Espagne : Podemos est-il un parti "social-démocrate" ?

Podemos et son allié de gauche s'installent en deuxième position dans les sondages en Espagne. Pablo Iglesias semble lorgner vers les électeurs sociaux-démocrates du PSOE. Simple opportunisme ou vraie stratégie ?
Podemos est-il un parti "social-démocrate" ? Oui, répond Pablo Iglesias, son dirigeant.

Depuis qu'il s'est allié avec la Gauche Unie (Izquierda Unida, gauche communiste et écologiste) pour les élections générales espagnoles du 26 juin, Podemos, le parti issu du mouvement des « indignés », occupe nettement la deuxième place dans les sondages et pourrait devenir la première force à gauche de l'échiquier politique. Si ce « dépassement » (« sorpaso ») du vieux parti socialiste espagnol (PSOE) par Podemos se concrétise en termes de sièges au Congrès des députés, ce pourrait être le fait majeur de ce nouveau scrutin qui interviendra six mois après le précédent.

La conversion à la social-démocratie ?

Cette nouvelle situation modifie la stratégie du parti. Renforcé sur sa gauche par une alliance électoral, Podemos semble désormais tenter de séduire les électeurs plus centristes, ceux qui sont traditionnellement attachés au PSOE. Début juin, le principal dirigeant de Podemos, Pablo Iglesias a ainsi revendiqué pour son parti l'étiquette de « social-démocrate » avec laquelle a-t-il ajouté, il n'a « aucun problème ». Les éditorialistes proches du PSOE se sont alors étranglés, accusant Pablo Iglesias d'usurpation identité au vrai et seul parti « social-démocrate » espagnol. Dans El País, on dénonce ainsi « la nouvelle astuce tactique avec laquelle Iglesias prétend s'ancrer au centre-gauche », et ainsi affaiblir encore le parti socialiste. Mais, dans l'esprit de ces commentateurs, l'affaire est entendue : c'est la conversion de Podemos à un opportunisme dont l'électeur social-démocrate sortira inévitablement trompé.

Les fondements idéologiques de Podemos

En réalité, la prétention « sociale-démocrate » de Podemos correspond parfaitement aux fondements théoriques de ce parti. Podemos n'est pas un simple « parti d'extrême-gauche », il n'est pas même issu lui-même d'une formation de gauche radicale, comme a pu l'être Syriza en Grèce. Son inspiration provient de la pensée de deux philosophes, la Belge Chantal Mouffe et l'Argentin Ernesto Laclau, décédé en 2004. Cette pensée complexe réclame la réintroduction d'une division droite-gauche, fondée sur l'opposition aux politiques néolibérales défendues désormais par les partis dits « sociaux-démocrates ». Dans un entretien récent au Monde, Chantal Mouffe explique ainsi que les « différentes orientations politiques doivent s'opposer » et souligne que « les partis sociaux-démocrates ont accepté qu'il n'y avait pas d'alternative à la mondialisation néolibérale ».

Mais, en réalité, Podemos cherche à élargir cette opposition en ne la réduisant pas à un électorat de gauche. L'opposition nouvelle doit fédérer de nouveaux adhérents provenant d'autres horizons que ceux de la gauche, il doit construire « un peuple » autour d'un projet. Podemos élargit donc cette critique du néolibéralisme à une critique de la « caste », autrement dit des élites, qui, précisément portent cette absence d'alternative, mais aussi d'autres éléments de blocages de la société comme la corruption, par exemple. Podemos entend donc s'appuyer sur les « victimes » des élites pour construire un projet nouveau qui les fédère. Il entend ainsi « construire un peuple » et c'est pourquoi il revendique l'appellation de « populiste ».

Quelle social-démocratie ?

Quel rapport avec la social-démocratie ? Podemos se revendique d'une démocratie « historique », mais aussi « renouvelée ». Le parti espagnol accepte le jeu parlementaire et la démocratie « libérale » pour transformer la société dans un sens plus égalitaire. C'est la définition originelle de la social-démocratie du 19e siècle qui ne luttait pas seulement contre des « ennemis de classe », mais aussi contre des régimes non-démocratiques. Podemos peut prétendre reprendre cette ambition en considérant que le « consensus néolibéral » a fait disparaître la vraie démocratie. C'est en ce sens que Pablo Iglesias a pu affirmer que « Marx et Engels étaient aussi sociaux-démocrates ». Mais le parti espagnol reprend également les caractéristiques de la « deuxième social-démocratie », celle qui défendait l'évolution plus sociale du capitalisme par l'action de l'Etat et qui a été la marque de fabrique des partis socialistes européens jusque dans les années 1970.

