L'Inde, meilleure amie des Etats-Unis de Donald Trump ?

Si l'on sait que Donald Trump entend se rapprocher de la Russie, on évoque moins ses relations avec l'Inde de Narendra Modi. Les deux pays ont pourtant beaucoup de raisons désormais de se rapprocher.
Narendra Modi jouera-t-il la carte Trump ?

Trois jours après son investiture, le nouveau président des Etats-Unis Donald Trump a donc signé lundi 23 janvier 2017, un décret retirant son pays du partenariat trans-Pacifique (TTP). Cette décision a sans doute causé bien de l'irritation parmi les signataires, à Tokyo, Hanoi ou Kuala-Lumpur, notamment, où l'on comptait sur ce traité pour pénétrer encore davantage le marché étasunien. Mais elle a sans doute fait aussi un satisfait : le premier ministre indien, Narendra Modi.

Risques du TTP pour l'Inde

Le chef du gouvernement indien avait en effet de quoi se montrer inquiet. Lui qui, depuis son arrivée au pouvoir en mai 2015, a fait du doublement des exportations d'ici 2022 une de ses priorités, avait en effet de quoi être inquiet du TTP. Selon les études de l'administration de New Delhi, le TTP, qui incluait le premier marché étranger de l'Inde, les Etats-Unis, mais aussi d'autres marchés clé du pays comme le Japon, le Canada ou l'Australie, risquait de couter 2,7 milliards de dollars par an aux entreprises indiennes.

Les produits malaisiens, vietnamiens ou péruviens auraient en effet vu ces marchés s'ouvrir plus facilement, tandis que les marchandises indiennes auraient dû toujours compter avec les contraintes tarifaires et non tarifaires, mais aussi avec les nouvelles contraintes des marchés du TTP. Pire, en incluant les investissements directs étrangers perdus, le coût pour l'Inde aurait pu s'élever à 4 à 5 milliards de dollars annuels. Surtout si d'autres pays comme la Corée ou la Chine rejoignaient le traité...

Vers des liens plus étroits ?

Finalement, donc, le risque s'éloigne, du moins pour les Etats-Unis. C'est une bonne nouvelle pour Narendra Modi qui a, du reste, beaucoup de raisons, de se réjouir de l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Certes, le temps où l'Inde était considérée avec une certaine hostilité par les Etats-Unis est déjà loin.

Le rapprochement entre New Delhi et Washington s'est accéléré avec la fin de la guerre froide et Barack Obama s'est rendu deux fois au cours de ses deux mandats dans le deuxième pays le plus peuplé du monde. Mais l'arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, en entraînant une redistribution des cartes politiques et économiques dans le monde, donne à l'Inde une importance nouvelle pour Washington.

Deux Nationalistes radicaux

Les deux dirigeants ont, d'abord, beaucoup en commun. Comme Donald Trump, Narendra Modi est un nationaliste de la veine la plus radicale marqué par une forte hostilité envers les Musulmans. Membre de la Rashtriya Swayam Seva (RSS), mouvement ultra de la droite hindouiste, connu pour être responsable de l'assassinat en 1948 du Mahatma Gandhi, il a joué un rôle trouble, en tant que gouverneur de l'Etat de Gujarat dans les pogroms antimusulmans qui ont secoué cette région en 2002. Dans la pensée de Narendra Modi, comme dans celle du BJP, son parti, la nation indienne est par essence hindoue, les Musulmans, les Bouddhistes et les Chrétiens doivent se soumettre à l'ordre hindou.

Cette vision n'est pas sans déplaire à Donald Trump qui ne manque aucune occasion de fustiger les Musulmans et qui, lui aussi, à une vision simpliste de la « nation américaine », comme le prouve le retrait de la version hispanophone du site de la Maison Blanche.

Deux libéraux convaincus

Mais pour Narendra Modi comme pour Donald Trump, ce nationalisme forcené s'accompagne d'un libéralisme économique fort, même s'il est compris dans un cadre national. Au Gujarat, Narendra Modi a offert des avantages incomparables aux investisseurs et aux entreprises.

En 2015, il a promis un vrai « choc libéral » et des « réformes d'envergure » accompagnés d'une baisse de la dépense publique. Le monde économique et les investisseurs internationaux ne cachaient pas leur enthousiasme devant celui qu'ils appelaient le « Reagan indien » (référence partagée avec Donald Trump). Narendra Modi fait pleinement confiance au marché et aux pouvoirs économiques établis pour développer son pays, comme Donald Trump qui compte sur les baisses d'impôts aux entreprises pour attirer et créer des emplois.

