La réforme du droit d’auteur pourrait favoriser les "fake news" (Julia Reda)

[ Grand entretien ] Julia Reda, eurodéputée du parti pirate allemand, craint que la refonte du droit d’auteur proposée par Günther Oettinger ne menace les journalistes au bénéfice des sites de propagande. Un article de notre partenaire Euractiv.
Julia Reda est eurodéputée du parti pirate allemand. Elle a rejoint le groupe des Verts/EFA et a été élue vice-présidente du groupe.

Julia Reda est eurodéputée du parti pirate allemand. Elle a rejoint le groupe des Verts/EFA et a été élue vice-présidente du groupe. Elle est membre de la commission des affaires juridiques et suppléante de la commission marché internet et protection des consommateurs. En 2014, elle a été nommée rapporteuse de la réforme du droit d'auteur.

EURACTIV - La liberté de partager des articles sur Internet est-il menacée par la réforme de droit d'auteur ?

JULIA REDA - Oui. La proposition de Günther Oettinger pose un réel danger. Aujourd'hui, les articles de presse sont protégés par le droit d'auteur, mais si vous en extrayez une citation, ou le titre, ce n'est pas considéré comme un produit intellectuel protégé.

Or, les mesures prévues dans le cadre de la réforme des droits d'auteur ne limitent pas la protection aux travaux créatifs. Les URL ou liens vers des textes contiennent souvent les mots du titre. À l'avenir, l'utilisation d'une URL pourrait donc être considérée comme une violation du droit d'auteur, ce qui aurait un impact sur l'utilisation des liens. Lorsque le titre et le chapeau d'un article apparaissent automatiquement sous un lien, comme sur Facebook ou Twitter, celà risquerait d'être considéré comme une violation de droit d'auteur. Or les éditeurs utilisent justement les réseaux sociaux pour diffuser leur contenu.

>> Lire : La mobilisation sur le droit d'auteur devrait étendre le champ de la réforme en cours

Les auteurs et créateurs bénéficieraient-ils réellement du nouveau système, ou celui-ci profiterait-il principalement aux grandes publications ?

Les journalistes n'ont absolument rien à gagner de la loi sur le droit d'auteur. Nous le voyons déjà en Allemagne. Même les petites publications arrivent à attirer un grand nombre d'internautes et de lecteurs via les réseaux sociaux. Leurs lecteurs viennent de Facebook, Twitter, Google, etc. S'il faut acheter un permis pour placer un lien vers des actualités produites par des sites européens, on risque de favoriser les structures qui ne sont pas liées par le droit européen. Comme certains sites de propagande.

Quels sont les risques que cela pose ?

Les sites relayant des fausses nouvelles et sponsorisés par des États, comme Russia Today, ne seraient pas soumis à cette contrainte, contrairement  aux grands journaux européens, si. Résultat : la réforme du droit d'auteur bénéficierait aux sites de propagande, ou de « fake news », parce qu'avant de mettre un lien vers une publication, il faudrait toujours vérifier si la loi du droit d'auteur s'y applique. C'est un processus laborieux.

Günther Oettinger a été accusé de se laisser influencer par le lobby des grands groupes de presse. Est-ce vrai ?

Oui. Il est cependant intéressant de noter que tous les éditeurs ne sont pas convaincus par la réforme. Les grands fans de celle-ci sont Alex Springer et Burda, deux entreprises qui ont poussé la nouvelle loi sur le droit d'auteur allemand,  et appelé l'UE à agir. Ils sont en contact avec Günther Oettinger via l'association des éditeurs allemands.

>> Lire : Oettinger esquive les questions des eurodéputés sur ses dérapages

Je comprends pourquoi ces grands groupes soutiennent la nouvelle loi sur le droit d'auteur : parce qu'ils sont moins dépendants des partages sur les réseaux sociaux. Springer et Cie ont une image et une notoriété fortes et souffriraient moins d'obstacles à la circulation de leurs articles via les réseaux sociaux. Les grandes entreprises promeuvent toujours la réforme comme un moyen d'encourager davantage de pluralisme, alors que c'est l'inverse. Ça a notamment été déjà le cas en Espagne.

