Réfugiés  : un accord peu convaincant pour gagner du temps

L'accord turco-européen sur les réfugiés donne l'illusion d'un règlement au problème. Mais ce n'est en réalité qu'une solution temporaire, qui pose énormément de difficultés en Grèce, en Turquie et dans le reste de l'Europe.
L'accord avec la Turquie apporte-t-il une solution durable à la crise ?

Que ce soit sur la crise de la dette souveraine, sur le risque de « Brexit » ou, à présent, sur la gestion de la crise migratoire, la stratégie de l'Union européenne semble se déployer de la même façon : la réponse tardive à une crise, des sommets de la « dernière chance » et, finalement un « accord » pour éviter le « désastre. » En réalité, ce beau scénario, désormais bien connu, ne vise surtout qu'à repousser les problèmes à plus tard. A les faire durer davantage et, in fine, à masquer une incapacité à trouver de « réelles solutions. » En silence, la crise grecque se poursuit. L'accord de Bruxelles n'a nullement garanti la victoire du maintien du Royaume-Uni dans l'UE. L'accord de ce 18 mars avec la Turquie permettra-t-il d'en finir avec la crise migratoire aux portes de l'Europe ? Rien n'est moins sûr.

Un « bijou bureaucratique »

 L'accord est en effet un bijou bureaucratique, mais sa réalisation concrète sera sur le terrain des plus délicates. Le principe est que les réfugiés qui rejoindront la Grèce verront leurs dossiers examinés directement sur place « au cas par cas. » Après cette procédure, ceux qui ne peuvent pas prétendre au droit d'asile en Grèce, soit parce qu'ils en sont pas concernés, soit parce qu'ils sont déjà reconnus comme réfugiés en Turquie, seront reconduits dans ce dernier pays. Ils seront ensuite placés en queue de liste pour être admis dans l'UE. En échange, la Turquie enverra dans l'UE un réfugié sur la base d'un demandeur d'asile réadmis sur son sol.

Un travail d'Hercule pour la Grèce

L'affaire pose de nombreux problèmes. Le premier est évidemment l'examen « au cas par cas » des dossiers. Ceci réclame des effectifs, des locaux, des moyens. La Commission a évalué le coût à 300 millions d'euros et le nombre de fonctionnaires nécessaires à 4.000. Trouver 4.000 personnes compétentes, pouvoir monter les structures nécessaires, assurer la protection légale prévue pour chaque migrant... Tout cela sera un défi de taille pour la Grèce, pays, rappelons-le, qui subit une profonde crise économique. Athènes compte une nouvelle fois sur une solidarité européenne qui n'a pourtant guère fait la preuve de son efficacité ces derniers mois, notamment dans le soutien à la mise en place des « hotspots » et dans la relocalisation des réfugiés. L'Allemagne et la France ont annoncé envoyer chacune 200 fonctionnaires sur place. Sera-ce suffisant ? Sans doute pas.

La « route des Balkans » reste fermée

Le défi est d'autant plus grand à relever en Grèce que l'on ne doit pas oublier l'état réel de ce pays, soumis à un régime budgétaire strict, qui a dû se séparer d'un tiers de ses fonctionnaires et qui doit construire un Etat avec moins de personnel sous la pression constante de créanciers à la vision désespérément comptable. A cela, s'ajoute la gestion des quelques 50.000 réfugiés « bloqués » en Grèce par la fermeture de la frontière avec l'ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM). Le sort de ces réfugiés n'est pas réglé et il ne le sera pas : il n'est pas question de rouvrir la « route des Balkans » dont la fermeture arrange bien, quoi qu'elle en dise par ailleurs, Angela Merkel.

