Grèce : Berlin remporte une victoire décisive sur le dossier de la dette

Le FMI pourrait rester en dehors du programme grec, ce qui enterre sa demande d'une restructuration d'envergure de la dette hellénique. Un succès pour Wolfgang Schäuble et une défaite au pire moment pour Alexis Tsipras.
Alexis Tsipras pourrait être le vrai perdant de l'exclusion du FMI du programme d'aide.

La restructuration de la dette hellénique (176 % du PIB dont 70 % détenus par la zone euro) est, semble-t-il, renvoyée aux... calendes grecques. Certes, les discussions sur l'entrée dans le troisième programme d'aide à la Grèce (signé en août 2015) du Fonds Monétaire International (FMI) ne sont pas encore terminées officiellement. Et une décision devrait être prise par l'institution de Washington en décembre. Mais il paraît désormais évident que le gouvernement allemand est resté ferme sur sa position de rejet de toute restructuration de la dette grecque.

Le ministre fédéral allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a fait son choix. Après avoir tenté d'obtenir la participation financière du FMI au programme grec signé en août 2015 et l'absence de coupes dans le stock de dette grecque , il a finalement renoncé à son premier vœu pour se concentrer sur le second. Aussi le FMI devrait-il ne rester que comme « conseiller » dans le cadre de la troïka, si l'on en croit une information publiée dimanche 9 octobre par Reuters (et officiellement démentie par le FMI). Une situation qui, in fine, convient le mieux du monde à la Wilhelmstrasse, siège du ministère fédéral des Finances allemand.

Des concessions « gérables » pour le gouvernement allemand

Certes, la facture sera plus élevée pour les contribuables allemands et européens puisque c'est le Mécanisme européen de Stabilité (MES) qui devra assumer le versement complet du programme. Mais c'est un moindre mal pour Wolfgang Schäuble dans la mesure où il ne s'agit que d'une garantie donnée au MES. Ce dernier se contentera, grâce à ladite garantie, dans un premier temps, de lever de l'argent sur les marchés pour le reverser à Athènes. Le gouvernement grec utilisera ensuite largement cet argent pour rembourser le FMI (sur les prêts versés dans le cadre des programmes précédents), la BCE et... le MES. Bref, c'est un circuit quasi fermé que Wolfgang Schäuble pourra prétendre indolore. Du reste, comme la recapitalisation des banques grecques a coûté moins cher que prévu, le MES devra sans doute verser moins que les 86 milliards d'euros prévus, ce qui compensera la non-participation financière du FMI.

La fin de la discussion sur la dette grecque

Moyennant cette petite concession politiquement gérable, Wolfgang Schäuble obtient beaucoup. Le FMI sera officiellement exclu du champ des négociations sur la dette grecque. Certes, il restera créancier pour 13 milliards d'euros sur les 294,4 milliards d'euros de la dette grecque. Certes, il pourra toujours prétendre qu'il faut des coupes franches dans le stock de dette grecque pour le rendre « soutenable ». Mais, dans les faits, il n'aura plus de moyens de pression sur les principaux créanciers, les pays de la zone euro. Ceci clôt, de facto, toute possibilité d'une réduction du stock de dette pour la Grèce puisque, sur ce point, le pouvoir réside dans l'Eurogroupe et que l'Eurogroupe est largement dominé par Wolfgang Schäuble. Il y aura sans doute quelques aménagements qui, in fine, ne régleront pas l'essentiel et ne seront que des éléments cosmétiques qui ne modifieront pas la nécessité pour la Grèce de dégager des excédents considérables.

Le FMI restera un gendarme utile

Mais, parallèlement, comme le souligne la source officielle citée par Reuters, le FMI demeurera dans la « troïka » et sera plus qu'un « simple conseiller ». L'institution de Washington pourra donc jouer le rôle qu'elle a joué en juin 2015 : celui de l'agent de la fermeté contre la Grèce. En juin 2015, le FMI avait rejeté un projet d'accord avec les créanciers en insistant sur la coupe des retraites. Une position « logique » : en l'absence de réduction dans les dettes à rembourser, Athènes doit dégager des excédents primaires (hors service de la dette) considérables et donc pratiquer une forme d'austérité permanente. Le FMI « conseiller » de la troïka sera une instance technique. Quelles que soient ses idées sur la « soutenabilité » de la dette grecque, l'institution de Washington devra, dans les conditions qui se présentent, recommander des politiques basés sur la fiction de sa « soutenabilité ». Autrement dit, Wolfgang Schäuble conserve seulement ce qu'il pense être le « bon » FMI, celui qui promeut l'austérité et les « réformes » en Grèce.