Patriotismes économiques

Dans les deux cas, cependant, ce libéralisme est bien encadré dans un cadre national. Donald Trump entend renforcer les barrières douanières et rapatrier les usines aux Etats-Unis. Narendra Modi veut libéraliser l'Inde et développer ses exportations, mais il n'a pas réduit réellement les barrières douanières dont le pays fait très souvent usage (il est celui qui a le plus souvent utilisé les clauses de sauvegarde de l'OMC de 1995 à 2015). Ainsi, en septembre et décembre, le gouvernement indien a relevé ses droits de douane sur l'acier pour contrer la baisse des prix chinois, notamment. La grande idée de Narendra Modi était, du reste, de réduire les importations et l'immense déficit commercial du pays (125 milliards de dollars en 2015) en favorisant la production indienne. Cette initiative « Make in India » ressemble fort au mercantilisme promu par Donald Trump.

Une attention mutuelle

Si Narendra Modi est issu des castes « arriérées » et est le fils d'un marchand de thé quand Donald Trump a hérité de l'essentiel de sa fortune, les deux hommes ont donc d'immenses points communs : leurs conceptions économiques et politiques sont extrêmement proches et ils sont faits pour s'entendre. Narendra Modi twitte lui aussi beaucoup, même si son ton - pratique du yoga oblige - est plus posé que celui du New-yorkais.

Il a même été le premier homme politique indien à faire un usage immodéré des nouvelles technologies dans ses campagnes. Il a d'ailleurs félicité sur Twitter le nouveau président étasuniens et s'est dit « impatient » de travailler avec lui. Quant à Donald Trump, il a particulièrement été attentif à prendre soin de sa relation avec l'Inde durant sa campagne, ce qui tranche avec la violence de ses propos contre la Chine et le Mexique. Ainsi, le 16 octobre dernier, trois semaines avant l'élection, Donald Trump ne tarissait pas de louanges sur « l'Inde et les Hindous », alors que cette communauté est très minoritaire aux Etats-Unis. « Vous aurez un ami fidèle à la Maison Blanche avec moi », avait ainsi dit le milliardaire en ajoutant avoir « une grande confiance dans l'Inde ».

La Chine, un adversaire commun ?

Il est vrai que les intérêts des deux pays semblent se rejoindre. Les Etats-Unis de Donald Trump semblent s'être donnés comme objectif la réduction de leurs déficits courant et commercial. En cela, les pays en excédent, Chine, Allemagne et même Japon, sont jugés comme des adversaires. L'Inde et la Russie sont des alliés potentiels dans cette configuration, accusant eux aussi des déficits importants.

Dans ce cadre, la Chine semble être un adversaire commun à New Delhi et Washington. L'Inde continue à avoir des différends frontaliers au Cachemire avec la Chine, mais, au-delà, la « plus grande démocratie du monde » s'inquiète de la politique commerciale chinoise qui est une des sources du déficit commercial indien. New Delhi, on l'a vu dans le cas de l'acier, s'agace de la déflation exportée par la Chine et d'un modèle de développement chinois plaçant l'industrie indienne sous pression. La rivalité économique entre les deux géants asiatiques n'est que balbutiante, mais il est certain que l'objectif de croissance des exportations de Narendra Modi ne peut être atteint sans un recul chinois. Les circonstances placent donc New Delhi dans le camp de Washington.

Alliance défensive entre l'Inde et les Etats-Unis ?

Certes, l'Inde affiche un immense excédent commercial face aux Etats-Unis : de 22 milliards de dollars en 2016. De quoi irriter Donald Trump, qui peut cependant trouver un terrain d'entente avec l'Inde. Si la position exportatrice de la Chine est affaiblie, si le TTP ne voit pas le jour, l'Inde pourrait renforcer ouvrir son marché à certains produits étasuniens dont la production aura été relocalisée, compensant ces importations nouvelles par un renforcement de la production nationale et des exportations vers les Etats-Unis. L'Inde ne pourra pas immédiatement prendre la même place que la Chine, son secteur industriel étant bien moins puissant. Autrement dit, Washington pourrait accepter son déficit avec l'Inde pour combattre son déficit avec Pékin. Dans une guerre commerciale avec la Chine, l'Inde pourrait être un atout sûr pour les Etats-Unis, bien davantage qu'une Russie qui fait les yeux doux à Pékin depuis des années.

