La BCE prise en étau

Jeudi, le président de la BCE, Mario Draghi, devrait rester immobile. Les décisions nécessaires sur l'efficacité de sa politique, sa fin et son ajustement ne manquent pourtant pas, mais la BCE ne prendra aucune décision avant décembre.
La BCE doit faire des choix, mais les fera plus tard.

C'est à un nouveau bilan d'étape que devrait se livrer la BCE jeudi 20 octobre pour sa conférence de presse suivant la réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs. La plupart des observateurs n'attendent en effet pas de changements majeurs dans la politique définie par Mario Draghi : maintien du rythme de rachat d'actifs de 80 milliards d'euros par mois jusqu'en mars 2017 « et plus, si nécessaire », poursuite des opérations de refinancement à long terme (TLTRO), maintien des taux à leur niveau actuel.

Croissance faible

La position de la BCE n'a guère changé en six semaines, depuis son dernier rendez-vous public. Certes, la croissance de l'industrie européenne a fortement rebondi en août, mais il y a fort à parier qu'il s'agisse d'un « coup isolé » et l'on n'attend guère plus de 0,3% pour la croissance de la zone euro entre juillet et septembre. C'est la « nouvelle normalité » décevante de l'économie des 19 avec laquelle la BCE doit compter. Depuis son lancement le 1er mars 2015, la BCE aura donc dépensé 1.280 milliards d'euros pour obtenir ce triste résultat : une croissance guère plus dynamique qu'avant la politique de rachat.

Inflation peu affectée par la BCE

Quant à l'inflation, le « seul objectif » officiel de la BCE, elle remonte certes. En septembre, l'inflation en zone euro s'est située à 0,4% en rythme annuel, son plus haut niveau depuis octobre 2014, soit depuis 23 mois. Mais d'une part, on reste fort éloigné de l'objectif d'inflation de la zone euro (proche, mais sous les 2%) et, d'autre part, on doit remarquer que cette remontée s'explique non pas par l'action de la BCE, mais par l'effet de base lié à la remontée des prix de l'énergie. Autrement dit, les milliards de la BCE n'y sont pas pour grand-chose.  Du reste, l'inflation « sous-jacente », excluant les prix « volatils » de l'énergie, de l'alimentation et du tabac, est à 0,8 %, inchangée sur un mois et inférieure à celle de janvier 2016 (1 %). Bref, l'arbre de l'inflation globale cache une forêt peu réjouissante pour la BCE.

Blocage sur les effets de la politique de la BCE

Dans ces conditions, le caractère inefficace désormais de la politique de la BCE semble acquis. Pour autant, Mario Draghi ne peut baisser la garde compte tenu de la faiblesse de la croissance et de l'inflation sous-jacente. Il est donc contraint de ne rien faire, ni durcir, ni assouplir sa position. C'est le signe d'une impuissance parfaite. La BCE est parvenue au bout de ce qu'elle pouvait offrir à l'économie de la zone euro. En théorie, les pouvoirs publics devraient reprendre le relais pour favoriser l'investissement. Mais les Etats et l'UE ne bougent guère. La situation est donc bloquée.

Ce blocage induit néanmoins deux éléments qui seront particulièrement surveillés jeudi. D'abord, la modalité de la poursuite des rachats d'actifs. Le cadre de sa politique de rachat actuel prévoit que la BCE ne puisse racheter des titres obligataires avec un rendement inférieur au taux de dépôt actuel, soit -0,4%. Néanmoins, ces rachats de titres souverains doivent se faire conformément à la « clé de répartition » du capital de la BCE. Au final, il faudra ainsi que la BCE ait acheté 27% de dette allemande, 20% de dette française, 18% de dette italienne, etc. Le problème, c'est que la baisse des taux est telle que les titres éligibles, notamment allemands, risquent de devenir extrêmement rare.

Blocage sur l'adaptation du programme

Une nouvelle baisse du taux de dépôt semble, en tout cas, exclue compte tenu des cris d'orfraies que cela produirait dans le secteur financier et parmi le monde politique allemand. La semaine dernière, une petite banque mutualiste de l'est de l'Allemagne, la Volksbank Stendal a annoncé qu'elle taxerait à 0,4 % les dépôts supérieurs à 100.000 euros. La baisse du taux de dépôt serait perçue comme une « déclaration de guerre » aux épargnants allemands. Mais modifier la clé de répartition des rachats signifierait élargir la responsabilité de l'ensemble de la zone euro sur des dettes souveraines. Autrement dit, pour les Allemands, ce serait une insupportable « socialisation des dettes publiques ». Voici donc la BCE prise en étau. Et sans doute pressée de gagner du temps. L'agence Reuters, la semaine dernière, croyait savoir que la BCE accepterait « temporairement » de ne pas respecter ces règles. Un groupe de travail a été créé et l'on ne devrait pas en savoir plus avant la prochaine réunion prévue le 8 décembre.

