Comment Emmanuel Macron tisse sa toile européenne

Fidèle à sa ligne "ni droite ni gauche", l’étoile montante de la politique française a fait mercredi et jeudi une halte remarquée à Bruxelles pour esquisser les contours d’une Europe 2.0. Une occasion de mesurer sa popularité… et les limites de sa méthode.
Macron plaide pour des « conventions démocratiques », organisées à l'échelle de l'Union européenne pour réformer le système.

Coïncidence éloquente : mercredi, Emmanuel Macron répondait à l'invitation de la présidente de l'intergroupe sur la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, à savoir son amie Sylvie Goulard, députée européenne du groupe libéral élue sur une liste Modem. Au même moment, le groupe social-démocrate du même parlement européen organisait une « convention sur l'avenir de l'Europe » à laquelle il ne se montra point. L'ancien ministre de l'économie du gouvernement Valls avait-il eu à choisir entre les deux événements ? « Je n'ai pas été invité » à la convention, reconnaîtra-t-il le lendemain sur un ton plus indifférent que surpris. Paris avait dépêché sur place Bruno Leroux.

Mais autant la venue du président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale est passée inaperçue, autant il était difficile d'ignorer celle d'Emmanuel Macron. Elle avait été habilement scénarisée : deux pleines pages dans le quotidien de centre-gauche Le Soir et la participation, en fin de journée, à une conférence dans le haut lieu de la culture et de la politique bruxelloise : le Palais des Beaux-Arts. Salle comble. A ses côtés : la nouvelle star de la scène bruxelloise, la commissaire à la concurrence Margrethe Vestager, sociale-libérale danoise, et le commissaire à l'innovation, le rafraîchissant Carlos Moedas, 46 ans, figure atypique de la social-démocratie portugaise, ancien banquier diplômé de Harvard qui aimerait que l'industrie politique s'ouvre un peu à l'idée d'innovation. Deux visages amis, qu'il a commencé à fréquenter au temps où il était à Bercy.

Quand Macron fait l'éloge de Vestager

Sur la commissaire danoise, il ne tarit pas d'éloges. « Ce que fait Vestager montre que les choses sont en train de bouger... Elle est la première à considérer que le marché pertinent est mondial », avait-il dit avant même qu'elle rende sa décision sur Apple. La voilà promue héroïne d'un virage de la politique économique européenne, qui mettrait les politiques commerciale et de concurrence au service d'une souveraineté européenne au lieu d'en faire des instruments de concurrence interne. Pourtant d'Alstom à Areva, en passant par EDF, Emmanuel Macron a eu, comme ministre de l'Economie, plus d'un cas délicat à traiter avec elle. « Par construction, ils avaient beaucoup de sujets à discuter », confirme un proche. Dans l'entourage de la commissaire, on refuse de cautionner l'idée qu'entre eux « la chimie fonctionne », comme le dira un collaborateur de l'ancien ministre. Question de réserve.

Alors qu'en France le camp socialiste le boude, qu'Alain Juppé avec lequel il dit avoir « des convergences » l'accuse d'avoir « planté un couteau dans le dos » de François Hollande, lui tisse son réseau d'amitiés politiques européennes, se défiant des sillons creusés par les clivages partisans mais tentant de capitaliser sur son passage au gouvernement Valls. Il n'y a pas de temps à perdre. Il a assez fréquenté les couloirs du pouvoir pour savoir à quel point le trou dans l'eau se referme vite sur les anciens ministres sans mandat ni parti de gouvernement.

Proximité et complicité

Lors d'un débat à Sciences Po le 25 juin, deux jours après le référendum britannique, il affichait une complicité non feinte avec Sylvie Goulard et l'ancien patron d'Europe Ecologie Les Verts, au charisme inoxydable, Daniel Cohn-Bendit. « Il ne m'appartient pas de dire s'il me soutient ou pas, mais on travaille ensemble », dit-il de celui qui avait porté le mouvement écologiste français au faîte de sa popularité aux élections européennes de 2009 avec 16% des voix. Il lui a emprunté une des idées qui figureront dans le projet d'En Marche !, attendu en novembre : l'utilisation des 73 postes des députés européens britanniques pour faire élire sur des listes paneuropéennes.

