Chypre envisage de revenir sur les marchés

L'île méditerranéenne envisage de lever 1,5 milliard d'euros sur les marchés d'ici à la fin de l'année. Un retour qui doit beaucoup à la BCE et au potentiel d'une réunification de l'île.
Le palais présidentiel à Nicosie.

Moins de trois ans après être entrée dans le programme de la troïka, la République de Chypre pourrait tenter de revenir sur les marchés à long terme. Selon le Financial Times du 5 octobre, le gouvernement de Nicosie voudrait lever 1,5 milliard d'euros dans le cadre d'une émission à 10 ans « avant la fin de l'année. » L'an passé, Chypre avait réussi à lever 750 millions à 5 ans au taux de 4,85 %.

Un gouvernement « bon élève » de la troïka

Ce retour sur le marché est avant tout symbolique, car les taux pratiqués sont encore trop lourds pour que les investisseurs soient les seuls sources de financement de cette économie de 18 milliards d'euros. Mais c'est, pour le gouvernement chypriote, un moyen de mettre en avant le « succès » de son programme. Depuis avril 2013, la troïka n'a eu qu'à se féliciter des actions de Nicosie. Si quelquefois, le parlement chypriote a tenté de s'opposer aux vœux des créanciers, comme cet hiver sur la question des expulsions des ménages de leurs logements, le gouvernement a trouvé le moyen politique de contourner cette opposition.

La version officielle est donnée par le ministre des Finances chypriote Harris Georgiadis au Financial Times : « les finances publiques ont été consolidées, le secteur bancaire consolidé et l'économie est sortie de la récession », a-t-il affirmé. Naturellement, les investisseurs seraient donc intéressés par le rachat de titres souverains chypriotes. Mais ce scénario ne représente qu'une partie de la réalité chypriote.

Une reprise nette, mais une situation encore sinistrée

Si le déficit public devrait être ramené à 1,1 % du PIB cette année, c'est aussi qu'il a été « purgé » des effets de la recapitalisation des banques effectuées en 2014. Si la croissance est revenue au début de l'année de façon assez vigoureuse et inattendue (1,2 % au premier trimestre et 0,5 % au deuxième trimestre), ceci s'explique en grande partie par la baisse des prix de l'énergie qui a permis une stabilisation du pouvoir d'achat, mais aussi par l'arrivée d'investissements étrangers (notamment russes grâce à une négociation avec Moscou). Mais l'économie chypriote reste fragile. Elle a, en tout, reculé de plus de 8 % entre 2012 et 2014 et le pays est encore un des rares de la zone euro en déflation franche (les prix ont baissé sur un an de 2,5 % en septembre). Et le bilan social de la crise est très inquiétant : les salaires ont reculé de 12 % sur trois ans. Si le chômage a reculé d'un point en un an, il reste à 15,3 % de la population active, alors qu'il était inexistant avant la crise. Enfin, le niveau de vie, calculé en PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat et supérieur de 5 % à la moyenne de l'UE en 2009 est désormais inférieur de 15 % à cette moyenne.

Un secteur bancaire encore fragile

Quant aux banques, la situation reste difficile. Les banques chypriotes restent les banques européennes les plus exposées aux créances douteuses (Non Performing Loans ou NPL). Selon les dernières données, ces NPL représenteraient 48 % du PIB chypriote. C'est un record en zone euro. Pour la Bank of Cyprus, rescapée des deux anciennes grandes banques du pays, les créances douteuses s'élèvent à 62 % de l'ensemble de son portefeuille de prêts. Avec de tels ratios, l'économie chypriote est naturellement soumise à un rationnement des prêts qui pénalise durablement sa croissance potentielle. La restructuration de ce portefeuille est lente et coûteuse et le système bancaire reste exposé à un nouveau choc externe.

L'effet « QE »

Il est donc difficile de croire que Chypre bénéficie d'un intérêt soudain en raison de ses seuls fondamentaux. La réalité est plus prosaïque. Les investisseurs s'intéressent principalement à Chypre en raison de son entrée dans le programme de rachat d'actifs publics (« QE ») de la BCE en juillet dernier. Ce programme va permettre de pouvoir bénéficier d'un titre à fort rendement dont le cours sera soutenu sur le marché par la BCE. Ce type de produit sûr et rentable est assez rare ces temps-ci pour être très recherché. Certes, sans l'application de Nicosie à appliquer les « réformes » de la troïka, il n'y aurait pas de QE, mais le retour de Chypre sur le marché est clairement « dopé » par la BCE.

Le potentiel de la réunification

Reste deux éléments qui, à moyen terme, peuvent intéresser les investisseurs et qui, eux, reposent sur des fondamentaux. L'élection dans la zone occupée depuis 1974 par la Turquie du modéré Mustafa Akinci à la présidence de la République turque autoproclamée de Chypre du Nord (RTCN) a rouvert les discussions sur la réunification de l'île. Les négociations entre les deux parties avancent bien et le président de Chypre a évoqué un référendum en mars 2016 sur un éventuel accord.

Ce serait là une raison de miser sur l'île. La réunification devrait avoir un effet très positif sur l'activité, car les besoins de la partie du nord sont considérables, et devrait attirer les investisseurs du sud et de l'étranger. Elle réglerait aussi le problème liée à l'exploitation des réserves de gaz au large de Chypre. Jusqu'ici, la Turquie contestait certaines zones d'exploitation d'un pays qu'elle ne reconnaît que comme « l'administration grecque de Chypre du Sud. » Un règlement de la « question chypriote » permettrait de « sécuriser » cette exploitation qui pourrait représenter un formidable potentiel pour le pays.

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