"Le Chengdu d’aujourd’hui est le Shanghai d’il y a cinq ans"

Si sa croissance connait un ralentissement, la Chine n'a pas dit son dernier mot. La deuxième puissance mondiale ne cesse de "bouger". Elle est dotée de capacités d'adaptation qui lui permettent de résister aux crises, grâce notamment à des entreprises aux structures souples. Le défi pour Pékin aujourd'hui: développer et parachever sa troisième phase économique, celle de l'innovation, juge François Candelon, directeur associé senior du Boston Consulting Group (BCG) basé au bureau de Shangaï.
"La capacité d'expérimentation des sociétés chinoises est excellente. Elles disposent d'organisations dotées d'une structure simple qui leur permet de multiplier les expérimentations", explique François Candelon.

La Tribune - Le ralentissement économique inquiète-t-il les entreprises chinoises?

François Candelon. Il faut préciser que ce ralentissement est relatif et il ne faut pas oublier que l'objectif de la Chine aujourd'hui est d'avoir une croissance soutenable. Cela passe par la nécessité de se focaliser sur des indicateurs comme la création d'emplois et le taux de chômage, plutôt que sur la croissance à tout prix. Les investissements s'orientent vers la lutte contre la pollution et en faveur de la sécurité alimentaire, des problématiques très importantes aux yeux de la population.

Bien sûr, malgré cela, ce ralentissement inquiète la population: 10 % de croissance ne peut pas être un objectif pérenne et chacun le comprend aujourd'hui.

Qu'est-ce qui a porté la croissance chinoise en 2014 ?

Cette croissance de 7,4% se répartit ainsi: 3,8 points pour la consommation, 2,6 pour les infrastructures et 1 point pour les exportations. Jusque-là, les investissements liés aux infrastructures étaient les principaux moteurs de la croissance chinoise. Ils connaissent aujourd'hui un certain ralentissement à cause d'un phénomène de rattrapage. Pour être clair: quand deux aéroports sont construits dans la même ville, le retour sur investissement du troisième est forcément moins important.

Aujourd'hui, la consommation domestique est le principal relais de croissance potentiel. Sa part dans la hausse du PIB sur les dernières années représente entre 3,5 et 4,5 points. Pour rappel, la consommation en Chine représente 36% du PIB, quand elle grimpe à 70% aux Etats-Unis. Il y a donc une belle opportunité de ce côté-là.

Toutefois, il ne faut pas s'attendre à une explosion de la consommation en Chine, pour des raisons culturelles notamment. En effet, une étude montre que même à l'étranger, en Suède par exemple, les communautés chinoises épargnent. Ce sera un relais progressif.

Quid du développement économique à l'intérieur du pays ?

La Chine n'est plus côtière depuis un moment. Il y a une course vers l'ouest. Aujourd'hui, son développement se fait surtout dans le centre du pays. Cette zone progresse à un rythme rapide, et ce sont les villes du centre qui apportent la croissance dans la consommation.

On sous-estime souvent la vitesse à laquelle les choses bougent en Chine. Ce qui me frappe depuis que je suis dans ce pays, c'est que tout va très vite. Le Chengdu ou le Chongqing d'aujourd'hui, c'est le Shanghai d'il y a cinq ans. Reste à voir si ces villes parviendront à développer les infrastructures aussi bien qu'elles attirent les entreprises et les investissements.

Après, il faut nuancer. On retrouve aussi des poches de pauvreté dans le centre du pays comme au Sichuan, au Tibet et dans le pays Ouïghour. Le Premier ministre Li Keqiang l'a d'ailleurs résumé de la façon suivante : "Nous avons le premier, le second et le Tiers Monde".

Pourquoi cette ruée vers l'Ouest?

Les salaires sont moins élevés au centre du pays. En outre, les populations sortent de la ruralité, les villes essaient de se développer. Pour les entreprises, c'est une manière de délocaliser à l'intérieur du pays. Il y a un "avantage coût" dans ces zones, comme il en existait sur la côte auparavant.

Comment la Chine compte pérenniser sa croissance ?

Concernant les exportations (un point de la croissance en 2014), celles-ci sont largement liées au climat mondial, mais aussi à la capacité d'innovation des entreprises chinoises. Car on ne peut plus dire qu'il y a un véritable "avantage coût" dans le pays actuellement. Avec l'augmentation du coût de travail, les entreprises doivent aujourd'hui être en situation d'innover, de se projeter sur des produits à plus forte valeur ajoutée et ne pas se fonder uniquement sur cet avantage coût qui s'est réduit.