Quant à la députée libérale élue sur une liste Modem, Sylvie Goulard, elle l'appuie sans réserve et partage avec lui un positionnement atypique :  mal à l'aise dans les carcans partisans, adepte d'un patriotisme économique... mais européen, n'hésitant pas à défendre les grandes banques françaises contre les velléités de démantèlement portées par la gauche tout en portant un discours social, pestant contre les « démagogues » qui prétendent résoudre les blocages européens à coup de référendum, assumant son appartenance à l'élite tout en se dressant contre la mainmise de plus en plus forte des chefs d'Etat nationaux sur l'agenda européen et les tentatives répétées de reléguer d'un parlement représentant 500 millions d'Européens au rang de « 29e Etat de l'Union ».

Relancer le débat

Dans chaque pays, au plus haut niveau de pouvoir possible, le jeune patron d'En Marche ! se cherche des interlocuteurs, dont il tentera le moment venu de faire des alliés. Il a mis à profit la trêve estivale pour échanger avec Jeroen Dijsselbloem, le président de l'Eurogroupe, devenu en quelques années l'un des rouages les plus importants de la politique européenne. Le social-démocrate batave, dépeint comme un ayatollah de l'austérité et des règles budgétaires par une partie de la gauche européenne, l'a mis en garde contre la montée du populisme et du sentiment anti-européen. Le Brexit est le symptôme d'un malaise qui frappe aussi le Continent. Les Pays-Bas seront les premiers, en mars 2017, à tenir des élections générales, avant la France, l'Allemagne et l'Italie.

Le Français en sort conforté dans l'idée qu'il faut impérativement lancer le débat sur la réforme européenne avant que l'Elysée et la chancellerie aient accueilli leur nouveau locataire, fin 2017. Est-ce à force d'entendre les inquiétudes des traditionnels défenseurs du respect des règles budgétaires ? Toujours est-il que son discours sur la réforme de la zone euro reste prudent et qu'il se garde bien de jeter aux orties le pacte de stabilité et ses fameux « 3% » honnis par nombre de candidats aux primaires françaises. « La priorité n'est pas de le remettre en cause mais de créer des flexibilités et des outils communs », ce que, peu ou prou, la commission Juncker a commencé laborieusement à faire. L'équilibre est difficile à trouver quand le populisme se nourrit, au Nord, de « flexibilité » et, au Sud de l' « austérité ».

Maîtriser la règle du jeu européen

En Italie, il a gardé le contact avec son ancien homologue, Carlo Calenda, 43 ans, proche de Mario Monti et actuel ministre du développement économique issu du parti démocrate du gouvernement Renzi. A Francfort, le dialogue noué avec Benoît Coeuré, devenu membre du directoire de la Banque centrale européenne en 2012, quand lui rejoignait l'Elysée comme secrétaire général adjoint, ne s'est jamais rompu. « Ils se connaissent très bien », confie un proche. On ne saurait dire plus ; les amitiés politiques sont interdites aux banquiers centraux. Avec l'économiste et polytechnicien grenoblois de huit ans son aîné, il partage l'essentiel des idées sur les indispensables réformes de la zone euro : création d'un budget spécifique sous l'autorité d'un vrai ministre des finances et le contrôle d'un Parlement européen. Des idées pas toutes neuves, mais irréalisables dans l'état actuel des relations entre Paris et Berlin.

Il n'en ignore rien. A l'Elysée comme à Bercy, il a fait l'apprentissage de la règle de base du jeu européen : « l'entente franco-allemande reste le socle de toute action », résume un ancien collaborateur. A son arrivée auprès du président Hollande, en 2012, la Grèce vacille toujours, l'Espagne va mal. La crise de l'euro reste même suffisamment vive pour que les dirigeants de la zone euro consentent le saut quantique que leur demande le président de la BCE Mario Draghi : l'abandon de la souveraineté nationale sur la supervision bancaire et son transfert à Francfort. A Paris, le Trésor grince des dents. « Il y avait des doutes chez les conservateurs de Bercy que Ramon Fernandez (alors directeur du Trésor) parviendra à désarmer », raconte l'économiste Shahin Vallée, qui travailla quelque mois avec lui à Bercy, après avoir été le conseiller du président du Conseil Herman van Rompuy. Le moment est aussi venu de consolider le « pare-feu » de la zone euro, de mettre les banques espagnoles à l'abri et de conforter le soutien à la Grèce. Là c'est Berlin qui résiste. Le jeune sherpa de Hollande travaille à assembler les pièces d'un deal franco-allemand qui deviendra clair quand François Hollande s'autorisera les premières déclarations claires sur l'Union bancaire dans les semaines qui suivent son élection.

