Assouplissement quantitatif : la BCE dans le labyrinthe

Mario Draghi devrait jeudi ouvrir la voie à un renforcement du "QE", mais ses marges de manœuvre vont devenir réduites. La stratégie de la zone euro semble montrer ses limites.
Mario Draghi va devoir trouver une solution pour un QE qui peine à convaincre

Mario Draghi va-t-il bouger ? Depuis quelques semaines, devant le risque de ralentissement économique et une inflation toujours aussi atone, les acteurs des marchés parient de plus en plus sur l'annonce d'un élargissement de la politique d'assouplissement quantitatif (QE) de la BCE. Ils ont été de ce point de vue habilement dirigé par les propos de plusieurs gouverneurs et membres du directoire qui n'ont cessé de répéter que l'institution de Francfort était prête à « utiliser tous les instruments disponibles dans le cadre de son mandat pour agir. » A tel point que la question n'est désormais plus de savoir s'il y aura un élargissement du QE, mais bien quand il aura lieu.

Le bon moment ?

La réunion de ce jeudi 22 octobre est-elle le moment opportun pour agir ? Les raisons, certes, ne manquent pas, d'agir dès à présent. Sur le plan strict du mandat de la BCE, autrement dit du maintien d'une inflation à moyen terme « sous les 2 %, mais proche des 2 % », la première phase du QE n'a guère porté ses fruits. Les anticipations d'inflation mesurées sur les marchés par un produit spécifique, le taux « à 5 ans dans 5 ans », autrement dit le taux moyen d'inflation sur 5 ans attendu dans 5 ans, n'ont guère bougé avec le QE. De plus, le taux d'inflation de septembre est retombé en zone négatif. Certes, c'est en grande partie en raison de la baisse des prix de l'énergie, mais la BCE sait que les anticipations d'inflation réagissent aussi aux évolutions du taux d'inflation et que l'énergie n'est pas dans un isolement total du reste de l'économie. A cela s'ajoute le fait que les nuages s'amoncellent sur l'économie mondiale et qu'un affaiblissement de la reprise contribuerait aussi à relancer à la baisse les anticipations d'inflation. Enfin, l'effet sur le taux de change du QE semble terminé. Depuis mars, l'euro a repris 8 % face au dollar...

La stratégie de Mario Draghi : wait and see

Mais, stratégiquement, Mario Draghi va sans doute encore attendre. Pourquoi ? Parce qu'il doit faire face, comme à son habitude, à de sévères oppositions internes, notamment celles en provenance d'Allemagne. Pour la Bundesbank, ce qui vient d'être décrit démontre que le QE est un échec. Pourquoi alors poursuivre ce qui ne fonctionne pas ? Le président de la BCE doit prouver que la situation ne représente pas un échec du QE, mais est le signe d'une insuffisance du QE. Pour cela, il va utiliser la même stratégie que celle utilisée lors de l'annonce de l'assouplissement quantitatif en janvier. Attiser les attentes du marché et voir la situation se dégrader pour, in fine, imposer au Conseil des gouverneurs une décision qui ne peut plus être retardée, sauf à déclencher un mouvement de panique financière. C'est ainsi qu'il a imposé le QE aux Allemands et c'est ainsi qu'il va leur imposer son élargissement. Jeudi, il faut donc sans doute s'attendre à une « préparation de terrain » plutôt qu'à des annonces concrètes.

Restaurer la crédibilité de la BCE

Le principal casse-tête pour Mario Draghi n'est cependant pas les reproches habituels de la Bundesbank. C'est bien plutôt de définir quels pourraient être les moyens du prochain élargissement du QE. Or l'enjeu n'est pas mince : Mario Draghi doit, cette fois, réussir, car la crédibilité de l'action de la BCE sur les marchés est en jeu. La BCE peine à remplir son mandat depuis plusieurs années, la fin du mandat de Jean-Claude Trichet a été fait d'errements (les hausses de taux de juillet 2008 et juillet 2011) et d'hésitations. Mario Draghi, avec l'annonce du « whatever it takes » (« quoi qu'il en coûte » pour sauver l'euro) en juillet 2012, avait restauré cette crédibilité. Mais la difficulté à redresser les anticipations d'inflation met à nouveau la BCE - qui est, rappelons-le, une institution jeune - dans l'obligation de prouver la crédibilité de son action.

