Un Land allemand transmet des noms d'évadés fiscaux à la Grèce

Le ministre régional de Rhénanie du Nord Westphalie a transmis à Athènes 10.588 noms de Grecs détenant des comptes en Suisse. Une bonne nouvelle pour Alexis Tsipras.
La Grèce va pouvoir poursuivre plus de 10.000 évadés fiscaux potentiels en Suisse.

L'Allemagne veut aider la Grèce à traquer ses évadés fiscaux en Suisse. Le gouvernement grec a ainsi reçu une base de données de 10.588 comptes en Suisse qui seraient détenus par des ressortissants helléniques et qui pourraient avoir été utilisés pour éviter l'impôt en Grèce. Ce sont à présent les services du vice-ministre des Finances hellénique en charge de ce dossier, Trifon Alexiadis, qui vont devoir éplucher ces données. Les données transmises concerneraient des personnes physiques et des entreprises pour des dépôts s'élevant à 4 milliards d'euros.

Bonne nouvelle pour Alexis Tsipras

La balle est désormais dans le camp d'Athènes. C'est une occasion rêvée pour le gouvernement dirigé par Alexis Tsipras de se distinguer de ses prédécesseurs et de donner un contenu à sa volonté d'apparaître encore, malgré les mesures d'austérité qu'il doit accepter, comme un parti de lutte « contre l'oligarchie. » L'évasion fiscale des Grecs fortunés est importante et est un des principaux problèmes posés au pays. Lors de la crise du premier semestre, les sorties de capitaux ont été massives, affaiblissant le secteur bancaire et la position du gouvernement hellénique. Le premier ministre grec va, s'il s'empare de ce dossier, pouvoir prouver qu'il a bel et bien entrepris de « détruire l'ordre ancien » comme il l'a promis encore lors de la campagne électorale des élections du 20 septembre.

Le précédent de la liste Lagarde

L'enjeu est donc important pour le gouvernement grec. D'autant que les gouvernements précédents n'ont pas réellement montré de volonté de s'emparer sérieusement du problème. En 2010, Christine Lagarde, alors ministre des Finances française, avait transmis une liste similaire de 2.062 noms d'évadés fiscaux potentiels détenant des comptes auprès de la filiale suisse de HSBC. Mais cette liste a longtemps été « oubliée » par les autorités grecques, puis, lorsqu'elle est réapparue, elle avait semblé tronquée.

Ces données allemandes sont donc une aide politique et financière bienvenue pour Alexis Tsipras, qui cherche actuellement à renforcer sa position alors qu'il doit faire accepter des mesures très douloureuses. Mais il est intéressant de préciser que ce n'est pas « l'Allemagne » qui rend ce service à la Grèce, mais le ministre des Finances social-démocrate du Land de Rhénanie du Nord Westphalie, Norbert Walter-Borjans.

Norbert Walter-Borjans, un adversaire décidé de l'évasion fiscale

Ce spécialiste des Finances, qui est ministre régional depuis 2010, est un adversaire décidé de l'évasion fiscale. Confronté à la nécessité d'équilibrer les comptes de son Land, le plus peuplé et économiquement le plus important d'Allemagne, Norbert Walter-Borjans s'est lancé dans une croisade contre ceux qui tentent d'échapper à l'impôt avec une détermination remarquée. Dès 2010, il accepte de payer pour récupérer des CD de données dérobées par des employés de certaines banques suisses et comprenant des noms d'évadés fiscaux allemands. Son administration dépense alors près de 10 millions d'euros pour les 5 premiers CD. Sa démarche fait scandale dans la Confédération et gène alors considérablement le pouvoir fédéral, notamment Wolfgang Schäuble, et les Länder conservateurs. Il a alors été baptisé l'Anti-Schäuble ou le "Robin des Bois du Rhin." Reste que l'effet est remarquable. Alors que les données affluent, les évadés fiscaux prennent peur et se pressent de régulariser leur situation pour éviter de payer de lourdes amendes. Le fisc allemand récupère alors plusieurs milliards d'euros d'impôts dus.

Un des acteurs de la fin du secret bancaire suisse

Norbert Walter-Borjans apparaît alors comme un des principaux adversaires de Wolfgang Schäuble. C'est notamment lui qui, fin 2012, s'oppose avec force à l'accord fiscal avec la Suisse qu'a signé le ministre fédéral des Finances. Cet accord appelé « Rubik » permettait d'annuler les dettes fiscales des déposants en Suisse moyennant le paiement d'une taxe forfaitaire. La Confédération aurait voulu l'imposer, via le poids de l'Allemagne, comme un modèle pour lui permettre de sauvegarder le secret bancaire. Mais Norbert Walter-Borjans mène la charge contre un accord qui lui ferait perdre des créances fiscales considérables : il arrive à arracher le rejet par ses collègues des Länder au Bundesrat, la chambre qui représente les Etats fédérés à Berlin. En décembre 2012, l'accord n'est donc pas ratifié. La Suisse doit changer de stratégie et si, aujourd'hui, le secret bancaire suisse est réduit pour les déposants étrangers, on le doit en grande partie à ce ministre régional allemand.

Des propositions iconoclastes contre l'argent liquide...

Norbert Walter-Borjans ne fait guère dans le détail face à l'évasion fiscale. En décembre 2012, il avait proposé de rendre imprescriptible la fraude fiscale. Plus récemment, en juillet dernier, il s'est attaqué à un des bastions de la culture financière allemande : l'argent liquide. Il a proposé d'introduire outre-Rhin une limite haute pour les transactions en liquide, comme en Italie (où elle est à 1.000 euros) et en France (actuellement à 3.000 euros). Une atteinte à une tradition allemande où le paiement en liquide est très ancré, y compris pour les sommes importantes. Environ 80 % des achats en Allemagne se font en liquide. La Bundesbank s'était alors opposée à cette proposition, voyant dans l'argent liquide une « défense » des déposants contre les taux négatifs de dépôts de la BCE.

