Grèce : un accord économiquement coûteux

Alors que se tiennent les dernières discussions entre le gouvernement grec et les créanciers, les conséquences économiques des propositions grecques pourraient être coûteuses. Mais parce que la logique des créanciers a prévalu.
L'économie grecque souffrira sans doute des mesures proposées par le gouvernement.

Alors qu'Alexis Tsipras, le premier ministre grec, se rend à nouveau, ce mercredi, à Bruxelles pour tenter de finaliser un accord avec les créanciers, la plupart des observateurs et des économistes se sont inquiétés des conséquences des mesures proposées par le gouvernement grec sur la croissance.

Un plan d'austérité lourd

Il est vrai que le plan, désormais révélé en détail par le quotidien grec Kathimerini, a la main lourde : les mesures prévues s'élèvent sur deux ans à 8 milliards d'euros, soit 4,4 % du PIB. Le relèvement de la TVA pour 2,1 milliards d'euros, des cotisations salariales pour 1,9 milliard d'euros et des taxes sur les entreprises de 2,2 milliards d'euros conduiront inévitablement à un affaiblissement de la demande dans un pays où elle demeure très faible. Certains économistes grecs estiment que l'effet négatif sur la croissance pourrait être de 2 points de PIB et une rumeur de marché évoquait mardi 23 juin une étude de la Deutsche Bank qui évoquait un effet allant jusqu'à 3 points de PIB. Du reste, mardi, dans les rues d'Athènes, un seul mot semblait sur toutes les lèvres, celui « d'austérité », à laquelle le gouvernement se serait rallié.

Comment Alexis Tsipras espère compenser l'effet de ce plan

Le calcul d'Alexis Tsipras est que cet effet sera doublement compensé. D'abord, par un élément « technique » : après un blocage avec les créanciers de près d'un an (la dernière tranche versée par la troïka date d'août dernier et le précédent gouvernement était déjà en conflit avec les créanciers), et des retraits de liquidités de près de 60 milliards d'euros, il y aura nécessairement un effet de rattrapage et de normalisation. Les ménages vont réaliser les achats qu'ils avaient reportés par précaution, les entreprises en feront de même pour leurs investissements urgents. Les liquidités vont retourner sur les comptes bancaires et être de nouveau disponibles pour l'économie. Parallèlement, le gouvernement grec compte beaucoup sur les investissements européens, que ce soit les 35 milliards d'euros promis par Jean-Claude Juncker ou le plan paneuropéen mis en place avec la BEI. Enfin, pour compenser l'alourdissement de la taxation des entreprises, Alexis Tsipras compte sur l'intégration de la Grèce dans la politique d'assouplissement quantitatif de la BCE en s'appuyant sur les améliorations constatées en Italie ou en Espagne de la distribution de crédits.

Des espoirs exagérés ?

Globalement, ces espoirs semblent exagérés. Le « rattrapage » du blocage actuel sera sans doute réel, mais sera-t-il aussi fort qu'Athènes peut l'espérer ? Ces interminables discussions, les menaces des créanciers, la défiance réciproque laissent à penser que l'épreuve de force, même en cas d'accord dans les prochaines heures ne sera pas terminée. Les créanciers ont prouvé qu'ils avaient un but politique. Si ce gouvernement survit à l'accord, il restera l'adversaire plus ou moins déclaré des créanciers. Le feu va donc toujours couvrir et même si l'argent revient dans les banques, il pourrait aussi rester en partie maintenu sous forme d'épargne de précaution, ce qui réduira l'effet positif de ce rattrapage. Quant aux plans Juncker et au QE, les preuves de leur efficacité générale et dans le cas spécifique de la Grèce restent à démontrer.

L'élément clé de la dette

En réalité, entre deux maux, l'austérité et la sortie de la zone euro, le gouvernement grec a préféré le « plus connu », autrement dit la poursuite de la logique précédente : la ponction continuelle de la richesse du pays pour garantir et rembourser les créanciers. La « servitude de la dette » a donc été maintenue jusqu'en 2016 au moins. Les négociations autour de la dette, qui détermineront la marge de manœuvre du gouvernement à moyen terme, sont donc très importantes pour l'avenir de l'économie hellénique. Ce sera le point déterminant non seulement pour justifier politiquement l'accord, mais pour permettre une vraie bouffée d'oxygène à partir de 2017 pour l'économie. C'est pourquoi les députés de la majorité s'accrochent à cette condition d'une restructuration de la dette qui reste cependant incertaine.

