Présidentielle américaine : Washington et son péché capital, le "système"...

[ #USA2016 9/10 ] A l'occasion de la campagne de l'élection présidentielle aux États-Unis, "La Tribune", le journal des métropoles, propose de vous embarquer pour un "road movie" à travers plusieurs villes pour aller à la rencontre des citoyens d'un pays en plein changement. Aujourd'hui, Washington.
Que se passe-t-il donc à Washington, la ville de tous les musées, des cerisiers en fleur au printemps, des avenues bordées de chênes, au charme suranné ? Rien, justement.

Depuis l'élection de Barak Obama en 2008, en pleine crise économique, l'Amérique a changé. Si, en huit ans, elle s'est relevée, tous les Américains ne ressentent pas de la même façon les effets de la croissance retrouvée. Perte de repères, anxiété face à la menace - devenue réalité pour certains - d'un déclassement économique et social, violence et racisme renouvelés, irruption du terrorisme "local", paralysie à Washington et polarisation politique, sans oublier les problèmes d'immigration, de santé, d'éducation, de droit à l'avortement et de droits civiques : l'Amérique traverse une crise existentielle. Nous l'avons parcourue, de ville en ville, pour prendre son pouls et battre la campagne avec les deux candidats à la présidentielle. Une femme, Hillary Clinton, attendue au tournant de sa longue carrière politique - y compris par certains électeurs démocrates qui ne lui font pas confiance -, face à un milliardaire, que de nombreux républicains bon teint détestent, mais qui a réussi à battre tous les candidats de l'establishement lors de la primaire. Oui, décidément, l'Amérique change. L'Amérique est "on the move", même si nul ne sait où elle arrivera le 8 novembre prochain, à l'occasion de la première élection "post-American dream".

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[ WASHINGTON, CAPITALE DES ETAT-UNIS ]

Sur fond de reprise économique inégale, la défiance des Américains envers les institutions est grande, au point d'avoir propulsé un candidat "anti-establishment" sur la scène électorale.

« J'accepte volontiers le manteau de la colère », déclarait avec emphase Donald Trump lors d'un débat entre candidats républicains aux primaires, en janvier 2016. Le milliardaire a compris dès le début de sa course à la Maison Blanche qu'il pouvait capitaliser sur cette colère populaire, quitte à l'attiser si nécessaire. Il n'est pas le seul. Aux primaires démocrates, Bernie Sanders était sorti du lot pour les mêmes raisons. Pas de doute, donc, les Américains voient rouge. Les raisons sont nombreuses. Au pays de l'American Dream, pétri d'ascension sociale grâce à un bon job et l'acquisition d'un home sweet home, la classe moyenne est laminée. Et cela ne date pas de la crise de 2008. Le fossé entre riches et pauvres n'a cessé de se creuser depuis la fin des années 1970.

Classe moyenne laminée, ascenseur social... en chute libre

Aujourd'hui, la classe moyenne ne représente même plus la moitié de la population (47% en 2014, contre 58% en 1970), selon le dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI). Depuis les années 2000, seuls 0,25% des membres de la classe moyenne se sont hissés au niveau supérieur, tandis que 3% sont tombés plus bas, c'est dire dans quel état se trouve l'ascenseur social. Si l'électeur moyen n'est pas forcément conscient de ces statistiques, en revanche, il sait parfaitement qu'il a du mal à trouver un bon emploi, la reprise économique étant encore inégale. Et s'il lui faut chercher d'autres raisons pour expliquer ses difficultés, il les trouve dans la désindustrialisation et le commerce international, qui détruisent les emplois locaux, ou l'immigration, qui exacerberait la concurrence entre salariés. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, le coût des soins médicaux s'est envolé ces dernières années, de même que celui des études supérieures - faisant ployer certains sous les dettes et privant d'autres d'un diplôme, sésame pour un emploi bien rémunéré. Si l'on ajoute à cela un sentiment de frustration dû à la violence et au terrorisme, sans oublier les échecs militaires en Afghanistan, en Irak ou en Syrie, le cocktail est explosif.

