Un contingent réduit de 318 conservateurs et 262 travaillistes regonflés à bloc après un résultat inespéré, jeudi 8 juin. Quelque cinq jours après l'élection générale anticipée, les députés britanniques tout juste (ré)élus ont retrouvé (ou découvert, pour 87 d'entre eux) les fauteuils verts de la Chambre des communes, ce mardi. Motif : l'ouverture de la nouvelle session parlementaire avec l'élection du président de la Chambre, à moins d'une semaine de la date initialement prévue pour le début des discussions entre le Royaume-Uni et l'Union européenne en vue du Brexit.
Initialement, seulement. Car la confusion politique qu'a engendré le revers subi par Theresa May la semaine dernière va vraisemblablement contraindre les Britanniques à repousser de quelques jours les premiers rounds de négociations, en dépit des pressions allemandes et de l'appel à "ne pas perdre de temps" de Michel Barnier dans Le Monde daté du 14 juin. Mais pas seulement. L'approche du nouveau gouvernement conservateur, remanié ce week-end par la Première ministre pour tenter de réunifier les membres d'un parti furieux d'avoir perdu leur majorité absolue, pourrait bien également se retrouver modifiée.
Un vote en partie contre le "hard Brexit"
En faisant de l'élection anticipée une sorte de référendum sur sa propre vision du Brexit, Theresa May a pris le risque de se voir désavouée. Les résultats tombés tout au long de la nuit de jeudi à vendredi derniers ont confirmé ce worst case scenario. Le fait que les Britanniques aient refusé d'accorder une majorité renforcée à leur Première ministre traduit en partie un rejet du "hard Brexit" promu par la leader conservatrice. (La moitié des anciens électeurs UKIP, d'ailleurs, ont préféré de manière inattendue le "soft Brexit" des travaillistes.) Un constat partagé par l'ancien Premier ministre, successeur de Margaret Thatcher en 1990, John Major :
"A mon sens, le concept de hard Brexit est en train de devenir intenable", a-t-il affirmé sur BBC Radio 4. "Les opinions de celles et ceux qui souhaitent rester [dans l'Union européenne] vont devoir davantage être pris en compte désormais. Le hard Brexit n'a tout simplement pas été soutenu par l'électorat dans cette élection."
Au sein du parti conservateur, d'autres ténors se sont déclarés en faveur d'un rapprochement avec la position des travaillistes sur la question, à l'image de l'ancien ministre des Affaires étrangères William Hague. Au nord de la frontière avec l'Ecosse, la dirigeante locale du parti, Ruth Davidson, à qui Theresa May doit le gain de 12 sièges au détriment des nationalistes écossais, appelle même à un consensus transpartisan sur le Brexit, pour éviter qu'il ne devienne "le Brexit des Tories". Une position qui séduit d'autres figures politiques de premier plan, comme la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon et les députées travaillistes Harriet Harman et Yvette Cooper, ainsi qu'une majorité de Britanniques, à en croire un récent sondage YouGov.
La question nord-irlandaise
Autre élément qui pourrait pousser Theresa May à assouplir son approche vis-à-vis de l'Union européenne : l'Irlande du Nord. Partisans du Brexit, ses alliés loyalistes du Democratic Unionist Party (DUP), avec qui elle négocie actuellement une alliance pour pouvoir gouverner avec une majorité "absolue" à Westminster, souhaitent néanmoins que la frontière avec la République d'Irlande reste ouverte. Un point qui figure d'ailleurs dans le Top 3 des priorités de l'Union européenne lors des négociations. En cas de "hard Brexit" ou de "no deal" en 2019, rien ne permet en effet d'assurer avec certitude que la frontière entre l'Ulster et l'Eire reste poreuse.
Quant aux intentions de Theresa May, elle restent pour l'heure plutôt floues. Après avoir promu Damian Green, partisan du "Remain" avant le référendum, au rang de Premier secrétaire d'Etat en fin de semaine dernière, elle a nommé Steve Baker, l'un des plus fervents soutien de la sortie de l'UE, au sein du ministère pour le Brexit, mardi après-midi. La leader conservatrice marche en effet sur des œufs, vis-à-vis de ses députés : en l'absence de majorité absolue, May se trouve à la merci de la faction la plus eurosceptique, laquelle pourrait remettre en question son leadership si les négociations s'orientent vers un "soft Brexit". Un risque que la Première ministre souhaitait initialement éliminer en... amplifiant sa majorité lors de l'élection anticipée.
Mais qu'est-ce qu'un "soft Brexit" ?
Mais, quand bien même la Première ministre changerait d'avis (ou son successeur, ou même une autre majorité en cas de nouvelle élection générale anticipée), reste à savoir à quoi ressemblerait un "soft Brexit". Un improbable accord pour rester dans le marché commun ? Une période de transition plus longue ? Adopter un ton moins belliqueux et privilégier l'impact économique du Brexit sur les Britanniques plutôt que l'immigration pourrait, par exemple, être un bon début.