Devenu ministre en 2014, il se rapproche du vice chancelier SPD de la grande coalition, Sigmar Gabriel, le ministre fédéral de l'économie, dont il est l'homologue. La loi qui porte son nom sera aussi un gage donné à l'Allemagne de la volonté de réforme française. Avec Gabriel, il signera plusieurs papiers sur la réforme de la zone euro... qui feront chou blanc. Le vice chancelier pilote le BMWi, le ministère de l'économie, alors que toutes les questions ayant trait à la zone euro, de la crise de la dette au contrôle des budgets restent la chasse gardée du BMF et de son patron, l'indéboulonnable ministre des finances d'Angela Merkel, Wolfgang Schäuble.

Changer de méthode

Au printemps 2015, enfin, en plein psychodrame grec, alors que le ministre de l'économie d'Alexis Tsipras, Yanis Varoufakis, se démène pour desserrer l'étau de ses créanciers, le Français, qui rencontre à plusieurs reprises le très médiatique économiste grec, tente à nouveau de faire bouger Berlin. Le papier sur la réforme de la zone euro préparé patiemment avec Gabriel est à nouveau rejeté par Schäuble comme n'étant pas une base de discussion. Peine perdue.

« La méthode intergouvernementale ne permet pas d'avoir un agenda à 15 ans. Elle donne naissance à un système sophistiqué de rewording de communiqués de presse visant (pour chaque chef d'Etat) à expliquer à son opinion qu'il a gagné la négociation. Je suis bien placé pour le savoir, je l'ai fait en tant que sherpa » de François Hollande, a-t-il raconté cette semaine à Bruxelles. Est-ce cette âpre expérience de la réalité des rapports de force au sein de l'Union, du poids des contraintes de politique intérieure et des aléas des négociations secrètes qui a amené Emmanuel Macron à proposer un changement de méthode ?

Rejetant à la fois le piège référendaire et l' « intergouvernementalisme » ambiant, il plaide pour des « conventions démocratiques », organisées à l'échelle de l'Union européenne. Une façon de « relégitimer » l'Union européenne. « On définit un squelette pour l'ensemble de l'Europe, on demande à une équipe d'organiser des débats ; le numérique peut aider. Et finalement on arrive à un texte stratégique », explique-t-il.  Puis on enclencherait la machine : conférence intergouvernementale  entre dirigeants exécutifs nationaux et référendum paneuropéen sur ledit texte. Cela ressemble tout de même furieusement à une réforme des traités... sans résoudre la question de savoir qui rédige ce « premier squelette ».

D'ici la fin de l'année, il retournera à Berlin. L'université Humboldt lui a offert sa prestigieuse tribune. En attendant, il va continuer à tisser sa toile, chercher des interlocuteurs fiables là où il en manque, en Espagne, en Europe centrale, sûr qu'à 37 ans, à la tête d'une armée de 90.000 sympathisants, sans attache partisane ni mandat électif, et après quatre années passées dans les couloirs du pouvoir, le pari de redonner des couleurs à l'idée de l'unité d'un continent en crise mérite qu'il lui lie son propre destin politique.

Commentaires 18
à écrit le 24/10/2016 à 13:56
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C qu'il a les dents longues le banquier. Oui l’Europe semble être un bon tremplin pour rejoindre la gold-sax

à écrit le 22/10/2016 à 9:20
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M Macron a une capacité devenue trop rare chez nos dirigeants, celle de s'extraire du bourbier ambient du commentateurisme pour proposer des idées neuves et des perspectives pour le long terme. A part Boorlo et Cohn-Bendit, je ne vois guère que l...