Ressentiment envers les institutions et leur paralysie

Mais ce n'est pas tout. L'autre objet du ressentiment des électeurs, c'est le gouvernement fédéral, à Washington. Selon un sondage d'Associated Press-GfK publié ce printemps, si les électeurs se disent dans l'ensemble heureux dans leur vie familiale et sociale, dès qu'on leur parle du gouvernement, près de 8 sur 10 se disent en colère. Un sentiment plus marqué chez les électeurs républicains (la moitié d'entre eux est en colère) que chez les démocrates et les indépendants (un quart à être en rogne). Ce qui les exaspère ? Le fonctionnement des institutions.

Que se passe-t-il donc à Washington, la ville de tous les musées, des cerisiers en fleur au printemps, des avenues bordées de chênes, au charme suranné ? Rien, justement. Retranchés derrière leur haine de l'administration Obama, les élus au Congrès (à majorité républicaine) bloquent tout, reprochant au premier président noir d'être « partisan »... Débats interminables autour de la réforme de la santé, bras de fer sur le budget, coups tordus contre le contrôle des armes à feu, la paralysie paraît générale aux yeux des citoyens. Selon un sondage de la chaîne CNN, en décembre 2015, 85% des Américains se disaient insatisfaits de la façon dont leurs élus font leur travail et 75% ont le même sentiment quant à la manière dont le pays est géré... Bref, lorsque Trump répète à l'envi que « les gens sont en colère parce que notre pays est horriblement mal géré », il prêche des convertis !

Haro sur les lobbyistes de tout poil (armes, médicaments, finance...)

Au-delà de la paralysie des institutions, les Américains pointent également du doigt le "système". Ils entendent par là l'omniprésence des lobbies. Selon le Center for Responsive Politics, 11.514 lobbyistes (mais 20.000 à Bruxelles !) travaillaient officiellement à Washington l'an dernier. Ils y ont dépensé plus de 3 milliards de dollars pour convaincre les élus de soutenir les intérêts de leurs clients. Les initiatives passées pour limiter leur emprise n'ont rien donné, tout juste ont-elles apporté un peu de retenue. Lobby des armes, de l'industrie pharmaceutique, de la finance, de l'agriculture, de la défense, de l'énergie, de la technologie... tous les secteurs ont leurs défenseurs, installés à K Street. Google, par exemple, a dépensé 8 millions de dollars en lobbying entre janvier et juin 2016, selon le Center for Responsive Politics, et Amazon, 5,8 millions. Afin de s'assurer du soutien des élus américains pour l'acquisition de Monsanto, Bayer a lui aussi fait appel à des lobbyistes. Même Airbnb, inquiet des critiques sur l'économie du partage que les élus avancent, a récemment loué leurs services.

Lutte contre les lobbies, une arme de Trump contre Clinton

Conséquence de cette situation, les citoyens, à travers tout le pays, ont le sentiment que leurs intérêts ne sont défendus par personne, et certainement pas par ceux qu'ils ont envoyé au Congrès. Entre rupture du contrat social et érosion de la confiance dans les institutions, la défiance est donc à son comble. Déjà, le Tea Party avait émergé en raison de l'opposition populaire au sauvetage des banques, jugées responsables d'avoir causé la crise des subprimes et avec elle, la perte, par des milliers d'Américains, de leur logement. C'est une même déferlante qui porte Trump aujourd'hui. Il vient de proposer, à la veille du dernier débat entre les deux candidats à la présidentielle, le 19 octobre à Las Vegas, de limiter l'influence des lobbys en allongeant à cinq ans (au lieu de un ou deux ans), la période pendant laquelle les fonctionnaires sortants doivent s'abstenir d'activités d'influence. Une façon d'agir face à la colère du peuple, mais surtout, de tenter de coincer Hillary Clinton. Ses emails révèlent une relation étroite entre ses équipes et certains membres de l'establishment, et des millions de dollars ont été récoltés par des lobbyistes pour sa campagne, sans parler des fonds levés par la Fondation Clinton. Elle n'a pas vraiment réagi aux propositions de Trump. Les lobbyistes non plus. Et pour cause : ils savent qu'ils peuvent influencer les élus qui pourraient devoir en décider au Congrès...

Par Lysiane J. Baudu

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Commentaire 1
à écrit le 03/11/2016 à 14:24
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Le problème en France, c'est une censure totale qui devient insupportable. Le plus drôle est qu'elle porte surtout sur la Russie mais qu'elle a continué sur les USA (l'habitude sans doute). Ainsi les journalistes ont été pris de court quand Trump est...

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