Faire renaître les « zones de transit » en Grèce

Ce petit pays va devoir assumer le renvoi des réfugiés refoulés du pays. Et si ces derniers refusent leur expulsion ? Faudra-t-il employer la force ? Et si l'affaire tourne mal, faudra-t-il accuser la seule Grèce d'appliquer l'accord signé vendredi ? L'accord fait donc porter un poids démesuré sur la Grèce. Tout se passe comme si l'UE avait déjà prévu, une nouvelle fois, de faire porter la responsabilité de l'échec de l'accord sur Athènes, comme en janvier lorsque l'on avait menacé la Grèce de sortir de l'espace Schengen parce qu'elle n'avait pas monté les « hotspots ». Or, de quoi s'agit-il cette fois, sinon de monter précisément des « hotspots » ? Ce que les Européens ont décidé d'établir en Grèce, ce sont les « zones de transit » que la droite bavaroise a proposé à l'automne à Angela Merkel. Cette dernière l'avait refusée à sa frontière, mais elle l'a acceptée à celle de la Grèce. Il est vrai que c'est politiquement plus commode d'en assumer l'échec.

Un effet « dissuasif » ?

Le deuxième risque lié à cet accord est qu'il ne soit nullement dissuasif. Confronté aux règles du droit international, qui interdit de refouler des demandeurs d'asile, les Européens ont dû offrir à ceux qui débarquent en Grèce un examen de leur dossier et un recours juridique. Les réfugiés vont pouvoir faire appel des décisions, même si on promet des procédures rapides, tout dépendra du flux des arrivées et de l'organisation sur place. De plus, il existe évidemment de nombreux moyens de contourner le refoulement en Turquie, notamment l'emploi de fausses identités que les passeurs vont proposer sans doute pour maintenir le rythme des traversées.

L'espoir d'être accepté pourrait être plus attirant pour des réfugiés déterminés que le vague espoir d'être « choisi » dans le cadre de l'échange « un pour un » par les autorités turques. Bref, le flux de réfugiés dans la mer Egée pourrait ne pas se tarir autant que le souhaitent les autorités européennes. Or, s'il ne se tarit pas, s'il faut accorder l'asile à nombre de réfugiés, que se passera-t-il ? Les « hotspots » grecs seront alors débordés et l'accord risque de rester lettre morte.

Or, le succès de l'accord repose sur un « effet dissuasif » : tout le monde espère que, au vue des retours en Turquie, les réfugiés cesseront de tenter leur chance. C'est un pari perdu d'avance. Le « désir d'Europe » des réfugiés ne sauraient se briser devant ce beau projet. Du reste, si le flux se tarit effectivement, les échanges se tariront également. L'espoir d'être « normalement » renvoyé en Europe se réduira, ce qui, en réalité, donnera une raison aux réfugiés de tenter leur chance « illégalement. » En théorie, cet accord prévoit "l'échange" de 72.000 réfugiés. Mais si ce chiffre est dépassé, que se passera-t-il ? Aurait-on mis en place des quotas qu'Angela Merkel a tant de fois refusés ?

La question turque reste entière

Autre point sensible : la collaboration de la Turquie. L'accord repose sur la bonne volonté turque. Le gouvernement d'Ankara a connu une victoire relative ce vendredi. Certes, il n'a pas obtenu de garanties fermes pour son adhésion à l'UE et la levée des visas, mais il obtient 6 milliards d'euros au lieu des 3 milliards d'euros prévus initialement. La question reste de savoir ce qu'il adviendra de l'accord si les Turcs n'obtiennent pas la levée des visas. Normalement, cette levée est prévue en juin 2016. Mais une grande partie des opinions publiques dans l'UE y est opposée. Certains gouvernements pourraient donc avoir donner un « os à ronger » à Ankara sans réellement avoir réellement l'intention de passer à l'acte. Du reste, cette levée est liée à la réalisation de certaines obligations : de quoi laisser assez de flou pour repousser la date prévue. Même constat pour la relance du processus d'adhésion : rien n'est possible sans le règlement de la question chypriote qui est une question fort épineuse.

Comment le gouvernement d'Ahmet Davutoğlu réagira-t-il à un éventuel report des décisions européennes ? L'accord sera-t-il alors encore viable ? Pour se prémunir d'une éventuelle mauvaise volonté européenne, la Turquie sera-t-elle tentée de maintenir la pression sur la Grèce en ne bloquant qu'une partie des réfugiés ? Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre pour le moment, mais qui montre combien cet accord est un accord qui tente surtout de repousser à plus tard le problème.