Solution 1 : prolonger le QE de six mois

Que peut faire la BCE de plus que le programme annoncé en janvier dernier qui prévoit des rachats de dettes souveraines pour 1.150 milliards d'euros, au rythme de 60 milliards d'euros par mois entre mars 2015 et septembre 2016 ? La première réponse, la plus probable, est de prolonger les rachats. La date finale de septembre 2016 a toujours été annoncée comme modifiable en cas de besoin. Les observateurs estiment que, dans un premier temps, la BCE pourrait annoncer un report de la fin du QE à mars 2017, rajoutant ainsi 6 mois et 360 milliards d'euros au programme. Ceci pourrait permettre de donner plus de visibilité aux agents économiques sur la durée du soutien de la BCE et les aider à prendre des décisions de prêts pour les banques, d'investissement pour les entreprises, de consommation pour les ménages. Mais ce prolongement, qui devrait être la première mesure de l'assouplissement quantitatif deuxième version (le « QE2 ») risque d'être insuffisant sans augmentation du montant des rachats.

Solution 2 : renforcer le montant des rachats

La BCE pourrait donc aussi augmenter ses rachats d'obligations souveraines. Le marché table, de ce point de vue, sur un relèvement de 60 à 90 milliards d'euros des rachats mensuels. Ceci permettrait de relever le montant du programme (sur une hypothèse de relèvement au 1er janvier 2016 jusqu'en mars 2017), de 450 milliards d'euros. On serait donc sur un programme global estimé à 1.950 milliards d'euros. On serait donc cette fois sur un quasi-doublement du programme. La BCE avait déjà testé cette hypothèse en annonçant qu'elle augmenterait les rachats en mai et en juin pour pouvoir compenser la faible activité de l'été. Par ailleurs, en juillet, la BCE avait annoncé pouvoir désormais racheter jusqu'à 33 % d'une émission de titre souverain contre 25 % jusqu'ici. Elle dispose donc du cadre pour agir.

Le problème du manque de titres

Le problème pourrait être le manque de titres disponibles. Selon plusieurs estimations, un programme élargi et rallongé amènerait la BCE au bout de ses possibilités, ce qui pourrait réduire l'efficacité du programme, les acteurs du marché prévoyant un arrêt brutal, faute de titre du programme à son échéance.

La BCE va donc devoir aussi montrer qu'elle est capable d'aller plus loin encore. L'élargissement annoncé en juillet ne concernait pas les titres comportant une « clause collective » qui oblige tous les détenteurs, en cas de restructuration de dette, à se soumettre à la décision majoritaire. La BCE ne veut pas se retrouver dans la situation de devoir effacer des dettes de son bilan. L'ennui, c'est que toutes les émissions depuis 2013 dans la zone euro disposent de ces clauses. Voilà qui réduit singulièrement le cadre des rachats possibles.

Par ailleurs, que l'Allemagne, pays qui pèse pour un quart du total des rachats est en excédent budgétaire et donc réduit son offre de titres. Enfin, la BCE refuse de racheter des titres à un taux inférieur à celui de la rémunération des fonds déposés auprès d'elle, soit actuellement - 0,2 %. Selon Bloomberg, ceci exclut actuellement un tiers des titres allemands en circulation.

Racheter sans se soucier des clauses collectives ?

La BCE pourrait donc devoir contourner cette difficulté. Mais ceci ouvre d'autres difficultés. Renoncer à exclure les titres avec clauses collectives reviendrait à ouvrir la possibilité de pertes sèches pour la BCE en cas de restructurations. Si dans le cas allemand, le risque est faible, il n'en est pas de même pour d'autres pays de la zone euro très endettés, comme le Portugal, l'Italie ou l'Irlande. Il y aurait là un changement de doctrine important sur le plan théorique : durant le premier semestre, le refus de la BCE d'accepter de discuter des titres grecs venant à échéance a déterminé une grande partie de l'issue de la crise grecque. Le risque serait juridique, notamment en Allemagne auprès de la Cour constitutionnelle. En acceptant de fait des restructurations de dette publique de la zone euro, la BCE pourrait les encourager. Elle pourrait aussi encourager les Etats à s'endetter en comptant sur un « financement » futur de la BCE via la restructuration. Enfin, une restructuration cesserait de rendre « neutre » le QE qui, en théorie, n'est que de l'émission « temporaire » de titres qui doivent être remboursés. Il y aurait là création de monnaie sans contrepartie. Tout ceci pourrait être jugé contraire aux traités.

Modifier la clé de répartition des rachats ?