à écrit le 21/10/2016 à 22:13
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Macron étoile filante, pas étoile montante, Macron va descendre aussi vite qu'il est montée, le vide du personnage ne peut être comblé par la communication ou plutôt la propagande Macronienne. Quelle idée nouvelle apporte Macron au débat? il fait ...

le 22/10/2016 à 12:58
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Vous pouvez nous citer des idées novatrices dans les programmes des autres candidats?

à écrit le 21/10/2016 à 20:02
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Le centre de la droite où se situe cet ex-banquier n'est absolument pas le centre de l'échiquier poltique. Arrêtez donc de relayer que Macron est au centre, c'est un mensonge, il est clairement de droite. Mais peut-être est-ce vos donneurs d'ordre qu...

à écrit le 21/10/2016 à 19:51
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En fait, il a même le profil pour devenir Président de la Commission Européenne : il est tout indiqué pour rejoindre Goldman Sachs...

à écrit le 21/10/2016 à 18:29
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Je prédis qu'il fera un bide s'il se présente aux présidentielles.

à écrit le 21/10/2016 à 16:03
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Puis-je vous écrire que votre ode à Macron commence à sérieusement m'exaspérer! Vous réalisez quand même que là où il est très populaire et applaudi, ce n'est que lors de réunions dûment programmées et claironnées par des affidés. Sinon, il passe in...

à écrit le 21/10/2016 à 14:40
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C'est intéressant que sherpa ressorte, je suis tombé sur ce mot en cherchant le bouquin sur le programme de Jacques Attali, sur Wiki. Mais tout le monde sait que M. Macron est le fils psychologique de M. Atalli. En lisant quelque pages de ce brulo...

à écrit le 21/10/2016 à 13:34
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Ah le marketing : le coup du ni droite ni gauche avec un programme de droite a déjà été tenté il y a quelques années. Et ce coup marketing de seconde main a encore plus de difficultés à passer maintenant que le PS a aussi une politique de droite. Enf...

à écrit le 21/10/2016 à 13:24
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Le monde des journalistes veulent nous imposer Juppé, les partis veulent nous imposer leur chef, mais faisons comme les verts repoussons leur choix qu'ils cherchent à nous vendre alors pourquoi pas Un duel FILLON MACRON deux personnages sérieux et in...

à écrit le 21/10/2016 à 12:19
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exactement ce que j 'attends d un candidat à la Présidentielle: aller discuter des réformes nécessaires avec les autres européens, présenter les propositions en fonction des dites discussions et on vote. C'est quand même autre chose que de réfléchir ...

le 21/10/2016 à 15:21
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Sauf que le voile dans l'espace public, c'est une certaine vision de la liberté de la femme, sans parler de l'absence de démocratie des pays dans lesquels le port du voile est obligatoire. Connaissez vous l'histoire du loup dans la bergerie ?

le 21/10/2016 à 22:07
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ça n a gêné personne pendant des décennies que mes grands mères mettent un voile pour aller à la messe le dimanche. Parlons des vrais sujets svp.

à écrit le 21/10/2016 à 10:38
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Il faut harmoniser les fiscalités des pays de la zone euro en utilisant les mêmes dispositions pour la fiscalité sur la production, et plus particulièrement, pour les charges sociales qu'il faut prévoir de reporter sur la consommation. Macron a évoqu...

à écrit le 21/10/2016 à 10:10
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La droite et la gauche n'existe plus puisque la politique se décide a Bruxelles. Par contre on peut être souverainisme et retrouver ce clivage qui n'existe pas chez les européistes!

le 21/10/2016 à 14:51
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C'est ridicule : Les responsables à Bruxelles n'ont aucun vrai pouvoir, ils ne font qu'exécuter des décisions importantes qui sont toutes prises par les chefs d'Etat. Si par exemple on a l'austérité aujourd'hui en Europe, c'est parce que Merkel l'...

à écrit le 21/10/2016 à 9:35
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Je pense que président de la république française c'est pas assez bien pour un homme tel que Macron, il faut viser la place de président du Monde ! Voilà un boulot à la hauteur de ses multiples compétences avec lesquelles nous soulent nos médias de m...

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