La "grande coalition" allemande est en crise

L'affaire d'espionnage en faveur des Etats-Unis des services secrets allemands a déclenché un vif débat au sein de la coalition. La SPD tente d'en tirer partie.
Sigmar Gabriel et Angela Merkel, les deux têtes de la "grande coalition"

Les relations deviennent tendues entre Angela Merkel et ses alliés sociaux-démocrates. Le feu a été mis aux poudres par l'affaire de la collaboration entre les services secrets allemands (BND) et leurs homologues étatsuniens. La BND aurait espionné pour le compte de la CIA des politiques européens (notamment français), des administrations étrangères et des entreprises. Ces révélations avaient provoqué un grand émoi outre-Rhin et mis en difficulté les partis soutenant la chancelière Angela Merkel, la CDU et sa sœur bavaroise, la CSU.

Critiques sociales-démocrates

Depuis, les Sociaux-démocrates de la SPD entendent jouer leur avantage et pousser la chancelière dans ses derniers retranchements. Le président du parti, vice-chancelier et ministre de l'Economie et de l'Environnement, Sigmar Gabriel, a ainsi demandé que les critères de recherche sur lesquels ces opérations ont eu lieu soient révélés, même sans l'autorisation des autorités étatsuniennes. Or, à la chancellerie, on indique que des négociations sont en cours avec Washington pour pouvoir rendre ces critères publics. La secrétaire générale de la SPD, Yasmin Fahimi, avait déclaré dans une interview au journal berlinois Tagesspiegel, qu'une « chancelière allemande ne devait pas être soumis aux Etats-Unis. » Et, surprise !, même l'ancien chancelier Gerhard Schröder, d'ordinaire assez critique contre la SPD, a pris la défense de son parti contre la chancelière.

Réplique des Conservateurs

L'offensive de la SPD a déclenché une réplique fort sèche de la part des Conservateurs. Volker Kauder, chef des parlementaires de la CDU, très proche de la chancellerie, a, d'abord, dimanche soir sur la deuxième chaîne, la ZDF, dénoncé les « cris d'orfraies » des Sociaux-démocrates. Et a prévenu : « ce n'est pas ainsi que l'on se comporte dans une coalition. » Cette critique sur la forme s'est accompagnée d'un appel à la patience et à la prudence sur le fond de l'affaire. Ce lundi 18 mai, également dans le Tagesspiegel, le vice-président de la CDU, Armin Laschet, accuse les Sociaux-démocrates de mettre en danger les intérêts nationaux. « Au moment où les menaces du terrorisme international sont plus élevées que jamais, il est irresponsable de menacer avec légèreté les relations avec les Etats-Unis et la coopération des services secrets », a-t-il affirmé.

Changement de stratégie

Ce bras de fer illustre la tension croissante entre les deux partenaires de coalition. Et qui ne se limite pas à cette affaire de la BND qui, en l'occurrence, ressemble plutôt à l'étincelle qui met le feu aux poudres. Sigmar Gabriel a été longtemps très discipliné, n'hésitant pas, sur le plan économique, à défendre la politique de Wolfgang Schäuble contre les attaques de son propre camp. Il s'agissait, pour lui, de défendre le compromis issu du « contrat de coalition » de 2013 qui a permis de réaliser plusieurs points importants du programme de la SPD : salaire minimum fédéral unique et possibilité de partir en retraite à 63 ans pour 45 ans de cotisations.

Mais, progressivement, une nouvelle phase semble s'être ouverte. La fidélité à la coalition et ces réformes n'ont pas porté leurs fruits. La popularité de la SPD demeure désespérément basse dans les sondages. Le 10 mai, les élections régionales à Brême ont confirmé la méforme électorale du parti. Dans ce qui est un de leurs principaux bastions, les Sociaux-démocrates ont obtenu leur plus faible score de l'après-guerre à 32,8 %, près de dix points de moins qu'en 2003 et cinq points de moins qu'en 2011...

Débat fiscal et environnemental

La SPD semble donc désormais avoir opté pour une stratégie plus offensive à l'encontre de ses partenaires de coalition. Alors que l'amélioration des finances publiques a relancé le débat outre-Rhin sur d'éventuelles baisses d'impôts, Sigmar Gabriel s'est opposé à la proposition d'Angela Merkel et de la CSU d'en finir avec le supplément de solidarité sur les impôts de 5,5 %, créé en 1991 de façon provisoire pour financer la réunification et qui est toujours en vigueur. Il a, à la place, proposé de relever le taux de l'impôt sur le revenu pour les plus riches afin de réduire la pression fiscale sur les classes moyennes avec enfants. Une proposition qui tranche avec sa volonté affichée l'an dernier d'en finir avec cette idée et qui a déclenché la colère de ses partenaires de coalition.

Enfin, fin avril, le vice-chancelier a demandé à la chancelière d'aller plus vite sur la mise en place d'une taxe sur le charbon. La CDU hésite à mettre en place une telle taxe qui pourrait peser sur l'industrie et renchérir encore le prix de l'énergie dans un pays où il est déjà lourd. Sigmar Gabriel a insisté sur la promesse en ce sens de la chancelière. Son insistance est sans doute la promesse d'un nouveau débat interne.

Ne pas provoquer de rupture

Sigmar Gabriel est toujours fort prudent : il ne veut pas provoquer une rupture qui nuirait à une SPD déjà peu vaillante, mais il tente de se distinguer de la CDU et de la chancelière pour empêcher le mouvement que l'on avait déjà observé en 2005-2009 se reproduire : face à une SPD très fidèle à Angela Merkel, et finalement peu distincte de la CDU, les électeurs avaient préféré voter pour la CDU. Le message que Sigmar Gabriel veut envoyer aux Allemands, c'est que la SPD est utile et différente.

Reste à savoir si ce message sera reçu. Du côté d'Angela Merkel, ces critiques ne sont pas bienvenues. Critiquée sur sa droite pour sa politique européenne, elle a vu revenir à Hambourg et à Brême les Libéraux dans les parlements régionaux. Une FDP plus offensive que jamais contre son ancienne alliée. Sans compter que les Eurosceptiques d'AfD, même très divisés, restent à l'affût. Si elle peut toujours s'appuyer sur sa popularité, elle est fragilisée par ces nouvelles dissensions internes à la coalition. Mais elle en a vu d'autres. Sa politique attentiste pourrait encore porter ses fruits.

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