Présidentielle américaine : Seattle, théâtre de guerre commerciale

[ Série 4/10 ] A l'occasion de la campagne de l'élection présidentielle aux États-Unis, "La Tribune", le journal des métropoles, propose de vous embarquer pour un "road movie" à travers plusieurs villes pour aller à la rencontre des citoyens d'un pays en plein changement. Aujourd'hui, Seattle.
Les manifestations anticapitalistes de 1999, lors du sommet de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), sont encore dans les mémoires. Lors de cette marche anticapitaliste du 2 mai 2016, à Seattle, les manifestants rappellent leur message, avec ce slogan à l'adresse des candidats à la présidentielle.

Depuis l'élection de Barak Obama en 2008, en pleine crise économique, l'Amérique a changé. Si, en huit ans, elle s'est relevée, tous les Américains ne ressentent pas de la même façon les effets de la croissance retrouvée. Perte de repères, anxiété face à la menace - devenue réalité pour certains - d'un déclassement économique et social, violence et racisme renouvelés, irruption du terrorisme "local", paralysie à Washington et polarisation politique, sans oublier les problèmes d'immigration, de santé, d'éducation, de droit à l'avortement et de droits civiques : l'Amérique traverse une crise existentielle. Nous l'avons parcourue, de ville en ville, pour prendre son pouls et battre la campagne avec les deux candidats à la présidentielle. Une femme, Hillary Clinton, attendue au tournant de sa longue carrière politique - y compris par certains électeurs démocrates qui ne lui font pas confiance -, face à un milliardaire, que de nombreux républicains bon teint détestent, mais qui a réussi à battre tous les candidats de l'establishement lors de la primaire. Oui, décidément, l'Amérique change. L'Amérique est "on the move", même si nul ne sait où elle arrivera le 8 novembre prochain, à l'occasion de la première élection "post-American dream".

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[ SEATTLE, LA MEGAPOLE DE L'ETAT DE WASHINGTON ]


Ce n'est pas tant la bataille entre le géant européen Airbus et son rival américain Boeing, dont l'usine principale se trouve en banlieue de Seattle, qui agite les esprits aujourd'hui. Ce sont les accords commerciaux multilatéraux que dénoncent Donald Trump et Hillary Clinton dans un même élan.

Des rues jonchées de poubelles en feu, des vitrines brisées, des milliers de jeunes, mouchoir sur le visage contre les lacrimos lancées par des policiers armés jusqu'aux dents : Seattle se souvient encore de ces journées de stupeur, lorsque les « people of Seattle », comme on avait baptisé les militants anti-mondialisation, ont fait perdre son sang-froid au maire de la ville. Il avait imposé un couvre-feu lors du sommet de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1999. Depuis, bien sûr, l'ambiance est moins électrique dans cette ville de l'État de Washington, au nord-ouest des États-Unis. Mais la bataille de la mondialisation, elle, fait toujours rage. C'est même l'un des thèmes clés de la campagne présidentielle 2016.

En septembre dernier, lors du premier débat télévisé entre les deux candidats à la présidentielle américaine 2016, Donald Trump, en parlant de Bill Clinton, tonnait:

« Il a approuvé le Nafta, qui est le pire accord jamais conclu dans ce pays »

Le candidat républicain cherche à mettre dans le même sac Bill Clinton et Hillary Clinton, son adversaire démocrate dans la course à la Maison-Blanche, en critiquant l'Alena, l'Accord de libre-échange nord-américain (ou Nafta, en anglais) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, accord qui serait, selon lui, responsable de la perte de millions d'emplois américains.

En fait, c'est le républicain George W. Bush qui a signé l'accord, en décembre 1992. Puis Bill Clinton (élu le 3 novembre de cette année-là et entré en fonction fin janvier 1993), tout aussi fervent défenseur de l'accord, qui éliminait les droits de douane, en particulier sur les produits agricoles, le textile et l'automobile, l'a mis en œuvre, en janvier 1994.

Les échanges commerciaux bondissent, mais l'emploi chute

Depuis, selon le Council on Foreign Relations, un institut de recherche indépendant, le volume des échanges commerciaux entre les trois pays s'est envolé, passant d'environ 290 milliards de dollars en 1993 à plus de 1.000 milliards de dollars aujourd'hui. Sur la même période, le nombre de salariés dans l'industrie manufacturière aux États-Unis est passé de 17 millions à 12,2 millions.