Deuxième solution : contourner le poids de la dette allemande dans le QE en modifiant la clé de répartition des achats, jusqu'ici conforme à celle des banques centrales nationales dans la BCE et donc au poids économique de chaque pays dans la zone euro. Le problème sera de justifier les distorsions de rachats. Là aussi, le risque juridique est important. Dans sa décision sur le programme de rachat illimité OMT, jamais utilisé, la Cour de Justice de l'UE avait, en janvier dernier, estimé que le programme était légal parce que les Etats qui en bénéficiaient devaient se soumettre à des plans « d'ajustement » dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité. Bref, les rachats étaient « compensés » par des plans d'austérité, ce qui, dans l'esprit de la CJUE, réduisait à la fois l'attractivité de l'OMT et garantissait le remboursement futur des titres. Il n'y avait pas donc « d'aléa moral », autrement dit d'incitation indirecte pour les Etats à s'endetter. Mais, dans le cadre du QE, il n'y a pas de telles protections et la modification de la clé des rachats risquent donc d'être jugé illégale.

Abaisser encore le taux de dépôt ?

Autre option : la suppression du taux minimum de rachat ou la baisse du taux de dépôt de la BCE. La première option permettrait d'acheter plus de titres du « cœur » de la zone euro, mais ceci augmenterait également le risque déjà élevé de pertes sur ces opérations que pourrait encaisser in fine la BCE. Là encore, Mario Draghi risque de se retrouver face à de sérieuses résistances.

Quant à la baisse du taux de dépôt, il ne permettrait pas seulement d'acheter plus de titres, mais il ferait peser un poids bienvenu sur l'euro. Mais cette méthode n'est pas sans risque. Plus on baisse ce taux négatif, plus les marges des banques sont sous pression. Cela doit conduire à une utilisation des réserves de ces dernières pour prêter, mais les banques peuvent aussi compenser cette « taxe sur leurs réserves » par une hausse des taux réels et un durcissement des conditions d'accès au crédit. Bref, ce serait un pari de la BCE qui devient plus risqué à mesure que l'on s'enfonce en territoire négatif.

Tout racheter ?

Dernière option : l'élargissement des rachats à d'autres produits. La BCE achète déjà d'autres titres que des titres souverains, notamment des obligations sécurisées (« covered bonds »), qui sont des titres de financement de l'immobilier ou de collectives locales jugés très sûrs (car garantis à hauteur de leur valeur par un ensemble d'actifs), ou encore des crédits titrisés sûrs (les Asset-Backed Sécurities ou ABS). En juillet, elle a élargi le programme du QE à plusieurs obligations d'entreprises détenues par les Etats membres, élargissant le programme à 92 milliards d'euros de titres potentiellement achetables. La BCE pourrait aller plus loin dans cette voie. Mais le marché de ces titres reste assez étroit et, selon RBS, ceci n'élargirait les achats potentiels que de 68 milliards d'euros.

La BCE devrait alors aller plus loin dans les rachats directs de titres du secteur privé en annonçant le rachat d'obligations d'entreprises ou même de crédits bancaires aux entreprises ou aux particuliers. Ceci ouvrirait considérablement le champ du QE qui disposerait d'un marché potentiel de près de 11.000 milliards d'euros. De quoi à la fois rassurer les investisseurs sur la visibilité du programme et agir directement sur l'économie réelle. Mais ce ne pourra être que l'ultima ratio de la décision de la BCE, car un tel programme conduirait à un transfert de risque du secteur privé vers le bilan de la BCE. Et là encore, beaucoup de membres du Conseil des gouverneurs refuseront une telle logique qui, il est vrai, posera le problème de son arrêt. Après avoir placé sous une perfusion aussi puissante l'économie, il sera bien difficile de stopper le programme. On entrerait alors dans un nouveau risque : celui du « QE infini » qui placerait la banque centrale dans une position difficile.

Le problème de la doctrine

On le voit, donc, il reste des moyens d'agir à la BCE. Mais tous ces moyens sont d'une mise en place malaisée, notamment pour des raisons juridiques. La vraie question qui semble se poser est, in fine, celui du sens de la stratégie de la BCE. Désormais seule à combattre l'inflation faible, elle se lance dans une fuite en avant qui peut mener à de nouveaux risques et à une déstabilisation de l'Eurosystème. La seule raison de cette fuite en avant est la doctrine européenne elle-même.

En refusant de reconnaître qu'il convient de mettre en place, via un plan d'investissement européen ambitieux, des débouchés pour le QE, au nom de la doctrine de la discipline budgétaire de la zone euro, la BCE est condamnée à s'enfoncer dans le labyrinthe dangereux du QE. Le débat autour du QE au sein de l'institution de Mario Draghi semble donc irréel. L'obsession budgétaire de la zone euro a laissé à la seule politique monétaire le soin de gérer la reprise. Or, cette dernière ne le peut pas. D'où cette condamnation, comme Sisyphe, à recommencer éternellement le QE.

