Royaume-Uni : la revanche de Corbyn "l'incapable"

Élu à la tête du Parti travailliste en septembre 2015, Jeremy Corbyn, 68 ans, a fait l'objet d'attaques répétées émanant de l'opposition et surtout de son propre camp, pendant près de deux ans. Jusqu'à jeudi soir. Contre toute attente, et grâce à une très bonne campagne, son Labour a gagné 30 sièges à la Chambre des communes, privant les conservateurs d'une majorité absolue.
Sasha Mitchell
Jeremy Corbyn quitte le siège du parti travailliste, vendredi 9 juin.

"Maintenant, faisons en sorte que je ne gagne pas." Quelques instants après la validation de sa candidature pour la direction du parti travailliste, en juin 2015, Jeremy Corbyn prévient ses équipes : pas question de remporter le scrutin. Issu de l'aile gauche du Labour, le député d'Islington North (Londres) depuis 1983, souhaite alors simplement élargir le débat. Faire contrepoids aux Yvette Cooper, Andy Burnham et Liz Kendall, qui incarnent tous, peu ou prou, le New labour de Tony Blair. Deux ans plus tard, ce militant pacifiste, végétarien et écologiste de 68 ans, ressort vainqueur (ou plutôt le moins vaincu) d'une élection censée consacrer les conservateurs de Theresa May.

Entre temps, Jeremy Corbyn a remporté deux élections internes au parti. La première en 2015, donc, après une campagne axée très à gauche et à la faveur d'un changement de système électoral. En passant d'un mode de scrutin collégial divisé en trois entre les militants, les députés et les syndicats au système "un homme égal une voix", le parti se retrouve submergé par les adhésions de jeunes (et de moins jeunes) enthousiastes à l'idée de mettre fin au recentrage opéré par le Labour ces 20 dernières années. Plébiscité par les militants, il se retrouve rapidement en difficulté vis-à-vis du Parliamentary Labour Party. Backbencher (député sans responsabilité dans un gouvernement ou shadow gouvernement) depuis toujours, rebelle (il a voté près de 430 fois en 32 ans contre la ligne du parti), Corbyn fait face à la défiance de ses députés, en désaccord avec sa ligne politique et son leadership. Incapable de prendre des décisions et de s'affirmer, notamment sur le Brexit, combattu du bout des lèvres, il fait face à une fronde de son shadow gouvernement au lendemain du référendum du 23 juin 2016 qui le contraint à remettre son poste en jeu. En septembre dernier, tout juste un an après sa première élection, Corbyn écrase son unique concurrent Owen Smith, avec 62% des suffrages exprimés. Les militants lui renouvellent leur confiance. Pas ses députés. Et encore moins ses opposants, la presse de droite et les tabloïds, prompts à le caricaturer en dangereux socialiste (voire communiste !) ennemi du Royaume-Uni.

Un programme radical et pragmatique

Au moment où Theresa May réclame l'organisation d'une élection générale anticipée, mi-avril, tous les voyants sont au rouge pour le parti. Certains depuis le début que Jeremy Corbyn est incapable de mener le Labour vers la victoire dans une élection générale, bon nombre de cadres se préparent au pire résultat depuis 80 ans. Pour ne rien arranger, les travaillistes viennent de perdre l'élection partielle de Copeland, une première pour un parti d'opposition depuis 1982. Début mai, ils essuient également une lourde défaite lors des élections locales au profit des conservateurs, qui bénéficient de l'effondrement de UKIP.

Seulement, en l'espace d'un mois, le vent tourne de manière spectaculaire. Crédité de 25% des voix dans les sondages contre 45% pour les Tories cinq semaines avant l'élection, le parti parvient à remonter la pente graduellement. Outre la campagne ratée de Theresa May, le Labour, grâce à un programme ancré très à gauche, parvient à capitaliser sur le ras-le-bol d'une partie de la population, fatiguée des coupes budgétaires mises en place par les conservateurs au cours des six dernières années. Alors qu'une étude relayée par le Guardian recense plus de 2.000 banques alimentaires en activité dans le pays, Jeremy Corbyn, fidèle à sa ligne, promet une hausse du salaire minimum à 10 livres, 6 milliards de livres supplémentaires pour le système de santé, la renationalisation des chemins de fer et la suppression des frais de scolarité à l'université. Mais le leader prouve aussi qu'il sait écouter. Personnellement opposé au renouvellement de l'arsenal nucléaire du pays, il met de côté ses convictions pour intégrer la mesure dans le programme du parti.