Aujourd'hui, le président Xi Jinping est ainsi en train d'inaugurer la troisième phase économique: celle de la création. La première était celle de Mao qui a laissé le pays exsangue. Elle a duré 30 ans. Deng Xiaoping a lancé la deuxième phase avec le fameux "enrichissez-vous". Elle a connu un grand succès sous les présidences de Jiang Zemin et Hu Jintao. Elle s'est fondée sur une main-d'œuvre très qualifiée et peu chère qui a permis de sortir le pays en grande partie de la pauvreté. Bien sûr, la pauvreté existe encore. Il y a 100 à 200 millions de personnes qui ne se nourrissent pas à leur faim tous les jours mais autant sont sortis de la pauvreté sur la période.

Le vrai challenge est donc désormais celui de la troisième phase. L'objectif est de sortir de la phase "middle income" (à revenu moyen par habitant, ndlr) et devenir un pays "highly income" (à haut revenu par habitant, ndlr), ce qui a été réalisé par peu de pays jusqu'à aujourd'hui. Cela passe par l'innovation et le développement de l'entreprise sur des secteurs à forte valeur ajoutée.

L'équilibre entre ces deux mouvements de fond (baisse des exportations à bas coûts et hausse des exportations de produits à valeur ajoutée) va être au cœur du challenge de Xi Jinping. J'espère qu'ils récolteront les fruits de leur démarche d'innovation assez vite. Il faut qu'ils fassent attention aux projets qui sont les leurs. Les véhicules électriques, l'énergie propre sont peut-être des paris à trop long terme. Il faut qu'ils trouvent des relais plus rapides.

L'Etat fait-il des efforts concrets pour pousser les entreprises à innover ?

Les entreprises publiques restent traditionnelles. Xi Jinping a exprimé sa volonté d'utiliser les forces de marché et de moderniser les entreprises d'Etat pour mettre en œuvre une politique qui favorise la mise en place de l'innovation. Il tente de secouer les entreprises publiques. Mais à ce stade il y a peu de changements.
Le gouvernement essaie donc d'aider les entreprises qui innovent déjà. On le voit dans la manière dont ils soutiennent le système bancaire et ses offres en ligne, ainsi que le crowdfunding. Pour rappel, la Chine a bien exprimé cette urgence d'innover, dans un article écrit par la Banque mondiale et le centre de recherche du ministère de l'Economie chinoise en 2012. Le document disait notamment: "Si la Chine ne parvient pas à passer à une économie de l'innovation, elle risque de replonger dans les heures sombres des temps passés".

Par ailleurs comme le Gouvernement doit favoriser l'innovation des entreprises chinoises, celles-ci devront trouver des garanties dans la défense de leur propriété intellectuelle avec un effet collatéral positif sur celle des multinationales occidentales.

La structure des entreprises chinoises leur permet-elle de miser sur l'innovation ?

Oui. Le management chinois a développé une très grande agilité. Tout d'abord, les entrepreneurs chinois ont un rapport au temps différent. En Europe, dans toutes les entreprises, des plans sur 3 ans sont mis en place. Les patrons chinois ne comprennent pas cette notion. Ils ont des plans sur 10 ans avec un impact à long terme, et des plans d'action à 6-12 mois. Cela apporte une cohérence dans la vision et une agilité dans l'action.

Par ailleurs, la capacité d'expérimentation des sociétés chinoises est excellente. Elles disposent d'organisations dotées d'une structure simple qui leur permet de multiplier les expérimentations. Des sociétés sont dotées parfois de milliers de petites business units, comme Haier (une entreprise qui conçoit des téléviseurs et des produits électroménagers, ndlr). Elles privilégient la flexibilité aux synergies. Un œil occidental y verrait des redondances, estimerait que ces entreprises ne sont pas optimisées et c'est totalement vrai. Ainsi, si les projets avancent bien, ils mettent davantage de ressources dans ces derniers.

D'où provient cette capacité d'adaptation ?

Elle est liée à des phénomènes culturels historiques. Par exemple, quand vous êtes haut fonctionnaire, vous êtes membre du Parti communiste. La meilleure façon de se faire remarquer, c'est de prouver sa capacité à adapter des directives nationales au niveau local, les faire coller au terrain. Vous expérimentez en continu des boucles de retour pour savoir ce qui marche. Ce qui ne marche pas bien est stoppé plus rapidement.
Cette qualité permet d'être meilleur dans des périodes incertaines.

