Le projet pour la zone euro de Macron et Gabriel est-il voué à l'échec ?

Les ministres de l'Economie français et allemand veulent une zone euro plus intégrée. Un projet louable en théorie, mais difficile à mettre en pratique.
Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel veulent une Europe plus intégrée

Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel se connaissent bien à présent. Voici huit fois qu'ils se rencontrent. Mais cette fois, ils ont décidé de lancer un nouveau chantier : une zone euro renforcée au sein de l'Union européenne. Dans une tribune publiée dans plusieurs journaux européens (en France dans le Figaro), les ministres de l'Economie français et allemand proposent des modifications radicales au fonctionnement de la zone euro.

Le plan Macron-Gabriel

Quelles sont ces modifications ? Les deux ministres proposent une harmonisation des systèmes sociaux et économiques de la zone euro. Il s'agit d'éviter, précisent les auteurs, « la course au moins-disant qui sévit aujourd'hui à travers la concurrence fiscale, le dumping sociales et les dévaluations internes non coopératives. » Pour ce faire, les ministres proposent une harmonisation fiscale, notamment de l'impôt sur les sociétés, la mise en place d'un budget de la zone euro et d'un « cadre légal de restructuration ordonnée des dettes nationales. » Le tout sera soutenu par un « contrôle démocratique plus fort » qui s'appuiera sur une « section zone euro » du parlement européen et un « commissaire à l'euro » au sein de la Commission européenne.

Les manques de l'Union monétaire

L'ambition est évidemment louable. Il s'agit en quelque sorte d'achever le traité de Maastricht en mettant en place les structures qui manquaient à la mise en place de l'union monétaire. La zone euro n'était pas en 1992 une zone monétaire optimale, elle ne l'est toujours pas. En réalité, les divergences sont « naturelles » dans tous les ensembles monétaires, y compris au sein des Etats-nations. Il conviendrait donc de prendre ces différences en compte et de se donner les moyens de les compenser, au moins partiellement. Très concrètement, ceci ne peut se faire que par des transferts, sous forme d'investissement ou d'aides directes.

Dans ce cadre, une des erreurs de la conception de la zone euro a été de croire que des règles budgétaires et une politique monétaire « stable » suffiraient à créer une cohérence au sein d'une union monétaire qui n'en comportait pas. C'est ce mythe de la « stabilité » monétaire comme source de tous les bienfaits qui a échoué. A cela s'est ajoutée la mise en place d'une politique de compétitivité par l'Allemagne qui a contraint les pays qui avait déjà subi une perte de compétitivité par l'introduction de l'euro à trouver d'autres sources de croissance, notamment par l'endettement public et privé. Redonner de la cohérence interne à la zone euro est donc essentiel. Mais cette proposition le permet-elle ?

Les problèmes de l'harmonisation fiscale

Le premier écueil sera celui de l'harmonisation. L'harmonisation fiscale est sans doute une bonne chose, mais elle posera des problèmes importants. En Europe, le taux de l'impôt sur les sociétés varie de 10 % à 38 %. Quel sera le taux idéal ? Dans certains pays comme l'Irlande, un impôt bas est la pierre angulaire du modèle économique. Le relever considérablement réduirait considérablement leur attractivité. La seule option serait alors de compenser cet alourdissement par une baisse du coût du travail, donc par une austérité salariale ou par le chômage. A l'inverse, un pays comme la France avec son taux d'imposition de 33 % verrait ses recettes fiscales se réduire. D'autant qu'une partie des revenus du nouvel impôt devrait être attribuée, selon les ministres, au budget de la zone euro. L'impôt sur les sociétés rapporte environ 35 milliards d'euros à l'Etat français, soit environ 11,5 % de ses recettes. Si on le réduit d'un tiers et qu'on verse un tiers du reste au budget de la zone euro (tout ceci n'étant qu'hypothèse, les ministres se gardent bien d'avancer des chiffres), le manque à gagner pour l'Etat peut atteindre une dizaine de milliards d'euros qu'il faudra compenser par des baisses de dépenses, donc par de l'austérité budgétaire... Sans compter qu'il faudra aussi harmoniser les bases fiscales, donc Au final, il y aura beaucoup de perdants et peu de gagnants. Pas certain donc que les Etats et les peuples acceptent ce mouvement.