Quand en finir avec le programme de rachats d'actifs ?

L'autre question qui hante les économistes, c'est celle désormais de la sortie du programme de rachats, le fameux « tapering ». Cette idée est apparue voici une semaine après une rumeur relayée par Bloomberg indiquant que la BCE réfléchissait aux moyens de réduire son rythme de rachat. Le marché s'en était inquiété, sans plus et l'information avait été démentie par la BCE. Mais elle aurait été conçue comme une preuve d'une certaine maturité du marché sur l'échéance du durcissement monétaire. Là aussi, la pression allemande joue sans doute un rôle. Si la BCE doit élargir la politique accommodante de six mois de plus, le « prix » pourrait en être la préparation de la porte de sortie.

Car, en réalité, la question de l'élargissement du programme de six mois jusqu'en septembre 2017 et celle de la sortie progressive du programme sont profondément liés. Si la BCE maintient le programme jusqu'en mars 2017 et pas au-delà, elle va devoir rapidement expliqué ce qui se passera ensuite. Passera-t-on de 80 milliards d'euros de rachats mensuels à rien ? Ou réduira-t-on progressivement le rythme des rachats ? Mais, dans ce dernier cas, le programme devra nécessairement être rallongé. A moins qu'on entame cette décrue des achats dès la fin de l'année 2016, ce qui semble peu probable. Mais en cas de dégradation économique, une annonce sur la sortie du programme peut être perçue très négativement. A l'inverse, plus ce programme dure, plus l'opposition interne autour de la Bundesbank reprend de l'ardeur.

Impasse

La BCE entre donc dans des sables très mouvants et dans un jeu d'équilibre subtil. Compte tenu de la situation économique et de l'absence de relais budgétaire, elle ne peut donner l'impression de lever la garde en évoquant une baisse des rachats. Et partant, pour des raisons « d'équilibre politique », elle ne peut davantage lancer une prolongation du programme. Là encore, elle est dans une impasse dont elle devra absolument trouver l'issue au moins avant le 8 décembre. Cette réunion du 20 octobre apparaît donc principalement comme une « préparation » de celle de décembre. Mais la réalité, c'est que la BCE semble de plus en plus en difficulté, chaque blocage conduisant immanquablement à un autre...

Commentaires 9
à écrit le 18/10/2016 à 15:15
Signaler
Très bon article. La dernière phrase de l'article est tout à fait justifiée. What's next ? Les dirigeants de la BCE doivent être désespérés de ne pas pouvoir atteindre l'objectif d'inflation inférieur et voisin de 2 %, malgré les sommes conséquente...

à écrit le 18/10/2016 à 13:16
Signaler
avec l augmentation des taux US en décembre et sans doute d'autres en 2017, la BCE n'aura pas d'autre choix que de lancer le processus de normalisation. Ce qui est plutôt désespérant c'est qu'à cette heure je n'entends aucune proposition dans le déba...

à écrit le 18/10/2016 à 10:42
Signaler
Nos décideurs politiques veulent sans arrêt éviter de s'attaquer au problème financier, à un moment où à un autre il est obligé que cela coince et que le manque cruel de solution se déplore.

le 18/10/2016 à 13:18
Signaler
En l occurrence que feriez vous pour vous attaquer au problème financier? Si vous avez la ou les réponses vous êtes tout prêt du Nobel d'économie à mon avis.

le 18/10/2016 à 14:22
Signaler
Déjà rien que séparer les banques de dépôts et les banques d'affaires permettrait d'y voir bien plus clair, c'est trois fois rien: "Pourquoi il faut séparer les banques" http://www.lesechos.fr/26/06/2015/LesEchos/21967-051-ECH_pourquoi-il-faut-separe...

à écrit le 18/10/2016 à 9:17
Signaler
L'aveuglement des dirigeants et gouverneurs d'Europe signera l'eclatement definitif de cette noble idee : L'EUROPE. L'Euro deviendra une sous monnaie. Le $ restera le nerf de la guerre dans le monde, avec peut-etre le Yuan ?

à écrit le 17/10/2016 à 18:56
Signaler
Ils n'ont qu'a sortir l’Allemagne des rachats, ils le font bien pour la Grèce... Ils n'en ont pas nécessairement besoin puisque leur économie "se porte bien".

le 18/10/2016 à 7:20
Signaler
Vous etes sur que l'Allemagne va bien (DB) et commerze bank.....

le 18/10/2016 à 13:08
Signaler
Qu'elle aille super bien, bien ou moyennement bien , les faits sont là, elle emprunte à un taux tel, que la BCE ne peut plus racheter ces titres...dingue...Au demeurant, citer le problème des banques est rigolo puisque les Allemands militent pour l i...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.