que les USA se rendent indépendants du pétrole Saou...

le 05/01/2016 à 19:59
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@Dingo Dingo c'est certain! Accidenté de la tétine ou de la poussette?

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