L'harmonisation sociale

Concernant l'harmonisation sociale, les ministres sont assez ambigus. Ils souhaitent « mieux coordonner » les salaires minimums dans les différents pays, mais veulent poursuivre les « réformes structurelles. » Là aussi, les pays les mieux « couverts » risquent de devoir renoncer à des acquis sociaux, tandis que les autres verraient leur niveau de protection relever, mais là encore, avec une perte de compétitivité des pays puisqu'il faudra, dans ce cas, relever le niveau de fiscalité pour financer ce relèvement. Or, beaucoup de pays, notamment à l'Est, jouent principalement sur la faiblesse de leur niveau de coûts du travail. Il faudra aussi définir quelles « réformes » devront être généralisées. Si l'harmonisation de la zone euro passe par une réduction générale de la protection des salariés, il n'est pas certain que l'euro en ressorte gagnant sur le plan politique.

La nécessité des transferts

En réalité, ces harmonisations ne peuvent se réaliser que dans la mesure où se mettra en place, en parallèle, de vrais transferts pour en compenser les effets, mais aussi pour équilibrer l'activité économique. C'est la clé pour ne pas renouveler les erreurs des années 2000. C'est la fonction du « budget de la zone euro » que proposent les ministres. Mais ces derniers n'y voient pas, en réalité, un moyen de mettre en place ces transferts. Il s'agit d'abord de soutenir des investissements et, ensuite, de disposer d'un volet « stabilisation » pour agir en cas de crise. Ces deux éléments sont utiles, mais le budget de la zone euro risque d'être comme le budget de l'Union européenne, une goutte d'eau là où il faudrait un lac. Il faudra aussi diriger les investissements là où cela est nécessaire. Or, de ce point de vue, l'expérience du plan Juncker n'est guère encourageante. Il faut, en effet, renoncer à toute logique nationale pour une logique de priorité. Donc entrer dans une vraie logique de redistribution au sein de la zone euro. Il n'est pas certain donc que ce « budget de la zone euro » soit, en qualité et en quantité, suffisant.

La sanction démocratique nécessaire

Reste un point central : cette redistribution n'est possible que si les peuples de la zone euro l'acceptent. Pour être efficace, la zone euro doit s'appuyer sur une indifférence de la destination des impôts. Il faut qu'un Français ou un Allemand accepte de financer le développement de l'Estonie ou de la Grèce, et qu'il ne se pose pas davantage la question qu'un Parisien, par exemple, finançant en partie l'économie limousine. Autrement, il y aura toujours des réticences à « payer pour l'autre. » Ceci suppose, comme le notent les ministres, une « centralisation » plus démocratique de la zone euro qui s'accompagnerait d'un affaiblissement de la logique nationale au niveau des électeurs-contribuables, autrement dit de la conscience d'une « appartenance commune », comme le dit le texte d'Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel. Or, on est fort loin de la réalisation ces deux conditions et le texte ne proposent que peu d'avancées dans ce domaine.

Les effets de la crise

La crise a montré combien la réticence à « payer pour les autres » était grande, à moins qu'elle ne s'accompagne d'une conditionnalité stricte qui, comme l'a souligné Alexis Tsipras dans son texte du 1er juin au Monde, établit une domination de fait des « payeurs » sur les « receveurs », réduisant à néant le choix démocratique des seconds. Ceci peut-il s'inverser ? C'est peu probable, en réalité, et la gestion de la crise grecque par l'Eurogroupe n'a guère amélioré la situation. L'appui populaire à la construction d'une « vraie » zone euro, dans les pays du nord, comme du sud, risque donc d'être très faible. La crise, et sa gestion par les gouvernements français et allemand, a renforcé ce que les deux ministres dénoncent : la compétition interne, le ressentiment commun, la méfiance. On ne décrète pas l'établissement d'une confiance.

Des solutions à la hauteur ?

Un sous-parlement de la zone euro ne règlerait en rien le problème. Pour deux raisons. Le parlement européen souffre d'un déficit démocratique évident qui se transmettra au « parlement de la zone euro. » On ne peut faire comme si ce déficit (qui s'exprime par une abstention de 60 % aux élections européennes) n'existe pas. De même, on ne peut réellement envisager ces changements sans passer par un changement de traité validé directement par les électeurs. La construction d'une zone euro plus intégrée ne peut se faire qu'avec les peuples. Autrement, ce serait alimenter encore les adversaires de cette intégration et ce serait maintenir des logiques nationales et égoïstes. Or, il n'est pas sûr que les peuples répondent présents à cette harmonisation dont on a vu qu'elle comportait des risques sur les acquis sociaux. Sans compter l'absence de sentiment « d'appartenance commune » que les ministres envisagent de construire grâce à Erasmus généralisé. Face à un défi considérable - créer un sentiment « national » de la zone euro supérieur au sentiment national traditionnel-, le séjour d'un semestre pour tout Européen de 18 ans dans un autre pays semble là aussi bien peu à la hauteur.