Préoccupations électoralistes à Berlin

Le succès est donc total pour le ministre allemand dans le contexte électoral allemand actuel. Avant des élections fédérales dans un an qui s'annoncent difficiles pour la CDU/CSU, il ne saurait être question d'accorder une restructuration de la dette grecque à Athènes. Ceci serait perçu comme un « cadeau à Athènes » par les partis qui grignotent l'électorat chrétien-démocrate : les Libéraux de la FDP et les Eurosceptiques de l'AfD.

Avec cette solution, Wolfgang Schäuble peut justifier l'adoption d'un nouveau « plan d'aide » moyennant une position ferme sur les « réformes » envers Athènes. Le message envoyé aux contribuables et épargnants allemands, si inquiets ces jours-ci est donc que « leur » argent est sous bonne garde. En passant, la Wilhelmstrasse maintient une dernière illusion : celle que la Grèce pourra rembourser sa dette avec les seules « réformes », ce qui flatte directement un électorat conservateur allemand qui est persuadé de la « magie des réformes ». Bref, le ministre des Finances pourra prétendre défendre parfaitement les intérêts allemands dans un sens allemand.

L'impasse de la stratégie Schäuble

Peu lui importe donc que, désormais, la nécessité d'une restructuration importante de la dette grecque apparaisse comme une évidence, non seulement par le FMI, mais par la plupart des économistes. Même le gouverneur de la Banque de Grèce, Yannis Stournaras, peu susceptible de sympathies « gauchistes » et en conflit ouvert avec le gouvernement grec, a réclamé une coupe « équivalente » à celle de 2012. En réalité, cette absence de restructuration va à l'encontre même des objectifs affichés par le programme.

Comment attirer des investissements bien valorisés lorsqu'un tel stock de dette laisse planer sur l'économie grecque la nécessité d'excédents primaires considérables jusqu'en 2054 ? Comment donner envie d'entrer dans un marché intérieur soumis à une si longue « ponction » qui, du reste, ne peut qu'augmenter ? En effet, si, par un hasard extraordinaire, la Grèce retrouve un accès au marché, comme c'est l'objectif de la troïka et du gouvernement grec, elle refinancera une partie de la dette due à des conditions d'intérêts bas aux Etats de la zone euro par une dette de marché qu'elle devra payer bien plus cher. Or, la dynamique des intérêts est la première source de croissance de la dette. Bref, c'est une spirale infernale qui assure à la Grèce une croissance faible, des ressources de privatisations dérisoires et le maintien d'une dette insoutenable. Au final, c'est bien l'assurance d'un défaut à moyen terme. Wolfgang Schäuble fait donc peser sur les générations futures de contribuables allemands sa stratégie politique à court terme.

Le gouvernement grec, grand perdant de l'accord FMI-Berlin

Pour finir, le choix de Berlin ne fait qu'un perdant : le gouvernement grec. Ce dernier, il est vrai, n'a guère brillé dans cette affaire. Alexis Tsipras a défendu longtemps une position assez contradictoire : chasser le FMI du programme pour ne pas subir ses exigences tout en réclamant une restructuration de la dette. Son calcul était que les partenaires européens, impressionnés par la volonté de réformes du gouvernement grec allaient lui accorder de meilleures conditions et une coupe dans la dette. Vains espoirs alors qu'Angela Merkel a entièrement laissé le dossier grec à Wolfgang Schäuble. Du coup, lorsque le débat entre le FMI et Berlin est entré dans le vif du sujet, Athènes s'est retrouvée désarmée et contrainte à rester passivement spectatrice. Désormais, Alexis Tsipras perd un argument de poids dans sa rhétorique : son « obéissance » envers la troïka devait donner à la Grèce une restructuration de la dette grecque. Ce ne sera pas le cas.

Des « efforts » pour rien...

Tout ce qui reste du programme de Syriza de janvier 2015 a donc désormais disparu. C'est une très mauvaise nouvelle pour le premier ministre grec qui, en fin de semaine, va devoir faire face à un très difficile congrès de son parti Syriza. Il est vrai que la justification de la politique du gouvernement, réalisé sous la dictée des créanciers est de plus en plus difficile. La Grèce dégage un excédent budgétaire primaire désormais considérable (3,3 milliards d'euros sur les six premiers mois de 2016), un excédent obtenu par des rentrées fiscales record, mais ces « efforts » ne paient pas : les créanciers ne sont guère plus « compréhensibles » et ont réclamé en mai un système « d'ajustement automatique » des dépenses en cas de non-respect des  objectifs de 2018. Comment alors justifier auprès de Syriza et de l'opinion l'utilisation, comme jeudi dernier, de la force publique de façon assez violente contre les retraités qui manifestaient ?