Un graphique de notre partenaire Statista

Meilleur score depuis Tony Blair en 1997 et en 2001

Un mélange de radicalité et de pragmatisme qui a notamment plu aux jeunes. Grande inconnue du scrutin, la participation des moins de 24 ans, ultra-favorables à Corbyn, semble avoir été en hausse jeudi (le taux global de 68,7% est le plus élevé depuis 1997). Une nouvelle fois, après les élections de 2015 et de 2016 pour la direction du parti, le député d'Islington North (réélu avec une marge de plus de 33.000 voix dans sa circonscription) a démontré qu'il excellait dans l'art de la campagne. "Il a fait une campagne formidable", reconnaissait son ennemi politique Nigel Farage, ancien leader de UKIP, sur Sky News jeudi soir.

A tel point que Corbyn est parvenu à capter une part importante des anciens électeurs du parti europhobe, que Theresa May pensait avoir acquis depuis les élections locales. Sa ligne ambiguë sur le Brexit, qu'il souhaite "soft" tout en mettant fin à la libre-circulation des personnes, ne semble pas avoir effrayé et a même visiblement séduit les "re-leavers", électeurs du Remain résignés à l'idée d'un Brexit inéluctable. Certes, avec 261 députés élus, les travaillistes restent loin dernière les Conservateurs (318 sièges). Mais la bérézina annoncée n'a pas eu lieu. Mieux, le Labour a récolté quelque 40% des voix, une première depuis les victoires de Tony Blair en 1997 et en 2001. Un score et un succès populaire qui renforce, aussi, la légitimité du coup de barre à gauche donné au parti par son leader.

Alors que la question de son remplacement à l'issue de l'élection se posait avec insistance ces dernières semaines, celle-ci ne semble plus d'actualité. Jeremy Corbyn a prouvé jeudi 8 juin, en dépit de la défaite, qu'il était capable de faire gagner des sièges au Labour dans un contexte difficile. Et qu'il n'est pas la "catastrophe ambulante" décrite depuis son élection à la tête du parti. "Je me demande ce que les résultats auraient donné ce soir si on n'avait pas constamment mis des bâtons dans les roues à Jeremy Corbyn. Et s'il avait gagné ?", soufflait le réalisateur Ken Loach sur Sky News, jeudi. Et si...

Sasha Mitchell
Commentaires 8
à écrit le 10/06/2017 à 19:26
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Un bon article, merci. "Cap à gauche pour le Labour: Jeremy Corbyn, l’homme à abattre" http://www.monde-diplomatique.fr/2015/10/NUNNS/53931 (article gratuit)

à écrit le 10/06/2017 à 6:23
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2000 banques alimentaires !Tout est dans ce nombre.

à écrit le 09/06/2017 à 22:06
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reste qu'avec le trouble causé par le brexit, un dirigeant plus modéré et un programme plus réaliste incluant l'abandon du brexit, le labour aurait certainement gagné cette élection.

à écrit le 09/06/2017 à 16:52
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Si Corbyn arrive au pouvoir, ça va être le scénario Hollande :-)

le 09/06/2017 à 18:52
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Pas sur, je ne vois pas en Corbyn un petit yesmen de la pensée unique à la hollande. Corbyn est indeniablement plus proche d'un Hamon ou d'un melanchon que d'un hollande. En outre, les anglais, en fille ainée de ce neo liberalisme mortifere, sont au ...

le 09/06/2017 à 19:36
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#Patrickb Corbyn est beaucoup plus à gauche que Hollande...Si tant est qu'Hollande fût de gauche pendant son quinquennat. Il se disait social-démocrate, il est avéré qu'il fût plutôt social-libéral. 2000 Banques alimentaires au RU, en France, les Re...

le 09/06/2017 à 22:08
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Comme Hamon et Mélenchon, l'extrêmisme de Corbyn et l'irréalisme de son programme le rend définitivement inéligible.

le 10/06/2017 à 7:25
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@CSP & Valbel89: ce que je voualis dire, c'est qu'il allait mettre le pays en lambeaux... comme Hollande :-)

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