Les Occidentaux n'ont pas cette capacité ?

Une des difficultés des entreprises occidentales, européennes en particulier, c'est leur manque de potentiel pour gérer l'incertitude. Il y a toutefois des exemples montrant qu'elles en sont capables. Les Américains arrivent à adapter la structure de coût comme à Détroit où il y a davantage d'emplois aujourd'hui qu'avant la crise. Ce n'est pas le cas dans l'industrie automobile européenne.

Le business modèle chinois s'adapte mieux aux PME, selon Robin Chater, secrétaire général de la Fédération des employeurs européens. Êtes-vous d'accord avec cette analyse ?

Je peux comprendre cette vision. On voit par exemple des entreprises chinoises fondées par des personnalités fortes. Ces sociétés étaient des startups il y a 30 ans. Cela peut correspondre aux PME occidentales d'aujourd'hui.

En revanche, adapter le modèle chinois à de grandes entreprises demanderait une transformation de ces dernières. Je ne suis pas sûr qu'elles l'enclencheraient. Elles auraient beaucoup de mal à revenir à quelque chose de simple qui mette en place des redondances.

Les patrons chinois savent-ils mieux se remettre en question que les Occidentaux?

La capacité à créer de la confiance se fait autrement qu'au travers des contrats en Chine. La capacité de progresser est très confucéenne. Il s'agit de bien se comporter et se remettre en cause, de voir comment se développer et progresser. Les dirigeants chinois ont une manière de dire les choses, une absence de complaisance vis-à-vis d'eux-mêmes. Ils vont nommer les choses et citer les problèmes sans se voiler la face, car les nommer c'est les caractériser pour pouvoir s'y attaquer, ce qui leur permet de progresser. Les entreprises en Occident devraient s'en inspirer.

Par ailleurs, en Chine, si un chef d'entreprise part dans la mauvaise direction, son poste sera vidé de sa substance. Il disparaîtra peu à peu des réunions par exemple. Cela se fait à la chinoise, rarement dans la brutalité...

Les relations entre les entrepreneurs chinois et leurs salariés diffèrent également de ce que l'on peut retrouver dans les entreprises occidentales...

Les entrepreneurs qui ont réussi sont les vainqueurs de la quête darwinienne lancée par Deng Xiaoping au début des années 1980. Ces patrons, qui ont pour une grande partie 55, 60 ou 75 ans, voient leurs salariés comme des fils. En contrepartie, ils leur demandent un engagement élevé.

Ce côté paternaliste est lié à des personnes qui se sont battues, adaptées et ont construit leur empire, comme ce fut le cas pour Michelin en France.
Aujourd'hui, on arrive à une période de rupture sur ce sujet. Les nouvelles entreprises de l'Internet comme Xiaomi partent sur des bases moins paternalistes.

Ces entreprises chinoises éprouvent des difficultés pour se développer à l'étranger...

Les entreprises chinoises sont... très chinoises. Souvent, les dirigeants ne parlent pas anglais. Cela rend difficile l'acquisition de talents non chinois, notamment. Cela est gênant quand les affaires deviennent internationales. Souvent des nationaux "sont projetés" : ce sont alors plus des entreprises chinoises qui opèrent dans différents pays que des multinationales ou sociétés internationales.

Le challenge est de voir comment attirer et faire grandir des non-Chinois dans des entreprises chinoises. Encore une fois, il est nécessaire de se fonder sur autre chose qu'une structure de coût. Si elle devient internationale, une entreprise de service par exemple aura un "avantage coût" différent selon les conditions des pays.

Commentaires 3
à écrit le 25/03/2015 à 8:17
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Quoi qu'il en soit,c'est un événement crucial que la grande et éternelle Chine ait d'ores et déjà recouvré son statut légitime de grande puissance mondiale au moyen de ses propres forces et grâce à son génie spécifiquement national.Elle s'est définit...

à écrit le 24/03/2015 à 19:08
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= ( en avant, go! ) à Chongqing ,il y a 32 millions d'habitants ,4 universités de 100 000 étudiants ! à l 'embouchure des 2 fleuves :Yangtsé et Jialing , se trouve un 'Manhattan chinois ' , un Opera en forme de paquebot et...une ancienne 'petite c...

le 25/03/2015 à 0:28
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Entre sa pollution et son climat, Chongqing n'est pas vraiment la ville qui me fait le plus rêver... Chengdu est bien plus agréable par exemple (même si moins dynamique).

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