Situation critique pour Alexis Tsipras

 Alexis Tsipras compte beaucoup sur la reprise économique annoncée l'an prochain. Mais outre que cette reprise demeure incertaine compte tenu des mesures d'austérité décidée pour l'an prochain, la situation sociale est si critique en Grèce que les effets politiques de cette reprise risquent de ne pas se faire sentir dans la population. Désormais, une grande partie de la population grecque ne croit plus en la politique, une autre considère qu'il est de meilleure politique de redonner le pouvoir aux « vrais amis » des créanciers, les Conservateurs de Nouvelle démocratie, désormais largement en tête dans les sondages. D'autant que Syriza, toujours engluée dans une attribution peu claire des licences de télévisions, s'est montrée incapable de renouveler la politique grecque. L'accord entre le FMI et Berlin sur le dos de la Grèce n'est donc qu'une mauvaise nouvelle de plus pour un premier ministre à qui la situation semble désormais totalement échapper.

Commentaires 28
à écrit le 11/10/2016 à 15:06
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Une fois de plus le problème grec est géré politiquement et non économiquement. Ne pas admettre que la dette grecque est insoutenable (par ailleurs elle est aussi illégale, illégitime et odieuse) est une grave erreur. Le FMI l'a compris c'est pour...

le 11/10/2016 à 16:56
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Et en attendant la Deutsch Bank, cela donne quoi ? Bientôt l'écroulement ?

à écrit le 11/10/2016 à 10:25
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1 /Pour des raisons géopolitiques, la Grèce devait entrer dans la zone euro (2001). Les critères économiques d'entrée étant insuffisants, Goldman Sachs a aidé la Grèce à maquiller ses comptes dès 1997. Le FMI, pilier de la Troïka, ne pouvait ignorer,...

à écrit le 10/10/2016 à 22:28
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Quel age de la retraite en grece ? 50/55 ans ? Moins ? En allemagne ? 70/75 ?

à écrit le 10/10/2016 à 20:09
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C'est bien de contester le mauvais traitement qui est infligé au malade grec, cependant, il faut aussi penser a rappeler aux lecteurs d'où vient ce mal. Je vous invite donc a faire un article sur l’origine de ce mal Grec. Je sais que ça remonte à la...

le 11/10/2016 à 15:27
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Pour répondre à votre souhait, je vous explique l'origine de la dette grecque: Avant la crise, les dépenses publiques étaient relativement stables (voire même en baisse) et en pourcentages les plus faibles de la zone euro donc ça vient pas de là. ...

le 11/10/2016 à 15:30
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J'oubliais: à l'heure actuelle, les dépenses militaires sont toujours de 40 milliards € par an et il n'est pas exigé de la part de la zone euro une diminution de ces dépenses vu qu'elles profitent aux entreprises françaises et allemandes ...

le 11/10/2016 à 17:59
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Je parlais plutôt de la dette que la droite Grecs a maquillée avec l'aide de la Goldman Sachs afin qu'ils puissent entrer dans la zone Euro. Et avec la crise ils ont découvert le poteau rose. Mais on dirais que ces histoires se collent d’ailleurs....

à écrit le 10/10/2016 à 20:06
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Marre qu'on nous ne présente la situation grecque que comme un bras de fer Schaüble-Tsipras, et surtout de laisser croire que Tsipras pourrait le remporter. Si la Grèce se montrait capable d'une gestion économique et financière durablement rigoureuse...

à écrit le 10/10/2016 à 18:46
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Quand les partis de gouvernement en France vont-ils taper du point sur la table sur le sujet européen ?! Après le Brexit, ils ont parlé d'un "sursaut européen" : ... et il est où ? OUI, il faut plus d'europe... mais pas celle qu'on nous impose ! Il...

le 10/10/2016 à 20:13
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C'est surtout pour la France que vos propositions seraient intenables : alors qu'elle a déjà de lourds déficits publics et sociaux (70 à 80 milliards annuels), en s'alignant sur des taux moyens européens de fiscalité et de charges, elle perdrait d'u...

le 10/10/2016 à 20:19
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La proposition du "zéro intérêt" mais avec une dette à rembourser intégralement est intéressante. Sur la base de l'excédent primaire actuel elle serait ainsi remboursable en 50 ans. La prise en charge des intérêts de cette dette par les créanciers se...