Texte de communication avant tout

Ce texte est donc un texte de bonne volonté. Mais il montre aussi les limites d'un exercice qui semble surtout s'apparenter à de la communication, avec un faible espoir de réalisation concrète. Sigmar Gabriel sait bien que toute mutualisation européenne des ressources de l'Allemagne devra faire face à une résistance du centre-droit et de la majorité de la population. Et Emmanuel Macron est dans une situation assez similaire. Le chemin parcouru par la zone euro depuis 2010, avec son arsenal de répression budgétaire, ne va, du reste, guère dans ce sens. Or, ce chemin a été emprunté par la France et l'Allemagne et il a sa propre logique : c'est par l'ajustement budgétaire que l'on va construire la compétitivité des pays de la zone euro. Un changement de cap est souhaitable. Mais il semble bien peu possible. Tout ceci n'est donc que des mots. Et les Européens se sont trop souvent payés de mots pour en tenir compte.

Commentaires 15
à écrit le 06/06/2015 à 10:03
Signaler
La seule question à trancher est de savoir si une zone monétaire peut-être supranationale c'est à dire non intrusive sur les choix politiques qui sont à faire (sachant qu'équilibrer les comptes n'est pas un choix politique). Personnellement je pense ...

à écrit le 05/06/2015 à 20:19
Signaler
Les grands fonds spéculatifs US viennent d'adresser leur feuille de route aux dirigeants de la zone euro. Aussitôt Macron et Gabriel se mettent à table. Le fédéralisme furtif jusqu'où ? jusqu'à quand?

à écrit le 05/06/2015 à 17:59
Signaler
L'harmonisation implique - c'est une évidence - qu'il existe un seuil plancher, un seuil plafond ou les deux, non que les taux (sociaux, fiscaux...) doivent être les mêmes partout. Dès lors que l'on considère cette donnée qui semble aller de soi, l'e...

à écrit le 05/06/2015 à 16:24
Signaler
Cette tribune commune est le texte fondateur d'un nouveau cycle européen, monsieur Godin, le brouillon d'un programme électoral commun aux socio-démocrates allemands et français en 2017 qui s'adressera directement à la jeunesse et à la raison de leur...

à écrit le 05/06/2015 à 15:08
Signaler
Toute analyse de la fiscalité doit tenir compte des prélèvements sur la production et sur la consommation.

à écrit le 05/06/2015 à 14:37
Signaler
Oui il faut une vraie union politique à la zone euro, avec des transferts et plein de trucs qui ne plairont pas aux électeurs. C'est inévitable, tous les décideurs le savent bien. Mais comment commencer à vendre cette solution aux électeurs si aucun...

le 05/06/2015 à 15:05
Signaler
Il y a la zone euro et nous dans la zone euro. Agissons d'abord chez nous en recherchant à réduire les écarts de notre fiscalité par rapport à l'Allemagne.

à écrit le 05/06/2015 à 13:11
Signaler
Il faudrait ensuite appliquer le pacte de responsabilité avec comme contrepartie l'augmentation du prix de l'énergie. Petit à petit on trouvera la solution.

à écrit le 05/06/2015 à 13:09
Signaler
Le 1er point de cette note a été proposé par notre prix Nobel, à savoir, augmenter le prix de l'énergie.

le 05/06/2015 à 15:43
Signaler
Jean Tirol et un des rédacteurs de la note n°6 sont de la même promotion; ils se sont vus récemment. Ont ils évoqué cette question?

à écrit le 05/06/2015 à 13:07
Signaler
Il suffirait de financer les retraites par une taxe sur l'énergie pour régler la problème. Cela est proposé dans la note n°6 du CAE, page 12 .

à écrit le 05/06/2015 à 12:32
Signaler
Une harmonisation avec la France, pays collectiviste écrasé sous son fonctionnariat et ses assistés professionnels est impossible. Le problème c'est la dépense publique de 57,5 % du pib et les impôts qui vont avec. La France est LE problème européen....

à écrit le 05/06/2015 à 12:22
Signaler
En contrepartie d'une hausse de l'impôt société, on peut aussi imaginer une baisse des dividendes, et pas seulement un baisse du coût du travail!!! Il faut, de toutes façon, généraliser une différenciation entre un bénéfice distribué et non-distribu...

à écrit le 05/06/2015 à 8:33
Signaler
Romaric Godin, vous devriez vous offrir un Bescherelle , ça donnerait envie de pousser plus loin la lecture de l'article😖🐤

le 05/06/2015 à 11:31
Signaler
Hélène, vous devriez vous acheter un guide des bonnes manières (et un guide de la ponctuation, par la même occasion...), ça vous permettrez de vous concentrer sur l'essentiel de l'article.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.