Pierre Uri, l'économiste français qui a fabriqué la "maquette" de l'Europe

Après l'échec de la création d'une communauté européenne de défense, les pères fondateurs de l'Europe, emmenés par Jean Monnet, tentent de mettre les Européens d'accords autour du nucléaire civil et d'un marché commun. L'économiste français Pierre Uri a joué un rôle décisif, en posant les bases des négociations sur les traités de Rome.
Jean-Christophe Catalon
"Mon ralliement à l'idée de Marché commun doit beaucoup aux explications que me donna Uri", confie Jean Monnet dans ses Mémoires.

Malgré l'avalanche de critiques à son égard en cette période électorale, l'Europe fête samedi les 60 ans des traités de Rome. Signés par six pays : la France, l'Italie, la RFA et les trois pays du Benelux, ces textes font partie des fondations sur lesquelles l'Union européenne actuelle s'est bâtie.

À l'époque, l'aboutissement de ces accords était loin d'être une évidence. Si la construction européenne avait franchi une étape clé en 1951, avec le traité de Paris instituant la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier), les espoirs de voir émerger une défense commune sont douchés par l'Assemblée nationale française qui rejette le projet de CED en 1954.

Déterminés à poursuivre la construction européenne, le Français Jean Monnet et le Belge Paul-Henri Spaak se lancent dans un travail de l'ombre. Pour arriver à leurs fins, ils reçoivent le concours décisif d'un autre français : Pierre Uri. Ce normalien, agrégé de philosophie, a gagné ses galons d'économiste à l'université de Princeton aux États-Unis. Il a notamment participé à la rédaction du plan Monnet en 1946 et dirige depuis 1952 la Division Économie générale de la CECA.

Jean Monnet et Paul-Henri Spaak

(De gauche à droite, Jean Monnet et Paul-Henri Spaak, crédits : Services audiovisuels de la Commission européenne)

"Faire un marché commun à six"

Après l'échec de la CED, Jean Monnet, alors président de la Haute Autorité de la CECA, a l'idée de rassembler à nouveau les Européens autour d'un autre secteur : le nucléaire civil. Calqué sur le modèle de la CECA, le projet de communauté de l'énergie atomique, baptisé Euratom sera la nouvelle pierre à l'édifice européen. Septique, Uri met en garde Monnet sur les carences de ce projet qui, selon lui, doit intégrer l'idée d'un Marché commun pour convaincre l'ensemble des pays à le signer.

"Des hommes comme Erhard [ministre de l'Économie et vice-chancelier allemand, NDLR] ne verront pas l'intérêt d'une nouvelle organisation supranationale dans le cadre des Six pour une industrie qu'ils peuvent négocier avec la technique anglaise, américaine, norvégienne, plutôt qu'avec ceux qui n'ont rien ou presque. En revanche, si vous leur parlez de généraliser l'intégration qui est déjà commencée, de faire un marché commun à six, alors ils comprendront qu'on fasse aussi une communauté atomique dans le même cadre", expliquait l'économiste (extrait des Mémoires de Jean Monnet).

L'idée demeure tout de même absente du projet présenté en 1955, rejeté par les dirigeants allemands et français. "J'eus vite la preuve que cette intuition était juste", raconte Jean Monnet dans ses Mémoires qui finit alors par se laisser convaincre. "Mon ralliement à l'idée de Marché commun doit beaucoup aux explications que me donna Uri", poursuit-il.

Cette conversion a permis d'ouvrir un nouvel axe de travail à ses partenaires européens et dès le mois de mai 1955, le Belge Spaak lui fait parvenir quatre pages de propositions regroupées sous le nom de Mémorandum des pays du Benelux aux six pays de la CECA sur lesquelles figurent pour la première fois la notion de "Communauté économique".

Le "rapport Spaak" ou la maquette des institutions européennes

Le 1er juin, les ministres des Affaires étrangères des Six sont réunis à Messine en Sicile. Le Mémorandum leur est remis et, mises à part quelques modifications de forme, ils tombent d'accord sur les principes d'une "Communauté économique" et d'Euratom. Ils désignent alors un comité de délégués et d'experts chargés, sous la direction de Paul-Henri Spaak, de rédiger un rapport qui servira de base à la rédaction des traités. Pierre Uri en fait partie.

Incluse dans le groupe de travail, la Grande-Bretagne quitte la table, quant aux délégués des Six, ils ne cessent de s'écharper sur des intérêts nationaux qui risquent de tuer le projet. Atterré par la situation, Spaak mise sur l'esprit de synthèse de Pierre Uri, qui a assisté à l'ensemble des sessions de travail, pour rédiger la copie.

L'établissement d'un marché commun sous la base d'une union douanière, la fixation d'un tarif extérieur commun, la création d'une Banque européenne d'investissement (BEI), ainsi que de quatre institutions - la Commission européenne, le Conseil des ministres, la Cour de justice et le Parlement- chargées de garantir le fonctionnement de la Communauté... sont inclus dans le rapport Spaak. Remis lors du sommet de Venise du 29 au 30 mai 1956, il est validé par les dirigeants.

Véritable "maquette de l'Europe" selon Arte, ce document "aura été essentiellement l'œuvre d'Uri - Spaak en porta maintes fois témoignage", souligne Jean Monnet. Le 25 mars 1957, les traités de Rome, comprenant la communauté économique européenne (CEE) et le communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom), sont signés par les Six. Les institutions créées à l'occasion sont pour la plupart toujours d'actualité.

(Cet épisode est reconstitué dans ce documentaire d'Arte, intitulé Dans les coulisses des traités de Rome, à partir de 28 min 45)

Jean-Christophe Catalon
Commentaire 1
à écrit le 26/03/2017 à 18:52
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