"L'inflation, c'est comme la pâte dentifrice : une fois qu'elle est sortie du tube, il est impossible de l'y faire rentrer ; ainsi, il vaut mieux ne pas appuyer trop fort sur le tube." La formule du président de la Bundesbank durant les années 1980, Karl Otto Pöhl, est peut-être éculée mais elle reste toujours d'actualité, alors que s'ouvre aujourd'hui jusqu'à mercredi une réunion du comité (FOMC) de la Fed.
En décembre, l'institution monétaire avait déjà annoncé qu'elle prévoyait plusieurs hausses de taux pour cette année - la première probablement à partir de mars -, l'arrêt de son programme de rachats d'actifs et une réduction de son bilan. Il reste à fixer le calendrier, et c'est là que tout se complique car la Fed est en train d'entrer en territoire inconnu.
L'inflation augmente dans de nombreux pays
Cela fait en effet des décennies que l'institution monétaire américaine n'a pas été confrontée à cette équation : une inflation à 7%, au plus haut depuis 40 ans, un faible taux de chômage, qui à 3,9% revient pratiquement à ses niveaux de pré-pandémie, mais un marché du travail tendu notamment en raison de la pénurie de main-d'oeuvre, alors même que les salaires sont en forte progression. Or, le mouvement ne se cantonne pas aux seuls Etats-Unis.
"L'inflation augmente dans un nombre croissant de pays. Ce qui a commencé comme une histoire sur les prix de l'énergie et des voitures d'occasion s'est largement répandu : dans certaines parties du monde, les prix et les salaires sont soumis à une forte pression à la hausse", souligne Stephen King, économiste chez HSBC.
L'importance de la communication
En décembre, la Réserve fédérale avait averti - la communication aux acteurs économiques, notamment les marchés financiers est essentielle - qu'elle envisageait trois hausses des taux d'intérêt d'ici la fin de 2022, ce qui porterait le taux directeur - celui de court terme - entre 0,75% et 1%. Cette action permettrait de ramener le taux d'inflation sous la barre des 3% (l'objectif pour la Fed est normalement fixé à 2%).
Mais si l'inflation persiste au-dessus de ces 3%, la Fed pourrait se montrer plus agressive pour éviter la surchauffe de l'économie. "Rares sont les scénarios de risque qui s'aventurent jusqu'à anticiper que la Fed puisse décider de relever les taux directeurs à chacune de ses 7 réunions de cette année, et ce, dès sa réunion du 16 mars prochain. Dans une telle hypothèse, les taux directeurs s'établiraient entre 1,75% et 2% d'ici au 14 décembre 2022. Les responsables de la Fed sont évidemment conscients des incidences possibles d'un tel scénario et notamment de la tempête qu'il déclencherait sur les marchés. Ce raisonnement incite à revenir vers le consensus qui table sur 4 relèvements de taux cette année", analyse Peter de Coensel, CEO de Degroof Petercam Asset Management (DPAM).
Au début du mois, Jerome Powell expliquait aux sénateurs qui l'auditionnaient que l'inflation résultait de la persistance des perturbations des chaînes d'approvisionnement qui réduisait l'offre de produits face à une demande en forte hausse avec la sortie des confinements. En conséquence, une hausse des taux devrait freiner cette demande des produits dont les prix ont augmenté, résorber les goulets d'étranglement et déplacer la demande vers le secteur des services où l'inflation a été plus modérée.
Le FMI révise à la baisse la croissance des Etats-Unis
Reste à savoir si un tel scénario va fonctionner, quand ce sont des produits de première nécessité comme l'énergie et les denrées alimentaires qui ont vu leurs prix flamber. Aujourd'hui, il est impossible de savoir à quelle vitesse l'inflation va baisser au premier semestre, et en conséquence de fixer précisément l'amplitude de la hausse des taux et leur nombre.
Cela dépend du rythme de l'activité aux Etats-Unis. Or, dans ses projections publiées ce mardi, le FMI a fortement révisé à la baisse - de 1,2 point - son estimation de la croissance aux Etats-Unis en 2022, prévue désormais à 4% contre 5,2% estimé en octobre. Un scénario qui intègre une hausse des taux et la persistance des perturbations des chaînes d'approvisionnement.
En effet, le Fonds insiste dans son rapport sur les conséquences pour les autres pays, notamment les émergents, du resserrement de la politique monétaire des Etats-Unis, comme si le spectre de la crise de 1994 revenait hanter les mémoires des experts de l'institution. Cette avait été déclenchée par un krach obligataire entraîné par la décision d'Alan Greenspan, à l'époque président de la Fed, de remonter légèrement les taux. Elle avait mis au tapis nombre d'économies émergentes, en commençant par le Mexique.
Aussi, le signal envoyé aux marchés apparaît quasiment aussi important que le contenu. Sur ce point, la Fed n'a cessé de répéter le caractère "mesuré" de ses relèvements de taux qui seront "graduels", comme cela fut le cas en 2004 et 2015, tirant les leçons des expériences passées.
Les conséquences de la politique monétaire américains sur les émergents
Car le resserrement de la politique monétaire de la première puissance mondiale va obliger le restant de la planète à s'adapter, notamment les économies émergentes et leurs devises. "Des taux d'intérêt plus élevés vont augmenter le coût des emprunts à l'échelle mondiale, ce qui pèsera sur les finances publiques. Pour les pays fortement endettés en devises étrangères, la combinaison de conditions financières plus strictes, de la dépréciation des taux de change et de la hausse de l'inflation importée conduiront à des arbitrages douloureux en matière de politique monétaire et budgétaire", avertit le FMI, ajoutant que "bien que l'assainissement budgétaire soit prévu par de nombreux pays émergents en 2022, le fardeau élevé de la dette post-pandémique sera un défi permanent pour les années à venir."