Pablo Iglesias et les siens s'opposent donc à ce qu'ils appellent « la vieille social-démocratie » incarnée par le PSOE, celle qui s'est progressivement convertie aux politiques libérales. Cette alternative, il la construise par un élargissement progressif de leur audience. D'abord, en fédérant « la gauche », par l'alliance avec IU, puis en s'adressant aux électeurs du PSOE. A chaque étape, le discours est affiné, voire modifié, ce qui donne une impression de confusion, mais traduit en fait cet effet de construction, de chantier permanent, qui est au cœur de leur pensée. Contrairement à ce que prétend El País, il n'y a pas d'abandon de la « transversalité », autrement dit de la recherche d'une audience au-delà de la gauche, mais il y a une construction de cette transversalité.

Le bon moment

Or, le moment semble opportun, pour deux raisons. Le PSOE est réduit à sa portion congrue, celle de ses bastions traditionnels, andalous principalement. Ce parti, et c'est son secrétaire général, Pedro Sánchez, qui le reconnaît, n'a plus de dynamique et ne fait plus rêver personne. Les électeurs du PSOE sont donc attentifs aux propositions de Podemos à gauche et de Ciudadanos à droite. Le PSOE est un territoire à conquérir. Et c'est ici qu'intervient la deuxième opportunité : le programme économique de Podemos ne semble plus aussi effrayants aujourd'hui qu'il a pu l'être. La vision austéritaire, dominante en 2011-2012, perd du terrain sur le plan intellectuel après les désastres européens. Des économistes « raisonnables » recommandent des coupes dans la dette grecque, la Commission européenne accorde un délai à l'Espagne et au Portugal pour leur consolidation budgétaire et plus personnes en Espagne ne veut entendre parler de baisses de dépenses, pas même les Conservateurs. Podemos peut donc apparaître comme un parti « modéré » plus que « radical », représentant des choix rationnels. Il peut donc parler aux électeurs du PSOE.

Pablo Iglesias comme François Mitterrand ?

La sortie du terme de « social-démocrate » a donc cette fonction n'ont pas seulement de « chiper » des électeurs au PSOE par une « usurpation », mais de se présenter comme l'avenir et le renouveau de la social-démocratie espagnole. C'est aussi une façon de préparer le terrain à une entente électorale future avec le PSOE, un « front populaire » inversé où le PSOE serait l'allié secondaire. Une fois cette alliance faite, l'idée de Pablo Iglesias est évidemment d'asphyxier idéologiquement le PSOE en le contraignant à adopter ses choix sous la pression d'un électorat tenté par Podemos. Il s'agit donc, en quelque sorte, de faire, en sens inverse, ce que François Mitterrand a fait avec le PCF dans les années 1980. Là aussi, le PCF était essoufflé idéologiquement et s'est adossé au PS pour survivre. Il en est sorti exsangue. Podemos prépare sans doute le même sort au PSOE.

Pourquoi le référendum catalan n'est plus une « ligne rouge »

Une autre preuve de cette stratégie est l'évolution du discours sur le référendum d'autodétermination catalan. En mai et juin, c'est cette question qui a empêché l'alliance avec le PSOE. Mais elle représentait un problème parce que PSOE et Podemos n'avaient pas la majorité absolue et devait compter sur la bénédiction active ou passive des nationalistes catalans. Cette fois, grâce à l'alliance avec IU, Podemos peut espérer une majorité absolue des sièges pour la gauche « espagnole ». Dans ce cas, Pablo Iglesias a indiqué que le référendum n'était pas « une ligne rouge ». Bref, si le PSOE n'en veut pas a priori, Podemos pourra s'en passer.

Cette annonce semble surprenante. L'alliance de Podemos en Catalogne, En Comú Podem, qui regroupe aussi IU et le mouvement de la maire de Barcelone, est un des points forts électoraux du parti. Or, cette alliance a fait du référendum d'autodétermination la pierre angulaire de son programme, attirant ainsi des indépendantistes estimant que l'arrivée au pouvoir de Podemos permettra cette consultation. L'annonce de Pablo Iglesias met à mal cette stratégie. Mais le chef d'En Comú Podem, Xavier Domenech, s'est engagé encore, ce mercredi 15 juin, à réaliser le référendum si Podemos arrivait au pouvoir. Là encore, il est sous-entendu que le PSOE ne pourra, in fine, pas refuser cette demande, une fois « pris au piège » dans l'alliance avec Podemos. Du reste, il est très significatif que Podemos ait rejeté une proposition de fédéralisme du PSOE voici deux semaines, mais qu'il propose désormais de discuter sur le fédéralisme. L'explication est simple : il faut asphyxier le PSOE en neutralisant ses propositions pour ensuite imposer les termes du consensus qui, progressivement, devront évoluer vers le programme de Podemos.