Mais si l'accord tripartite y est sans doute pour quelque chose, de même que l'adhésion de la Chine à l'OMC, en 2001, les experts pointent également les avancées technologiques et la robotisation pour expliquer cette érosion. D'ailleurs, selon l'Economic Policy Institute (autre think tank indépendant), seuls 800.000 postes auraient été détruits au profit du Mexique entre 1997 et 2013. En outre, la Chambre de commerce américaine souligne qu'environ 6 millions d'emplois américains dépendent aujourd'hui du commerce avec le voisin du sud. Moralité : lorsque Trump promet haut et fort qu'il rapatriera les emplois perdus s'il est élu et renégociera l'accord, en particulier avec le Mexique, « je demande comment il pourrait faire », remarque Alan Deardorff, professeur d'économie internationale à la Gerald Ford school of public policy de l'Université du Michigan. Même chose pour des droits de douane dont Trump menace la Chine : "Ce serait illégal selon l'OMC." Bref, à part faire pression - mais comment ? - sur les entreprises pour qu'elles créent plus d'emplois aux États-Unis, Trump a peu d'atouts dans son jeu.

Anti-mondialisation, un thème de droite comme de gauche

Reste qu'avec des phrases choc, il caresse dans le sens du poil sa base électorale - des blancs de la classe moyenne, pour la plupart, anxieux des effets négatifs de la mondialisation. D'autant que la méfiance vis-à-vis de la mondialisation est largement partagée, surtout dans des Etats décisifs pour l'élection, comme l'Ohio, qui a connu une forte désindustrialisation. Selon Public Citizen, un institut de recherche fondé par Ralph Nader, avocat des consommateurs, cet État aurait perdu plus de 300.000 postes (soit 1 sur 3), dans l'industrie manufacturière depuis l'entrée en vigueur du Nafta. Des emplois bien payés, compensés en partie seulement par des postes aux maigres salaires dans les services.

Le cercle vicieux s'est vite enclenché. Compte tenu de leurs faibles revenus, ces consommateurs sont contraints d'acheter dans des supermarchés comme ceux du géant de la distribution Wal-Mart qui, pour offrir ses prix imbattables, se fournit principalement en Chine, au Mexique, et ailleurs, où les coûts de production sont moindres... Résultat de cette défiance, le président Barak Obama, qui essaie désespérément de convaincre le Congrès de ratifier le Trans-Pacific Partnership (TPP), un accord commercial signé entre 12 pays du Pacifique (excluant la Chine), se heurte aux élus de tous bords.

Les revirements d'Hillary Clinton

Trump s'enorgueillit également d'avoir forcé son adversaire démocrate à revoir ses positions.

« Hillary Clinton a plutôt réagi vis-à-vis de Bernie Sanders, qui a fait campagne à la primaire sur ce thème, et gagné dans le Michigan, autre État touché par la désindustrialisation », tempère le professeur Alan Deardorff.

Toujours est-il qu'Hillary Clinton, qui a d'ailleurs un temps siégé au conseil d'administration de Wal-Mart, a soutenu l'Accord de libre-échange nord-américain, aux côtés de son mari à la Maison-Blanche, puis en sa qualité de sénatrice de l'Etat de New York. Enfin, lorsqu'elle était secrétaire d'État dans l'administration Obama, elle était en faveur du Partenariat Trans-Pacifique (TPP). Mais plus maintenant.

« Je suis contre le TPP aujourd'hui. Je serai contre après l'élection, et je serai contre en tant que présidente », jure-t-elle depuis cet été, pointant des lacunes en matière de protection de l'environnement, de manipulation des devises et de protection du droit du travail dans le traité.

Quant au Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (ou "TTIP" ou "Tafta"), en cours de négociation entre l'Union européenne et  les États-Unis, il n'a pour l'instant fait l'objet d'aucune prise de position de la part des candidats...

À Seattle, le quotidien local suit les affaires commerciales, et particulièrement la bataille entre Boeing et Airbus. L'été dernier, à l'issue du salon aéronautique de Farnborough (Angleterre), il notait l'accélération « inattendue » des commandes d'appareils en faveur d'Airbus, pour pointer rapidement d'éventuels problèmes de production du constructeur européen. À Everett, en banlieue nord de Seattle, les touristes se pressent pour visiter l'usine de fabrication des 747, vantée « comme le plus grand bâtiment du monde en volume ». Ouf, malgré la désindustrialisation, l'Amérique est toujours championne de quelque chose !

Par Lysiane J. Baudu

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Commentaires 2
à écrit le 16/10/2016 à 15:54
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Pfff rien à voir avec la finance. Suffit d'avoir le volontarisme des chinois pour éliminer les activités des mexicains. Faut voir la firme local motor tesla. Intel peut revenir de chine...

à écrit le 15/10/2016 à 18:29
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Et oui là où la finance s'installe l'industrie détalle.

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