Pour le moment pourtant et pendant encore un an et demi, la logique de la troïka prévaut, même si le gouvernement grec a insisté dans ses propositions pour « rééquilibrer » socialement le fardeau autant que cela était possible. Ce n'est pas un détail dans un pays où les cinq années d'austérité ont surtout pesé jusqu'ici sur les plus pauvres et sur la classe moyenne aujourd'hui ravagée. Néanmoins, sur le plan macro-économique, l'effet sera incontestablement négatif.

Cercle vicieux

Au final donc, le gouvernement grec risque avec un tel plan de se retrouver dans le cercle vicieux auquel ont dû faire face les gouvernements précédents : une croissance plus faible que prévu, un objectif d'excédent primaire manqué et de nouvelles exigences des créanciers pestant encore contre l'incapacité des Grecs. C'est là le plus grave risque auquel devra faire face le pays dans les prochaines années. Le gouvernement d'Alexis Tsipras en portera certes une lourde responsabilité, mais il convient de se souvenir que cette logique de priorité donnée aux objectifs budgétaires par rapport aux objectifs économiques est celle des créanciers. Et qu'Alexis Tsipras aura dû l'adopter sous la pression de ces derniers, utilisant même le risque de Bank Run pour obtenir raison de son gouvernement. Du reste, le premier ministre hellénique mardi 23 juin a martelé que ces mesures étaient « contraires à son programme. » Ceux qui s'affligent aujourd'hui des maux futurs de la Grèce en raison de ce programme sont souvent ceux qui réclamaient une capitulation rapide d'Athènes face aux créanciers, donc la mise en place de la même logique.

Un accord trop tardif ?

Reste la question du temps. Beaucoup, comme l'agence Bloomberg, accuse le gouvernement grec d'avoir perdu trop de temps dans les négociations. En cédant immédiatement, Athènes aurait obtenu un traitement au moins équivalent, voire meilleur. Finalement, les demandes des créanciers sur la TVA et les retraites s'élevait à 3,6 milliards d'euros, soit moins que ce que propose le gouvernement. Cet argument oublie plusieurs faits.

En février, les créanciers souhaitaient l'application pure et simple du programme de 2012, plus lourd encore que celui imposé par cet accord. Si cela est contestable compte tenu de l'affaiblissement de la croissance pour 2015 (un excédent primaire de 1 % du PIB avec une économie stagnante peut être équivalent à un excédent de 3 % du PIB avec une croissance théorique de 3 %), c'est incontestable pour les années suivantes. L'excédent primaire prévu entre 2018 et 2020 est de 3,5 % du PIB, un point de moins que celui du programme de 2012. C'est peu, mais c'est un acquis pour l'économie grecque qui n'aurait pas été possible sans le bras de fer avec les créanciers.

L'utilisation de la dégradation de l'économie par les créanciers

Par ailleurs, le gouvernement Tsipras a rapidement pris conscience des conséquences économiques du blocage et de la pression de la BCE puisque le 20 février, il a accepté l'essentiel des conditions des créanciers. Mais, logiquement, ne voulant pas jeter de l'huile sur le feu, ce dernier a tenté d'éviter le plus possible la logique récessive des années précédentes. Or, à coup de rejets des listes de réformes grecques, de déclarations alarmistes, d'ultimatums et de menaces sur les banques pendant quatre mois, les créanciers ont clairement utilisé la dégradation de l'économie comme un moyen de pression, faisant preuve d'une indifférence complète vis-à-vis de la situation sur place. Le gouvernement grec a fait beaucoup d'erreurs, mais il a toujours tenté d'éviter un nouveau fardeau budgétaire sur l'économie grecque tout en éloignant la perspective - attisée en permanence par un Wolfgang Schäuble, par exemple, d'une sortie de la zone euro. Or, la crainte d'un Grexit a été le premier moteur des retraits des comptes et du blocage de l'économie. Dans cette négociation, ce sont les créanciers qui ont joué la politique du pire pour imposer une logique économique de toute façon nocive pour la Grèce.

