Europe, 2017 (4) : l'équation délicate de la BCE

[Série] Les enjeux européens pour 2017. Quatrième partie : la BCE devrait continuer à mener l'an prochain une des politiques monétaires les plus accommodantes du monde. Mais va-t-elle, à l'image de la Fed, s'engager réellement dans un resserrement monétaire en raison de la remontée de l'inflation et malgré une demande toujours faible en zone euro ?
La BCE engagera-t-elle le retrait de sa politique non conventionnelle en 2017 ?

En 2016, les banques centrales sont restées au centre de toutes les attentions, et de toutes les polémiques. C'est particulièrement vrai de la BCE qui, au printemps, alors que l'inflation en zone euro passait à nouveau en territoire négatif, a renforcé son programme de rachats d'actifs, souvent appelé « QE » pour « quantitative easing » (assouplissement quantitatif). Les rachats mensuels étaient alors portés à 80 milliards d'euros, les taux négatifs sur les dépôts auprès de la BCE portés à -0,4% et l'institution de Francfort s'autorisait désormais à racheter des obligations d'entreprise. Cette nouvelle phase du programme est encore en application.

Nouvelle donne

Mais en neuf mois, la situation a changé. Si la reprise en zone euro demeure toujours incertaine avec deux trimestres à 0,3% entre mars et septembre, l'inflation, elle, se redresse, du moins en apparence. Les prix ont progressé en 0,6% sur un an en novembre, du jamais vu depuis mars 2014. Six mois plus tôt, en juin 2016, l'inflation annuelle était encore négative, à - 0,1%. Cette accélération des prix s'accompagne également d'une remontée des taux, notamment souverains. Le taux à 10 ans allemand a quitté le territoire négatif et alors qu'il tutoyait les -0,18 % en juillet, il dépasse désormais les +0,18%...

Parallèlement, la Fed aux États-Unis a repris le chemin du durcissement monétaire en décembre, promettant un rythme de resserrement encore plus soutenu en 2017. Cette feuille de route pèse naturellement sur l'euro en jouant sur la différence anticipée des politiques monétaires des deux côtés de l'Atlantique. En cette fin d'année 2016, l'euro se situe aux alentours de 1,04 dollar, du jamais vu depuis treize ans, apportant à la fois un soutien aux exportateurs et un soutien aux prix en zone euro en renchérissant les importations.

Prudence infléchissement

Devant cette évolution, la BCE a décidé d'infléchir sa politique, mais Mario Draghi agit avec prudence. Lors de la réunion du Conseil des gouverneurs de décembre, il a pris un ton très accommodant pour annoncer le retour en mars 2017 à un rythme plus réduit des rachats d'actifs. Certes, le programme est rallongé de neuf mois par rapport à sa fin prévue en mars 2017, jusqu'à la fin de l'année prochaine. Certes, la BCE accepte désormais exceptionnellement de racheter des titres rapportant moins que son taux de dépôt. Mais à partir du 1er avril, le montant des rachats repassera à 60 milliards d'euros mensuels. Ce n'est pas la fin du QE, mais c'est néanmoins le signe que la BCE ne veut pas aller plus avant dans les moyens utilisés, même si la durée reste un critère clé. C'est un « tapering » (mot anglais désignant la réduction progressive des mesures non conventionnelle) qui ne dit pas son nom, mais qui est réel : la BCE rachètera plus de titres en 2017, mais à un rythme inférieur.

Un QE pas si efficace

C'est que la position de Mario Draghi est clairement incommode. Les évolutions décrites plus haut ne sont pas réellement les fruits du QE. La Fed a évidemment sa propre logique, liée à l'élection du nouveau président, Donald Trump, et aux anticipations de relance de ce dernier. Ces mêmes anticipations ont provoqué une réévaluation à la hausse des taux dans le monde entier. La politique de la BCE n'a, ici, joué qu'un rôle de second plan.