Passe difficile pour Narendra Modi

Pour Narendra Modi, un renforcement des liens avec Washington serait bienvenu. La politique de « réformes » du premier ministre s'est enlisée en 2016, les trois grandes lois attendues, sur le marché du travail, sur l'unification fiscale et sur la propriété foncière, tardent à voir le jour au goût des investisseurs internationaux qui demandent plus. Mais l'utilisation de la méthode forte pour la démonétisation des billets de 500 et 1000 roupies - qui devait envoyer un message fort dans le sens des « réformes » - a conduit à un chaos durable qui, si l'on en croit le FMI coûtera cher à l'économie qui devrait voir en 2017 sa croissance repasser sous les 7 % à 6,6 %. Lorsque l'on sait le caractère fortement inégal de la croissance indienne, c'est une très mauvaise nouvelle pour le gouvernement BJP qui a, par ailleurs comme prévu, attisé les conflits religieux durant l'année 2016.

Narendra Modi demeure populaire, principalement en raison de l'état désastreux du principal parti d'opposition, le Congrès national indien (INC), perclus de corruption et d'une opposition politique très fragmentée. Mais cette popularité va être soumise à rude épreuve en 2017 avec pas moins de sept scrutins régionaux, dont celui dans l'immense Etat d'Uttar Pradesh, 200 millions d'habitants, où le BJP est favori. Une alliance de facto avec Washington et la perspective de ne pas voir l'Inde incluse dans la guerre commerciale tous azimuts que les Etats-Unis entendent mener avec le reste du monde, serait sans doute une force pour le premier ministre.

Incertitudes géopolitiques

Sur le plan géopolitique, un rapprochement encore plus étroit entre Washington et New Delhi placerait cependant le Pakistan sous pression. Difficile alors d'évaluer les conséquences d'une telle situation dans une région où Inde, Chine et Pakistan disposent tous de l'arme nucléaire et alors que le Pakistan joue aussi un rôle trouble dans le chaos afghan, notamment face à l'Iran, l'autre grand ennemi déclaré de Donald Trump...  La politique économique de Donald Trump pourrait alors redéfinir l'ensemble des relations entre les pays de cette région, mais aussi, plus globalement de l'ensemble de l'Asie, ouvrant une ère de grande incertitude. Et de grands dangers...

Commentaires 9
à écrit le 26/01/2017 à 6:21
Signaler
Dans les annees 50/60 il y avait le peril jaune, rien ne s'est passe. Puis un peu + tard la crise des missiles de Cuba, tjrs rien et puis.... Croyez-vous sincerement qu'un chef de gouvernement quelqu'il soit sera assez dingue pour appuyer sur le bou...

à écrit le 24/01/2017 à 17:33
Signaler
Et de grands dangers... Je me demande si ce coup-ci il ne serait pas raisonnable d'envisager la construction et l'équipement d'un abri anti-atomique sous la maison, au vu du nombre de pays qui dispose de ce joujou et qui poussés dans leurs derniers r...

à écrit le 24/01/2017 à 16:05
Signaler
Il y a une véritable installation du nationalisme dans le monde. Cela n'est pas du goût des médias qui particulièrement en France font tout pour le combattre ce qui est un pur dénie de démocratie car ces partis sont arrivés au pouvoir par la volont...

le 24/01/2017 à 17:42
Signaler
@Robespierre007 On vous l'a dit et répété: "Le Nationalisme, c'est la guerre". Ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas se faire respecter, être naïf. Quant aux Partis Nationalistes, ils avancent toujours masqués reprenez l'Histoire de L'Allemagne...

le 24/01/2017 à 18:16
Signaler
A @VALBEL 89 Vous écrivez : "On vous l'a dit et répété, le nationalisme c'est la guerre" : vous êtes décidément très imprégné par la propagande polico-médiatique ambiante et cette pensée unique abrutissante. Le nationalisme s'il est bien piloté - e...

à écrit le 24/01/2017 à 15:42
Signaler
En matière politique, les Indiens sont des champions. Il sont "potes" avec quasiment tout le monde et tirent donc les marrons du feu à chaque occasion :-)

à écrit le 24/01/2017 à 8:59
Signaler
Merci pour cet article mais Trump peut se permettre certaines outrances vis à vis de la Chine mais pas toutes et si jamais les états unis devaient montrer une trop grand proximité avec le rival historique indien les chinois pourraient très mal réagir...

le 24/01/2017 à 17:54
Signaler
L'économie c'est aussi le militaire, plus exactement le Complexe-Militaro-Industriel. Souvenons- nous de la prédiction d'Eisenhower "Mefiez-vous du Complexe-Militaro-Industriel" .Comme militaire et Président des US on peut penser qu'il savait de q...

à écrit le 24/01/2017 à 8:57
Signaler
Sauf que l'Inde ,la Chine ,la Russie font parties des BRICS aux relations commerciales trés étroites .Les relations ,surtout militaires entre l'Inde et la Russie on fait du marché militaire indien une exclusivité quasi russe (avec quelques avions et ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.