Therese Comodini Cachia, la porte-parole du PPE, a déclaré lors d'une audience sur le sujet le 11 janvier que la réglementation du droit d'auteur était un sujet extrêmement complexe. Quels sont les aspects du problème qui vous donnent le plus de fil à retordre ?

Selon moi, la loi sur le droit d'auteur dans l'information est tout à fait négative. Les difficultés qu'affronte la presse ne peuvent pas être réglées via une loi sur le droit d'auteur. Cela a plus à voir avec un changement du marché publicitaire. L'ère analogue est révolue, aujourd'hui, les publicités peuvent être beaucoup plus ciblées en ligne.

D'autres points de la proposition de la Commission ont à la fois des aspects négatifs et positifs. C'est par exemple le cas en ce qui concerne l'éducation et l'innovation. La proposition inclut une exception obligatoire pour l'utilisation du matériel protégé dans l'éducation, mais uniquement pour les contenus numériques, comme les cours diffusés sur Internet. Nous devrions empêcher les États membres de donner priorité aux contenus protégés des éditeurs. Une école ou un professeur ne devrait pas devoir commencer par vérifier l'offre commerciale d'une maison d'édition.

La presse indépendante européenne subit d'énormes pressions. Qu'est-ce qui permettrait de soulager le fardeau ?

Nous ne devrions pas tenter d'aider les journalistes via les droits d'auteur. Je pense que ce que les utilisateurs veulent, c'est une offre sur mesure, comme celle de Blendle, où ils payent quelques cents par article.

Pour que ces offres soient rentables, il faudrait cependant équilibrer la TVA du journalisme en ligne sur celle du journalisme « print ». L'Allemagne subventionne les médias sur papier, mais la qualité du contenu n'a rien à voir avec le fait qu'il soit imprimé ou non !

Comment une meilleure protection des lanceurs d'alerte bénéficierait-elle aux journalistes ?

Tous les médias font face à des pressions financières énormes. Ils sont terrifiés à l'idée d'être poursuivis en justice. Cela rend beaucoup plus difficile la publication de documents originaux et de contenus diffusés par des lanceurs d'alerte. Mais cette protection du journalisme d'investigation n'est pas uniquement liée à la liberté de la presse, elle a aussi un aspect financier important. Si un groupe doit financer un département juridique, cela menace ses finances, et donc son existence.

>> Lire : Une autorité européenne pour protéger les lanceurs d'alerte ?

Lors du débat du 12 janvier de la commission des affaires juridiques, l'article sur le devoir des fournisseurs Internet de filtrer les contenus mis en ligne a également généré une discussion importante.

Cette mesure serait clairement contradictoire avec le jugement de la Cour de justice, qui indique clairement que les fournisseurs Internet ne sont pas responsables du contenu mis en ligne par leurs utilisateurs. Cet article de la proposition serait contraire à la liberté d'opinion et à la protection des données, et aurait un impact sur la liberté économique des fournisseurs. Les sociaux-démocrates ont également été très critiques sur ce point.

Il est intéressant de voir que de grandes différences d'opinion existent au sein des factions politiques. Un certain nombre de membres de l'ALDE, comme Alexander Graf Lambsdorff, sont membres de l'initiative Save the Link, malgré le fait que le rapporteur fictif du groupe soutient la réforme proposée et l'obligation de filtrer le contenu. C'est une contradiction qui doit être clarifiée.

___

Par Nicole Sagener, EurActiv.de (traduit par Manon Flausch)

(Article publié le mardi 17 janvier 2017 à 9:00, mis à jour: 10:23)

___

>> Retrouvez toutes les actualités et débats qui animent l'Union Européenne sur Euractiv.fr

Euractiv

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.