Présidentielle américaine : à Miami, la relève est déjà là

[ 8/10 ] A l'occasion de la campagne de l'élection présidentielle aux États-Unis, "La Tribune", le journal des métropoles, propose de vous embarquer pour un "road movie" à travers plusieurs villes pour aller à la rencontre des citoyens d'un pays en plein changement. Aujourd'hui, Miami.
"Obama coward" (Obama, le lâche) disent les pancartes des anticastristes. Trump s'est positionné contre l'ouverture diplomatique envers Cuba initiée par l'actuelle administration. Mais la recomposition de l'électorat en cours en Floride pourrait contrecarrer ses espoirs.

Depuis l'élection de Barak Obama en 2008, en pleine crise économique, l'Amérique a changé. Si, en huit ans, elle s'est relevée, tous les Américains ne ressentent pas de la même façon les effets de la croissance retrouvée. Perte de repères, anxiété face à la menace - devenue réalité pour certains - d'un déclassement économique et social, violence et racisme renouvelés, irruption du terrorisme "local", paralysie à Washington et polarisation politique, sans oublier les problèmes d'immigration, de santé, d'éducation, de droit à l'avortement et de droits civiques : l'Amérique traverse une crise existentielle. Nous l'avons parcourue, de ville en ville, pour prendre son pouls et battre la campagne avec les deux candidats à la présidentielle. Une femme, Hillary Clinton, attendue au tournant de sa longue carrière politique - y compris par certains électeurs démocrates qui ne lui font pas confiance -, face à un milliardaire, que de nombreux républicains bon teint détestent, mais qui a réussi à battre tous les candidats de l'establishement lors de la primaire. Oui, décidément, l'Amérique change. L'Amérique est "on the move", même si nul ne sait où elle arrivera le 8 novembre prochain, à l'occasion de la première élection "post-American dream".

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[ MIAMI, CENTRE FINANCIER ET CULTUREL DE LA FLORIDE ]

En Floride, l'un des plus grands Etats indécis, le paysage électoral a changé. La nouvelle génération d'immigrés cubains est nettement moins républicaine que ses aînés. Et les Cubains sont désormais minoritaires dans la communauté hispanique.

Au restaurant Versailles, une institution de Little Havana, à Miami, qui accueille surtout de vieux messieurs en guayabera, la chemise blanche traditionnelle à quatre poches impeccablement repassée, son arrivée a fait sensation à la fin septembre. Et pour cause, Donald Trump, le candidat républicain à la présidentielle américaine du 8 novembre prochain, a laissé un pourboire de 83 dollars pour un café et une pâtisserie ! Comme il en a pris l'habitude récemment, il est venu lever des fonds, et s'assurer que la base républicaine - composée essentiellement de riches retraités du nord et d'anti-castristes de la première heure, se rallierait bien à sa cause. Trump s'est positionné contre l'ouverture diplomatique envers Cuba initiée par l'actuelle administration. Et avant même que Barack Obama signe, à la mi-octobre de cette année, une directive permettant aux touristes américains de ramener autant de rhum et de cigares qu'ils le souhaitent de Cuba, Trump tweetait qu'il l'annulerait dès qu'il serait élu, de même que la nouvelle diplomatie américaine « jusqu'à ce que les libertés soient restaurées » dans l'île.

De quoi s'attirer la sympathie de l'électorat cubain en Floride ? Pas si sûr... Certains, dans la communauté, n'apprécient pas son populisme autoritaire, qui leur en rappelle un autre, à Cuba, précisément, sans parler de son côté imprévisible. D'autres ont été vexés par ses sorties anti-immigrants. De fait, et c'est nouveau, nombreux sont les Américano-cubains qui se sentent désormais solidaires de tous les autres Hispaniques...