... mais plus que jamais d'actualité

Mais Norbert Walter-Borjans était peut-être, là aussi, un précurseur. Alors que la BCE réfléchit à des taux de dépôt négatifs encore plus négatifs, une limite à l'usage de l'argent liquide devrait permettre d'empêcher la thésaurisation du numéraire pour la mettre à l'abri de ces taux négatifs. Une thésaurisation qui va à l'encontre du but visé par la BCE : favoriser une reprise de l'inflation. Par ailleurs, après les attentats de Paris, la responsabilité de l'argent liquide a été mise en lumière par Michel Sapin. Or, selon Bild Zeitung, les armes utilisées le 13 novembre ont été achetés... en Allemagne. Un accord européen sur cette question de la limitation de l'usage du liquide devient donc urgent.

Une volonté de coopération avec la Grèce

Sur le dossier grec, Norbert Walter-Borjans s'est aussi distingué nettement. Alors que Wolfgan Schäuble, durant le printemps, rejetait toutes les listes de réformes proposées par le gouvernement grec, y compris celles qui concernaient la lutte contre l'évasion fiscale et encourageaient ainsi la fuite des capitaux, la Rhénanie du Nord-Westphalie envoyait à Athènes, à la demande du gouvernement, des experts pour faire profiter l'administration grecque de leur expertise dans ce domaine. Cette coopération dès le mois de mars a tranché avec le « blocus » des autorités fédérales jusqu'à la « capitulation » d'Alexis Tsipras le 13 juillet. En transmettant ces données à Athènes, le ministre régional rend ici un grand service au gouvernement grec, alors que la volonté de l'Eurogroupe de contraindre la Grèce à un régime drastique reste d'actualité.

Commentaires 13
à écrit le 28/11/2015 à 7:13
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Masquer son incompétence et ses dépenses démentielles par une chasse aux sorcières ? C'est pas nouveau ? Ça rappelle d'ailleurs l'inquisition ? Comme quoi, l'histoire est bien un éternel recommencement et l'incompétence de ses dirigeants un dog...

à écrit le 27/11/2015 à 18:51
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Ce que Romaric Godin nous révèle à propos de la position de Schaüble me paraît être un écho très intéressant au dernier livre de Frédéric Lordon sur la grande violence morale qui a régné pendant les négociations de l'été dernier entre Tsipras et l'Eu...

à écrit le 27/11/2015 à 17:53
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d'ou l'intérêt d'une vrai harmonisation fiscale en europe ( il est vrai que la suisse n'en fait pas parti) mais ce n'est pas demain la veille ! cette europe est vouée à l'échec ,elle se fait en dépit des peuples mais je salue l'initiative du ministre...

à écrit le 27/11/2015 à 17:35
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Merci au journaliste de rappeler que les pays ne sont que des prisons pour leurs citoyens :D Certaines prisons sont plus douces que d'autres, mais cela n'en reste pas moins des prisons.

à écrit le 27/11/2015 à 16:07
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Belle initiative si elle est suivie d'effets par le gouvernement grec, mais ce ne serait bien entendu qu'un premier pas, car c'est une réforme totale du système qui est nécessaire :-)

à écrit le 27/11/2015 à 15:31
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Il est amusant de constater que la chaîne low-cost (et low-quality) teutonne Lidl, fortement implantée en Grèce, ne paye quasiment aucun impôt dans ce pays et fait sortir, grâce à des prouesses comptables pour le moins osées (euphémisme !), la quasi ...

à écrit le 27/11/2015 à 14:29
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encore des grecques qui vont partir !

le 27/11/2015 à 15:25
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Ce ne serait pas plutôt "des Grecs" en français correct ???

à écrit le 27/11/2015 à 13:27
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Comme c'est étrange ! Nous n'avons pas encore eu le bonheur de lire les com' éclairés de l'immigré (clandestin ?) de service. Celui qui a été obligé de fuir son pays d'origine (suite à une escroquerie, une fraude fiscale... ou pire ?) et qui s'est ré...

le 27/11/2015 à 15:19
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merci pour votre com plein d'humour, mais aussi très juste. Pour vivre réellement en Grèce, je ne peux effectivement que déplorer les mensonges proférés par l'intervenant que vous mentionnez. Simple bêtise de sa part ? Propos malsains d'un être aigri...

le 27/11/2015 à 16:47
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@bizarre et consorts: 1) je ne suis pas étonné que des gens sans moralité ne comprennent pas que d'autres puissant respecter leurs obligations contractuelles quoiqu'il leur en coûte. 2) travailler à l'étranger n'a rien de clandestin pour les gens qua...

à écrit le 27/11/2015 à 12:52
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Encore une fois cela fais doucement rire. Même si il y a 4 milliards d'argent qui n'aurait pas été imposé, cela représenterait peut être 1 milliard de manque à gagné pour un état qui a une dette de combien ?? Faut il le rappeler! donc encore une fois...

le 27/11/2015 à 14:24
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Vous avez raison ! Les états doivent dépenser moins ou - encore mieux - différemment ! L'enseignement, la culture et les prestations sociales/de santé doivent être les réelles priorités dans des sociéés qui se disent "avancées". Mais à quoi peut-on s...

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