à écrit le 10/10/2016 à 17:46
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Le gouvernement allemand préfère détruire l'Europe que céder. C'est la fin d'une histoire. Quand à Tsipras, il ne récolte que ce qu'il a semé.

à écrit le 10/10/2016 à 16:55
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L'absence de restructuration de la dette convient aux allemands au moins à court terme, mais aussi aux autres prêteurs européens , dont la France. Donc à nous les contribuables français. Mais politiquement et à moyen terme c'est un dilemme : peut o...

à écrit le 10/10/2016 à 16:35
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ND n'est pas l'"ami des créanciers"...

à écrit le 10/10/2016 à 16:24
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Même si je suis d'accord pour dire que tôt ou tard il faudra effacer ou mutualiser une part importante de la dette Grecque (ce n'est sans aucun doute pas la seule...), je suis plutôt content que le FMI ne soit pas plus impliqué dans nos affaire europ...

à écrit le 10/10/2016 à 16:23
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On savait que la FMI ne voulait pas, depuis longtemps, continuer à financer le dossier grec. il y a beaucoup de pays où la situation est beaucoup plus difficile qu'en Grèce, et le FMI s'est clairement exprimé à ce sujet. Pas la peine, donc de faire u...

à écrit le 10/10/2016 à 14:35
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Je ne sais pas si est une bonne ou une mauvaise décision pour la Grèce, mais ce que je sais, c'est que l'Europe a perdu. Cela va renforcer la position des tenants de la sortie de l'Europe. Mais peut être est-ce la volonté réelle de l'Allemagne ?

à écrit le 10/10/2016 à 13:34
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Les grecques ont voté pour Syriza afin que celui-ci les sorte de l'union européenne. A croire que l'europe est un fléau que nous sommes obligés de subir, on comprend fortement le désamour profond des grecs pour ce parti qui a lui aussi trompé son éle...

le 10/10/2016 à 14:55
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Vous ,vous n'avez rien compris à la finance .Comparer l'Angleterre qui n'était pas dans l'€ à la Grece est risible .La City de Londres pese beaucoup plus que le PIB grec et les grecs ne veulent surtout pas sortir de l'€ car ils savent que leur monnai...

le 10/10/2016 à 16:29
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Tsipras avait pourtant clamé ne pas vouloir sortir de l'UE... Si les grecs ont cru qu'il le ferait quand même, tant pis pour eux.

le 10/10/2016 à 16:37
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Les grecs ont voté pour rester dans l UE et l'Euro. La GB (pas l'Angleterre) n'est pas encore sortie de l UE et à la fin, au lieu d'avoir un pied dedans et un pied dehors, ils auront un pied dehors et un pied dedans...Same same comme dirait l'autre.....

le 10/10/2016 à 16:38
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"Les grecques ont voté pour Syriza afin que celui-ci les sorte de l'union européenne" ---> ou avez vous inventer cela? Jamais une tell auestion n'a été posé, jamais Tsipras n'a promis une telle chose. les sondages montrent tous un profond attachemen...

le 10/10/2016 à 17:26
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"Vous ,vous n'avez rien compris à la finance " Parce que là vous venez de m'expliquer que vous la comprenez !? AFfirmer est une chose, le prouver par l'analyse et l'argumentation en est une autre que vous êtes loin de toucher. JE compare deux...

le 10/10/2016 à 17:39
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"trollerie" stuoide

le 10/10/2016 à 18:39
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"On ferme nos frontières? On taxe toutes les importations? On relance la francophonie pour avoir une sorte d'empire? On envahit l'Allemagne et on occupe la Ruhr ou plutôt Franckfort? Quid de notre politique économique, on monte les déficits à 10% et ...

le 11/10/2016 à 7:20
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Je pense que la zone euro peut supporter un Grexit mais pas un Frexit. Le PIB Grecs est faible. Et ils ne le feront pas car nos politiques leurs font un chantage a la méthode créancier (si vous sortez et que vous nous devez tant on vous fait embargo)...

le 11/10/2016 à 9:38
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"Je pense que la zone euro peut supporter un Grexit mais pas un Frexit." Nous sommes entièrement d'accord, si nous avions des politiciens courageux et non compromis avec les marchés financiers, à savoir aucun politicien professionnel, il serait f...

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