Selon le quotidien autrichien Die Presse, il y aurait un "deuxième pacte" secret dans lequel l'UE accepterait de prendre 330.000 réfugiés de Turquie, de plus que celui prévu par l'accord si les arrivées en Grèce se tarissent. Mais seulement de la part des pays qui sont prêts à les accepter. Quels seront ces pays ? Mystère...  L'effet d'incitation pour la Turquie reste donc limité.

Qui accueillera les « échangés » ?

D'autant qu'il demeure une autre question clé, celle des conditions de « l'échange » prévu. Comment sera organisé le choix des réfugiés et, surtout, où iront les « heureux élus » échangés contre les malheureux qui auront tenté la traversée ? Cette question est soigneusement évitée, mais elle est cruciale lorsque l'on se souvient de l'échec patent de la « relocalisation » des réfugiés présents en Grèce et en Italie. Comment croire que les pays d'Europe centrale accepteront d'accueillir des réfugiés alors qu'ils ont jusqu'ici refusé et que, politiquement, les gouvernements restent sous la pression de leur opinion, comme l'ont prouvé les récentes élections slovaques ? La France ou les Pays-Bas seront-ils de meilleure volonté soudainement pour accepter des réfugiés ? La question est périlleuse, car l'Allemagne ne souhaite pas non plus accueillir une nouvelle vague de réfugiés, c'est d'ailleurs tout le sens de l'accord porté par Angela Merkel qui avait promis de mettre fin au flux « à la source. » Or, avec ce manque de volonté, l'échange pourrait être laborieux, long et difficile, donnant à la Turquie de nouvelles raisons de mécontentement.

Autrement dit, encore une fois, cet accord célébré par les chefs d'Etat n'est qu'une énième tentative de gagner du temps. Mais comme lors des précédentes crises, nul ne sait à quoi le temps gagné servira compte tenu de la désunion profonde de l'Europe sur le sujet.

Commentaires 9
à écrit le 23/03/2016 à 20:16
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Cet accord "historique" des 28 ressemble à l'accord de Munich. Il ne sert qu'à faire gagner du temps à Merkel qui pourra présenter un bilan acceptable aux élections. On laisse la Grèce se transformer en gigantesque camp de rétention. Bien entendu fin...

à écrit le 22/03/2016 à 13:17
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Fêtes les venir les immigrés et Bruxelles matenand ?

à écrit le 21/03/2016 à 22:48
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L accueil des réfugiés se fera sur base volontaire. Quels pays seront volontaires ? Personne n´ ose en parler. Et ces 3 + 3 milliards, qui va les payer ? Idem , personne n´en parle ! Ce pacte est une farce ! Une pièce de theatre pour que Mer...

à écrit le 21/03/2016 à 19:16
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Pour quoi les réfugiés non bons pas en Arabie saoudite aux autres pays arabe même religion même mentalités ?

le 21/03/2016 à 20:39
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Non en Europe il ya du travail .

à écrit le 21/03/2016 à 18:37
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Pas d'âme , pas de vision , aucune stratégie, navigation à vue , et profond rejet des peuples , voilà ce qu'est devenu l'europe , le rêve européen.... Plus personne ne veut de ces personnes non élues qui ne consultent jamais leur peuple, et prennent ...

à écrit le 21/03/2016 à 18:05
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Un marché de dupes, une fois de plus l'Europe se couvre de honte...

à écrit le 21/03/2016 à 17:05
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l'UE est une machine à perdre. Le Brexit ne fait plus de doute. Ensuite ce sera le Franxit. Pas d'âme, pas de vision, pas de stratégie, pas de c...

à écrit le 21/03/2016 à 17:04
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Tout est pensé comme si les migrants devaient rester en Europe, alors qu'ils sont sensé retourner dans leur pays, a condition... que l'on arrête d'y semer le chaos!

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