Quant à l'inflation, elle ne remonte pas en raison de l'amélioration des conditions macro-économique ou de la distribution de crédit, mais uniquement sous la pression de la remontée du prix de l'énergie par rapport à l'an dernier. Ainsi, hors énergie et alimentation, l'inflation dite sous-jacente reste globalement stable en zone euro. En novembre, cette hausse des prix était de 0,8% sur un an, soit le même rythme depuis août. Elle est même inférieure à celle de mars 2016 où elle était de 1% lorsque l'inflation globale était de 0%. Du coup, la hausse des prix n'est pas forcément une bonne nouvelle. Les entreprises sont si peu assurées que leurs marchés puissent absorber le relèvement des prix liés à l'énergie qu'elles absorbent, sur leurs marges, la remontée des prix énergétiques. C'est le signe que le QE n'a pas réglé le problème de demande qui persiste en zone euro.

Dans ces conditions, entrer dans un tapering franc et massif dès aujourd'hui serait extrêmement risqué pour la BCE. Ceci conduirait à renforcer une hausse des taux qui ne s'accompagne pas d'un vrai rebond de la demande intérieure. Avec des marges contraintes par la hausse du prix de l'énergie, les entreprises pourraient être tentées de stopper les investissements à nouveau. Il faut donc, comme l'a souligné Mario Draghi le 8 décembre, « maintenir la pression sur le marché » pour que les taux demeurent attractifs pour ceux qui souhaitent investir et consommer.

Une BCE toujours esseulée

La BCE ne peut donc réellement inverser sa politique comme l'a fait la Fed. Elle ne peut pas même faire preuve de la retenue de la Banque d'Angleterre ou même de la Banque du Japon. Elle est en effet seule en zone euro à soutenir l'activité, alors qu'au Royaume-Uni et au Japon, des plans de relance sont envisagés. Comme l'a démontré une récente évaluation de la Commission, la politique budgétaire en zone euro devrait rester neutre en 2017. Dès lors que les États ne soutiennent pas la croissance, la BCE doit absolument maintenir un euro faible et des taux bas pour maintenir des perspectives positives. D'où ce discours très accommodant de décembre où Mario Draghi a même prévenu que, si, après mars 2017, le besoin de revenir à des rachats de 80 milliards d'euros mensuels se faisait sentir à nouveau, la BCE agirait. Francfort garde donc l'arme au pied et se confirme, malgré ce léger recul des rachats, comme la banque centrale la plus souple du moment.

L'enjeu politique

A cela s'ajoute la question politique. Dans un contexte de fragilité, les périlleuses élections néerlandaises et françaises du printemps, les possibles élections italiennes et les incertaines élections allemandes peuvent effarouchés des investisseurs pour qui l'élément politique est désormais une clé dans leurs décisions, notamment après les victoires inattendues en 2016 du Brexit et de Donald Trump.

Certes, Frederik Ducrozet, économiste en charge du suivi de la BCE chez Pictet, « veut croire que les élections jouent un rôle secondaire dans les décisions prises par le conseil des gouverneurs », compte tenu de l'attachement de ce dernier à l'indépendance de la Banque, mais il reconnaît que ce risque politique « susceptible de peser sur les décisions d'embauche et d'investissement des entreprises est en partie intégrée dans les projections des équipes de la BCE ».

Dès lors, la prolongation du QE jusqu'en décembre 2017 serait, pour lui, une façon de « réduire la sensibilité des marchés aux événements à venir ». C'est donc aussi un facteur qui amène la BCE à ne pas réduire trop la voilure du QE.

Pressions allemandes

Mais rien n'est simple pour Mario Draghi. Le retour de l'inflation globale va nécessairement porter une pression nouvelle sur la BCE pour entrer franchement dans une déconstruction de ses mesures exceptionnelles. Dans les pays du nord, en particulier en Allemagne, la politique de la BCE est sous le feu des critiques. Les taux faibles irritent dans un pays où l'excès d'épargne est immense et où le vieillissement de la population rend le besoin de rendement élevé. Or, l'inflation reprend un peu plus vivement en Allemagne qu'en zone euro : elle était de 0,7% en novembre, le même taux qu'en France, mais au-delà du taux espagnol (+0,5%) et italien (+0,1%). En théorie, ce différentiel est plutôt logique et sain, il permet un rééquilibrage des compétitivités salariales au sein de l'union monétaire. Mais il risque de ne pas être accepté par les Allemands et par la classe politique. D'autant que certains économistes prévoient une inflation globale proche des 2% début 2017. Dans un contexte de campagne électorale, les taux bas seront donc très mal vécus outre-Rhin.

