Sortie du QE : "Du point de vue des investisseurs, c'est le moment"

Les marchés sont impatients de connaître le calendrier de la BCE concernant la sortie progressive du programme d'achat de dettes. Francfort pourrait l'annoncer en octobre ou dès ce jeudi. Pour l'économiste Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du CEPII, les investisseurs attendent cette décision pour gagner en profitabilité. Mais d'un point de vue macro-économique, la BCE ne peut se permettre de trop ralentir sa politique accommodante tant que les bilans bancaires ne seront pas nettoyés.
Jean-Christophe Catalon
"Depuis que la BCE a commencé sa politique non-conventionnelle, elle subit des pressions pour en sortir", explique Anne-Laure Delatte, économiste et directrice adjointe du CEPII.

Article mis en ligne le 06/09/2017 à 12h54, mis à jour le 07/09/2017 à 13h34

Mario Draghi va-t-il mettre fin au suspense jeudi ? Depuis le mois de juin, le président de la Banque centrale européenne (BCE) reste très secret sur ses intentions concernant la sortie du programme de rachat de dettes, dit d'assouplissement quantitatif ("quantitative easing" en anglais, abrégé en QE). Lors du séminaire de Jackson Hole aux Etats-Unis fin août, qui réunit les responsables des banques centrales, l'Italien n'a rien laissé transparaître, alors qu'en 2014 il avait profité du rendez-vous pour préparer les marchés au lancement du QE sept mois plus tard.

La seule certitude est qu'un calendrier de sortie est dans les cartons, consistant en une dégressivité progressive (ou "tapering" en anglais) du programme d'achat de dettes, aujourd'hui fixé à 60 milliards d'euros par mois jusqu'à la fin de l'année. Mario Draghi a indiqué que le conseil des gouverneurs y travaille pour l'automne. Sur les marchés, les hésitations oscillent entre une annonce pour le mois d'octobre ou dès ce jeudi - même si la première option est privilégiée du fait de l'inquiétude de la BCE face à l'appréciation de l'euro de ces dernières semaines. L'économiste Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), revient pour La Tribune sur les enjeux d'une telle décision.

LA TRIBUNE - Pourquoi la BCE veut-elle sortir du QE ?

ANNE-LAURE DELATTE - Depuis que la BCE a commencé sa politique non-conventionnelle, elle subit des pressions pour en sortir. C'est une politique non-orthodoxe, ultra-accommodante, et certaines personnes pensent qu'il faut la durcir par crainte de voir l'inflation s'envoler.

Pour bien comprendre cette question, il faut discerner deux points. D'une part, cette politique va à l'encontre de la conception allemande, le fameux ordolibéralisme, qui préconise la stabilité de la politique monétaire. Changer de régime, comme l'a fait Mario Draghi, en passant d'un régime orthodoxe à un régime ultra-accommodant n'a pas vraiment plu aux Allemands. D'autre part, l'Allemagne a moins besoin de cette politique que le reste de l'Europe. En abaissant les taux et en déployant l'assouplissement quantitatif, l'objectif de Mario Draghi était de stopper les tensions sur les marchés, notamment des dettes souveraines, et ça a fonctionné.

Les pressions politiques contre cette stratégie sont présentes depuis le début, depuis le fameux "whatever it takes" de Mario Draghi en 2012. Plus le temps passe et plus ces pressions vont continuer. Sur le plan économique, on est encore loin des 2% d'inflation (l'objectif de la BCE est de maintenir l'inflation à un niveau inférieur mais proche de 2%, NDLR), changer de régime ne presse pas. En revanche, plus on va avancer, plus la croissance va reprendre et plus il y aura des pressions économiques.

Francfort répète que l'environnement macro-économique est bon. Si la conjoncture est favorable, pourquoi entretenir tant de suspense ?

Même si on est en période de croissance, la zone euro traverse encore une période d'incertitude, notamment concernant les bilans bancaires comme en Italie. L'appréciation de l'euro par rapport au dollar est une incertitude normale. En revanche, le risque souverain, couplé au risque bancaire, ce qu'on appelle le "doom loop" ou cercle vicieux, est une préoccupation centrale. Tant qu'elle ne sera pas résolue, la BCE n'aura pas les mains libres pour se permettre de relever les taux.

En réalité, Mario Draghi joue avec les marchés. Il ne peut pas dire: "on va mettre tout de suite fin à notre politique" parce que les bilans ne sont pas encore nettoyés. A l'inverse, il ne peut pas dire: "on va la maintenir ad vitam æternam" au risque d'être accusé de favoriser l'aléa moral en relâchant la pression sur les Italiens pour nettoyer leurs bilans bancaires.

Anne-Laure Delatte CEPII

Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du CEPII.

Dans ce cas, est-ce vraiment le bon moment d'annoncer la sortie du QE ?

Tout dépend comment on se place. Les taux très bas pèsent sur la profitabilité des banques car les rendements sont assez bas. La politique de la BCE a fait dégringoler les profits bancaires. Donc du point de vue d'un investisseur, c'est le moment. D'un point de vue macro-économique, on n'est pas encore complètement sorti de la crise et en l'absence d'une politique fiscale commune en zone euro, la politique monétaire est un des seuls outils à disposition pour éviter une nouvelle crise.

Le conseil des gouverneurs semble inquiet principalement des effets sur l'euro de cette annonce. Les exportations de la zone euro pourraient-elles être pénalisées ?

Si les banques centrales de la zone euro arrêtent de racheter des titres, la masse monétaire va se contracter. Moins de titres en euros en circulation conduit mécaniquement à une hausse du prix de l'euro. Forcément, la monnaie unique risque de s'apprécier, mais il reste encore de la marge. Aujourd'hui l'euro s'échange à 1,19 dollar, mais entre 2014-2015 il avait grimpé à 1,40 dollar.

Par contre, il faut avoir à l'esprit que les effets ne seront pas les mêmes selon les pays. D'après nos calculs au CEPII, le taux de change d'équilibre en France est légèrement surévalué. Autrement dit, à 1,20 dollar nos produits sont trop chers, quant à la Grèce et le Portugal, ils sont bien trop chers. A l'inverse, l'Allemagne est toujours sous-évaluée. Il faudrait que l'euro se rapproche de 1,30 dollar pour qu'elle soit à l'équilibre. Les Pays-Bas sont également dans cette situation. En clair, on partage la même monnaie, mais on n'a pas les mêmes prix, la même compétitivité. Globalement, toute l'Europe serait plutôt désavantagée par une appréciation de l'euro.

Jean-Christophe Catalon
Commentaires 4
à écrit le 07/09/2017 à 14:18
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Et portant il va bien falloir patienter que les bilans se nettoient de leur bad bonds issus des subprimes ... . Autrement on repartira sur une crise bancaire européenne et un tarissement des financement de l'innovation. Cela doit-être fait même si...

à écrit le 06/09/2017 à 22:07
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"Moins de titres en euros en circulation conduit mécaniquement à une hausse du prix de l'euro." ce qu'il ne faut pas lire... le type doit être resté à la théorie quantitative de la monnaie...

à écrit le 06/09/2017 à 19:07
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On sors pas indemne d'un QE et la dame qui dit laissez-nous le temps de nettoyer les bilans!!!!! Quelle fumisterie....

à écrit le 06/09/2017 à 15:44
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On comprend que le sujet est complexe. On comprend qu'il est nécessaire de -parfois- simplifier pour garder une certaine intelligibilité au message. On comprend ... Je trouve, quand même, étonnant que l'on ne parle pas de critères -priorisés, n...

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