Commentaires 17
à écrit le 27/10/2015 à 14:30
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Merci Romaric pour vos articles à la fois extrêmement précis et documentés, et d'une clarté pédagogique très importante dans ce monde de la désinformation économique qui rend la lutte pour une autre voie que le néo-libéralisme si difficile.

à écrit le 22/10/2015 à 17:41
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Le QE n'est de toute manière pas la solution ultime rèvée par Romaric Godin. 1- les QE prolongés crée mécaniquement la bulle spéculative qui explosera demain. C'est inévitable (d'ailleurs c'est l'accommodante politique monétaire de Greenspan qui a...

à écrit le 22/10/2015 à 11:13
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A quoi bon une thèse sur le labyrinthe de la cavalerie monétaire et financière ? Les trésors d'arcanes et de manipulations, dignes du pasteur Goldmann Sachs occupent probablement ses ecclésiasques, mais dans l'ennui d'une cérémonie interminable. Même...

à écrit le 22/10/2015 à 8:20
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En résumé : "should i go or should i stay" !

à écrit le 21/10/2015 à 22:28
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@ Monsieur Bastou. Vous admirez Monsieur Draghi , parfait ! Alors , vous devez admirer les japonais ou japous ! Cela fait 30 ans qu'il admirent le QE japonais. Rien n'a changé. Ils sont simplement plus pauvres. L'Economie ne s'accomode pas d'...

à écrit le 21/10/2015 à 20:22
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Excellent article de Mr Godin: clair, précis, et vous n'hésitez pas à prendre position. Une politique monétaire accommodante sans une politique budgétaire expansionniste ne sert à rien!! J'admire Mr Draghi d'oser affronter seul le "diktat" allemand ...

le 22/10/2015 à 17:46
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le japon a testé sans succès cette methode. Le père du QE Anglais de 2009 a dit lui même que ce programme a échoué. il n'ya jamais eu autant de liquidité en circulation...et pourtant l'effet sur la croissance est quasi nul. A un moment il faut se ...

à écrit le 21/10/2015 à 19:35
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Que ce soit aux States, au Japon, en Chine (surtout en Chine) ou en Europe, on constate partout que le QE n'est pas la solution : racheter en masse des obligations a t'elle permis la relance de l'économie ? Non. Augmenté l'inflation ? Pas plus. Juste...

le 21/10/2015 à 20:00
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"Sans améliorer la vie des citoyens" : vous avez besoin de plus d'argent..?? La maîtresse coûte cher..?? Sinon, connaissez-vous un gars appelé Roosevelt et un autre : Ferdinand Pecora..??

le 21/10/2015 à 20:43
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Finalement, non, je ne connaissais rien de ce Monsieur Pecora. Avec votre aide, c'est chose faite. Il nous faudrait bien un nouveau M. Pecora. Et un Glass Steagall Act . Les choses seraient plus claires. Mais probablement difficiles à mettre en plac...

à écrit le 21/10/2015 à 17:56
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Je veux bien, mais... s'il n'y avait QUE la bce... là, il n'y a PLUS une zone économique qui va à peu près bien. Allez, un coup de qe général histoire de vérifier à nouveau que ça ne sert qu'aux plus riches.

le 21/10/2015 à 22:58
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le problème de Romaric Godin et de certains financiers de ses amis comme semble-t-il Mario Draghi c'est de ne faire que de la macroeconomie de bazar pour justifier encore un shoot de QE sur les actifs ...qui finiront par être rachetés par la BCE pour...

à écrit le 21/10/2015 à 17:51
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Et pourquoi pas directement un chèque a chaque européen La au moins on est sur que cet argent profiterais a tous et relancerait la Conso

le 21/10/2015 à 19:06
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Impossible!Si les banques font faillite,impossible de déposer votre chèque,de retirer l'argent au distributeur ou utiliser votre CB

à écrit le 21/10/2015 à 17:35
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Je n'ai pas les connaissances de Romaric Godin mais j'ai l'impression que le Rocher de Sisyphe ressemble ici au Tonneau des Danaïdes : de l'argent est déversé en flots énormes et va partout ... sauf dans l'economie "réelle", parce que sous la férule ...

le 21/10/2015 à 21:40
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Je n'ai pas l'impression, quand je vois le déficit commercial de la France et la queue devant les Apple Center chaque fois qu'il sort un "nouvel" IPhone qui fait 1 ou 2 trucs de plus que le précédent, alors qu'il existe des smartphones rendant quasim...

le 23/10/2015 à 13:49
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Ce n'est pas l'austérité budgetaire, mais le manque de projets fiables à financer qui empêche les banques à passer la liquidité dans l'économie réelle.

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