Les conditions du succès

Cette stratégie peut-elle fonctionner ? Rien n'est certain. Podemos a gagné un nouveau statut en réalisant le « sorpaso » dans les sondages. Si, le 26 juin, ce « sorpaso » n'est pas réalisé (et si PSOE et Podemos ne sont pas majoritaires en sièges), la stratégie décrite plus haut sera plus difficile à mettre en œuvre. Pour « tuer » le PSOE, il faut tenir la Moncloa et pour cela, il faut dépasser le PSOE le 26 juin. Autre problème : les électeurs socialistes espagnols, centristes et libéraux, pourraient être tentés davantage par le « populisme » (au sens de Chantal Mouffe) de droite de Ciudadanos qui propose un renouvellement de la vie politique sur des bases moins corrompue et sur une adaptation au capitalisme libéral, avec un fort accent mis sur l'unité de l'Espagne. « L'ambiguïté constructive » qui est au cœur de la pensée de Podemos peut parfois être déroutante face au « bon sens » affiché d'Albert Rivera, le dirigeant de Ciudadanos. L'avenir de la politique espagnole va se jouer entre ces deux partis. Or, un sondage réalisé après le débat à quatre a montré que si Pablo Iglesias avait gagné ce débat selon les téléspectateurs, c'est Albert Rivera qui avait été jugé le plus convaincant...

Le problème catalan

Enfin, la Catalogne sera un élément clé. Podemos ne peut se permettre d'y perdre du terrain. Or, la fin de la « ligne rouge » a ouvert une fenêtre idéale de tir pour les partis indépendantistes, ERC à gauche et CDC à droite, pour dénoncer le « double discours » du parti de gauche. Si Pablo Iglesias a pu se permettre cette ouverture vers le PSOE, c'est que l'indépendantisme catalan traverse une crise avec le rejet du budget du gouvernement de Carles Puigdemont par la CUP, la gauche radicale indépendantiste. Pablo Iglesias fait donc un pari : celui que son parti bénéficiera d'un report des déçus du gouvernement de la Generalitat, le gouvernement catalan, en misant sur un essoufflement du mouvement sécessionniste. Rien ne dit que ce pari sera gagné.

Ce sont ces trois éléments qui permettront de décider si Pablo Iglesias pourra tenter de réaliser à la Moncloa son ambition « populiste ». En cas de succès s'ouvrira alors un nouveau défi, de taille : celui de ne pas tomber dans les erreurs de la « vieille social-démocratie » en reconnaissant l'absence d'alternative. Dans ce cas, Podemos deviendra Syriza et, l'absorption du PSOE sera en réalité une absorption idéologique par le PSOE...

Commentaires 7
à écrit le 16/06/2016 à 17:35
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Dans touts les pays industriellement développés, la gauche est en grande partie réformiste et minoritairement léniniste(ceux qui sont qualifiés de révolutionnaires communistes). Mais un parti vraiment communiste, révolutionnaire n'existe nulle par...

à écrit le 16/06/2016 à 13:24
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les neo communistes devraient faire venir qques venezueliens pour temoigner des bons resultats de politiques pas liberales pour 2 sous les venezueliens vivent dans la joie, le bonheur et la prosperite des entrepots jaruzelski qui ont assure le bonhe...

à écrit le 16/06/2016 à 9:50
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Un partie européiste ne changera jamais la politique de l'Espagne et ne fera qu'appliquer les directives de Bruxelles!

à écrit le 16/06/2016 à 7:38
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Résumé : le PSOE a vu son électorat diminuer de moitié. Un gros quart parti chez Podemos, un quart chez C's qui n'acceptera jamais une coalition avec Podemos. Conclusion, comme en Allemagne avec Die Linke, il n'y a plus de coalition majoritaire de ...

le 16/06/2016 à 11:40
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" la seule formule de gouvernement stable possible est une coalition dirigée par le parti le plus important (le PP), avec C's et le PSOE comme forces d'appoint." vrai, sauf que cette coalition décevra tellement que ce ne sera que partie remise Pou...

le 16/06/2016 à 11:45
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Une telle coalition signera la mort du PSOE, un peu comme la mort lente du SPD en Allemagne qui a fait l'erreur de gouverner avec la CDU. La seule issue pour le PSOE pour retrouver des couleurs est de soutenir un gouvernement PP-C's et de déclencher ...

le 16/06/2016 à 22:08
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@red2 : recomposition du paysage politique espagnol, certainement , mais à terme comme partout en Europe par un effacement global de la gauche. En Pologne, c'est déjà fait, en France ça se profile. Et c'est aussi le cas dans pas mal de pays européen...

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