Une communauté hétérogène et de plus en plus démocrate

Car les choses ont changé en Floride. Si les réfugiés cubains de la première heure - qui ont souvent abandonné leur fortune en partant - avaient l'anti-castrisme chevillé au corps, leurs enfants s'intéressent à d'autres choses - l'économie, la santé, l'éducation... En outre, plusieurs vagues d'immigration se sont succédées après celle des années 60. Ceux qui sont arrivés plus récemment ont quitté Cuba pour des raisons plus économiques que politiques. Enfin, quelle que soit leur date d'arrivée en Floride, les Cubains sont désormais minoritaires dans une communauté hispanique forte de près de 5 millions de personnes (la plus grande après celles de Californie et du Texas, équivalant à 24% de la population de l'état). Alors qu'en 1990, elle comprenait 46% de Cubains, 25% de Porto-Ricains et 29% de Centro-américains et Mexicains, en 2010, les Centro-américains et Mexicains représentaient 42% et il n'y avait plus que 31% de Cubains (et 27% de Porto-Ricains), selon une étude du Pew Research Center publiée il y a quelques jours. Cette recomposition explique la propension des électeurs hispaniques (près de 2 millions d'inscrits) à rallier le parti démocrate. Aux Etats-Unis, lorsqu'on s'inscrit sur les listes électorales, il est de coutume de se déclarer démocrate, républicain ou indépendant. Or l'étude du Pew montre que, depuis 2008, les Latinos qui se déclarent démocrates sont plus nombreux que ceux qui se disent républicains. Une tendance de plus en plus marquée, au point que cette année, toutes origines confondues, le nombre d'électeurs inscrits en tant que démocrates dépasse celui des républicains en Floride. C'est cette évolution démographique et sociale qui avait d'ailleurs permis au candidat Obama de remporter la Floride (et le vote hispanique) en 2008 et 2012, alors qu'en 2004, George W. Bush avait encore bénéficié de l'ancienne configuration, à majorité républicaine.

Mobiliser les électeurs

La donne actuelle en Floride, l'un des plus grands swing states - ces états indécis qui peuvent faire ou défaire un candidat - devrait donc profiter à Hillary Clinton. Reste que le nombre d'indépendants y est élevé. Pour qui voteront-ils ? L'Université de Quinnipiac (Connecticut), célèbre pour ses prédictions électorales, note dans sa dernière livraison une avancée démocrate en Floride, due précisément aux indépendants. Ces derniers se reportent aujourd'hui à 46% sur Hillary Clinton (contre 38% pour Trump), dopant ainsi les intentions de vote générales en faveur de la démocrate à 48%, contre 44% pour le républicain. « Un changement notable depuis la dernière étude, en date du 3 octobre, qui montrait un avantage pour Trump (42% contre 39%) » dans ce segment de l'électorat, remarquent les universitaires de Quinnipiac.

Des républicains qui roulent pour Clinton

Mais tout dépendra du nombre de votants. Sur un nom ou un programme, il faut mobiliser les électeurs. Or Trump en rebute plus d'un - y compris des donateurs. Certains, pourtant associés de longue date aux républicains, roulent désormais pour Hillary Clinton ! C'est ainsi le cas de Mike Fernandez, un milliardaire de Coral Gables, qui a fait fortune dans l'industrie de la santé. Après avoir fourni 3 millions de dollars à un super-pac pour soutenir la candidature, malheureuse, de Jeb Bush, ancien gouverneur de Floride et fils de, lors des primaires républicaines, il vient de donner plus de 2 millions pour aider Hillary Clinton dans sa course à la Maison Blanche. A grand renfort de publicités et d'éditoriaux dans les journaux locaux, il encourage les électeurs, et les Latinos en particulier, à voter pour elle, Trump étant selon lui non seulement le candidat le plus médiocre que l'Amérique aie connu mais aussi « un danger pour la république », compte tenu de ses commentaires sur un « trucage » organisé du scrutin, sans parler de ses nouvelles menaces de contestation des résultats à venir, proférées lors du troisième et dernier débat, le 19 octobre à Las Vegas.

Trump aurait donc déjà perdu. Mais, comme disent les commentateurs, il incombe encore à Hillary Clinton de gagner.... Or elle n'électrise pas les foules. Peu de temps après le passage de l'ouragan Matthew, elle a fait étape en Floride en compagnie d'Al Gore pour parler climat - mais pas seulement. « Chaque-voix-compte », a martelé l'ancien vice-président, notamment en direction des jeunes, peu enthousiastes vis-à-vis d'Hillary Clinton. Il sait de quoi il parle. En 2000, à quelques voix près, c'est en Floride que tout s'est joué.

Par Lysiane J. Baudu

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