Mario Draghi va devoir prendre garde une nouvelle fois aux critiques venues d'Allemagne, non pas tant pour des raisons politiques par ses conséquences sur les comportements des épargnants. Déjà, on constate en Allemagne une compensation du rendement par le volume, autrement dit, on épargne davantage pour compenser la faible rémunération. Ce qui est contraire aux volontés de la BCE. Le mouvement de décembre permet d'envoyer un signe vers l'opinion publique allemande pour affirmer que les taux bas ne sont pas là « pour toujours ». Mais cet équilibre de communication est précaire.

Les conditions du mouvement

Dans ces conditions, la BCE pourra-t-elle maintenir le cap ? Selon Frederik Ducrozet, son « seuil de douleur » est désormais « probablement plus élevé pour raugmenter le rythme des achats d'actifs ».

« Plus qu'une crise politique ou bancaire localisée dans un pays, explique-t-il, il faudrait que l'inflation sous-jacente ou les anticipations d'inflation baissent fortement ».

La stratégie de la BCE pourrait donc être celle de l'attente d'un renforcement de l'économie, notamment par les facteurs externes (plans de relance aux États-Unis et en Chine) et interne (accélération de la distribution de crédit), qui, in fine, permettront aux entreprises d'ajuster leurs prix à l'évolution de ceux de l'énergie.

« La BCE ne devrait enclencher un tapering en bonne et due forme que lorsque les conditions économiques le permettront, c'est-à-dire lorsque la croissance sera stabilisée et lorsqu'un ajustement soutenable de l'inflation sera visible », résume Frederik Ducrozet.

Cette stabilisation et cette transmission entre croissance et prix sera la clé de l'évolution de la politique monétaire de la BCE, car elle sera le signe que le problème de demande soit en voie de résolution ou non.

Un "tapering" en 2018 annoncé en 2017 ?

Si tout se passe bien, Frederik Ducrozet estime que, dans la seconde partie de 2017, la BCE pourrait annoncer un processus de réduction du QE à partir du début de 2018 pour une fin programmée à l'échéance de la même année. Mais rien n'est sûr. Frederik Ducrozet juge encore le redressement prévu par les équipes de la BCE de l'inflation sous-jacente en 2017 « trop optimiste ». L'année 2016 a montré combien la croissance européenne restait faible et fragile : ses piliers internes demeurent réduits, ses soutiens externes incertains et la réaction à l'environnement politique restent sensibles. Bref, l'année 2017 pourrait être une année de prudence attentive pour une BCE plus que jamais au centre de l'équation de croissance de la zone euro.

Commentaires 4
à écrit le 31/12/2016 à 2:58
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Quand la BCE tire la charette, les autres n'ont pas enlevé le frein. Argent disponible à profusion presque gratuit, alors que les gouvernements dominés par Bruxelles jouent l'austerité due aux 3%. Ridicule. Quel industriel va investir alors qu'il a d...

à écrit le 30/12/2016 à 11:38
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Cette gestion de l'économie européenne par la BCE est pitoyable, les grandes puissances de ce monde doivent franchement rigoler en observant notre UE, mais forcément doivent dire qu'il faut continuer comme ça surtout svp ! Avec des concurrents co...

le 02/01/2017 à 14:51
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Franchement, avec votre niveau, se permettre de juger la BCE de cette façon la, c'est loufoque !!!

à écrit le 30/12/2016 à 9:57
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La hausse du prix du pétrole va venir aussi entamer la demande. D'autant plus qu'elle sera amplifié par une baisse de l'Euro. Je penche pour une chute de la croissance et de vive tension pour les élections. L'Euro est généralement accroché au prix...

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