Le bilan politique

Enfin, cet argument oublie que le gouvernement grec avait reçu une mission de ses électeurs et qu'il devait à ces derniers d'essayer au moins de briser la logique de la troïka. Dans un pays où les partis politiques clientélistes sont devenus des partis de l'austérité et où les gouvernements ont été des fondés de pouvoir de la troïka, la résistance du gouvernement a une valeur politique qui n'est pas à négliger. Elle a, du reste, permis de respecter certains objectifs comme la préservation des pensions ou le refus de relever la TVA sur l'électricité qui eût frappé les plus pauvres de plein fouet. Le rétablissement des négociations collectives a également été obtenu des créanciers. Le bilan n'est donc pas nul pour Athènes. Et la réalisation de ces objectifs politiques n'était possible que par la résistance aux premières exigences de la troïka. Désormais, le gouvernement peut prétendre avoir du moins « essayer » de faire fléchir cette politique et il peut, comme il l'a fait, ne pas accepter la paternité de la politique qui sera menée. Il peut donc se présenter encore comme une ligne de défense contre l'austérité. Politiquement, cette résistance était donc nécessaire.

Le « blame game » a commencé

Il est donc piquant de voir aujourd'hui le FMI s'inquiéter des risques sur la croissance des mesures proposées par le gouvernement grec. Ou un Pierre Moscovici affirmer mardi soir devant des députés européens grecs que le plan hellénique est « plus dur » que celui des créanciers, alors même que ce plan n'a pas été accepté par les créanciers.

 Le « blame game », consistant à trouver un coupable pour la prochaine dégradation de l'économie grecque a commencé. Les créanciers prouvent ainsi que leur but politique reste d'actualité. Si le gouvernement survit politiquement à l'accord, on prépare déjà l'étape suivante : faire reporter sur le gouvernement grec l'échec d'une politique qu'on lui a imposée.

Commentaires 26
à écrit le 25/06/2015 à 15:49
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Tsipras souffre du syndrome Gorbatchev qui voulait changer l'Empire de l'intérieur.

à écrit le 25/06/2015 à 9:03
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pour Romaric Godin : étant à Athenes ( si j'ai bien compris ) , vous n'avez peut etre pas accès à toute le presse ; je vais vous faire profitter d'au moins un extrait : "...les experts européens gardent plus qu'un doute sur les METHODES CREATIVES ...

à écrit le 25/06/2015 à 8:24
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La Grèce n'a pas d'autres choix que celui de négocier jusqu'au bout ! puisque elle a reçu (et accepté!) comme mandat électif celui de stopper les politiques d'austérité tout en restant dans l'UE. Ça seule chance est de tenter de démontrer au peuples ...

à écrit le 24/06/2015 à 21:26
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Si cet accord se confirme, il ne fut pas être devin pour voir la Grêce s'enfoncer dans la crise, dont sera déclaré responsable , par l'ue, le fmi ...l finance , l'actuel gouvernement (qu'il siurvive ou non) . Bref, l'Europe, la finance ont gagné : le...

à écrit le 24/06/2015 à 17:39
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rappelez-moi de combien de milliards la dette allemande avait été diminuée lors de l'intégration de la RDA ? et combien de milliards ont été injectés dans les banques françaises en 2008 ? bande de tartufes !!!!

le 25/06/2015 à 0:17
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Les banques françaises ont intégralement remboursé l'argent qui leur a été prêté en 2008. C'est la même chose qui est demandé à la Grèce.

le 25/06/2015 à 8:28
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ah bon ? Vous avez vu les chéques de remboursements?

le 25/06/2015 à 17:29
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je crois qu'elles ont payé, sauf Dexia, mais si le taux consenti aux malheureux grecs était le même, leur dette s'effondrerait ! les banques les grugent en leur prêtant à 7 ou 8 % (des fonds fournis pas nous à 1 % autre remarque : l'Allemagne doit...

à écrit le 24/06/2015 à 16:23
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...finalement , vous nous jouez : je n'avais pas raison , mais je n'ai pas tord ... et ? vous croyez réellement que " les retraits de liquiditées de 60 milliards d'euro " ( vous avez enfin trouvé le chiffre ) vont revenir dans l'economie ? mettez l...

à écrit le 24/06/2015 à 14:20
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Tres bien Romaric, Pour une fois, un article sérieux qui ne fait pas de propagande.

le 25/06/2015 à 0:22
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De la propagande, y'en a encore plein, mais comme le camp Tsipras/Godin semble s'acheminer vers une défaite, il est un peu obligé de faire profil bas. Ceci dit, si finalement il n'y a pas d'accord, je suis sûr qu'on va avoir de nouveau droit a du "no...

à écrit le 24/06/2015 à 14:06
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@Stanley 24/6 11:41 Je ne me permets pas d'écrire que les Grecs ne font pas ou ne feront pas assez d'efforts. Le problème est de trouver une solution pérenne à la situation. Comme vous le soulignez, il ne faut pas recommencer le même cirque dans six...

à écrit le 24/06/2015 à 13:51
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Vous étes en retard d'un article, le plan grec vient d'etre caduc. he oui Tsipras à encore la main. Et j'espère qu'il va la garder....

à écrit le 24/06/2015 à 13:20
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Si je vous comprends bien Monsieur Godin, le "noeud coulant" a parfaitement fonctionne et les electeurs auraient mieux fait de voter pour le KKE (Parti communiste grec) ou Aube Doree pour eviter ces nouvelles mesures d'austerite et effacer la dette p...

à écrit le 24/06/2015 à 12:39
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Si les données de l'article sont correctes, c'est un accord bancale car il n'y a pas de réductions pures et dures de coûts qu'on peut mesurer. TVA E 2.1 Mlds et Taxes sur entreprises E 2.2 Mlds sont des vœux pieux. On peut supposer que les 1.9 Mlds d...

le 24/06/2015 à 14:29
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ces 60 milliards reviendront une fois que la drachme aura été introduite et dévaluée de moitié par rapport à l´Euro...les investisseurs détenteurs de ces capitaux s´en donneront à coeur joie pour acheter les biens immobiliers, entreprises ou autres ...

à écrit le 24/06/2015 à 12:35
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ca ressemble fort a un debut de lachage de Syriza par Romaric Godin: qu'il est loin le temps ou celui-ci expliquait que tsipras et Varoufakis etaitent en position de force et que Varoufakis etait trop fin tacticien pour les autres gouvernements de la...

le 24/06/2015 à 13:38
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Cet accord a le merite de lever une contradiction a savoir que le gouvernement grec prefere poursuivre l'austerite que sortir de la zone euro. Choix economiquement et politiquement tres contestable.

le 24/06/2015 à 14:36
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@Yaniv: contestable dites vous? Politiquement: le peuple grec n'a JAMAIS donné mandat a Tsipras pour sortir de la zone Euro, celui-ci s'etant engagé sans aucune ambiguité sur le sujet durant la campagne. Ce choix est donc incontestable politiqueme...

à écrit le 24/06/2015 à 11:41
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et c'est reparti pour un tour. et on revient dans 6 mois pour redemander une ralonge car l'économie grecque qui s'est effondrée de 25% ce sera effondrée de 30% , donc les recettes gouvernementales avec et on trouvera toujours des gens ici et ailleurs...

à écrit le 24/06/2015 à 11:31
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Il ne faut pas rêver! J'ai prédit il y a quelque temps que Tsipras devrait céder à la dernière minute sous peine d'exit de la zone Euro. Tsipras n'est pas élu pour sortir la Grèce de la zone Euro. Ceux qui ont voté pour lui veulent du beurre et l'...

à écrit le 24/06/2015 à 11:30
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Il faudra tout de même que le travail d'esprit critique des grecs se fasse un jour. Certes, comme nous n'avons jamais entendu en France la moindre remise en cause ou discussion sur le Socialisme suite à l'effondrement total de l'URSS, ça peut pren...

à écrit le 24/06/2015 à 10:46
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encore une bouffée de l'air frais pour moi de la part de l'excellent article et très éclairant quoique quelques termes franglais qui m'échappent mais bon l'essentiel est là. Bravo monsieur Godin aussi percutant et neutre dans ses propos. Clap clap en...

le 24/06/2015 à 16:28
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merci : un peu d'humour ne fait pas de mal devant cette situation catasprophe .

à écrit le 24/06/2015 à 10:20
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Des l'élection de Tsipras, il était clair que l'Allemagne et par suite l'UE puisqu'il n'y à plus aucune voix pour s'opposer au duo Merkel /Strauble , ferait tout pour le déstabiliser . Je vis en Crête depuis 10 ans et il est clair que même ici, ou la...

le 24/06/2015 à 12:29
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"économie s'est fortement dégradée" Et comment en aurait il pu etre autrement: entre 2001 et 2008 la Grece a vécue sur une bulle de credit ne reposant pas sur une richesse produite equivalente. quand la bulle a éclatée, ce ne pouvait etre que doul...

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