Vers une "bataille du cash" entre la BCE et l'Allemagne ?

Commerzbank réfléchirait à stocker de l'argent liquide pour échapper aux taux négatifs. Une menace sérieuse, mais qui fait oublier la source du problème du secteur financier allemand.
Les banques allemandes vont-elles stocker des billets pour éviter les taux négatifs de la BCE ?

C'est un avertissement direct envoyé à Mario Draghi. Selon des informations dévoilées mercredi 8 juin par l'agence Reuters, la banque allemande Commerzbank « réfléchirait » à stocker de l'argent liquide pour contourner le taux de dépôt négatif imposé par la BCE. Ces discussions seraient allées jusqu'à impliquer les autorités allemandes. Cette information n'a pas été directement démentie par Commerzbank qui s'est contenté de déclarer à Reuters qu'elle « ne stockait pas de liquidités pour le moment ». Ce qui laisse évidemment toutes les possibilités ouvertes pour l'avenir...

Les taux négatifs

Depuis le 11 juin 2014, la BCE frappe les dépôts au-delà des réserves obligatoires d'une taxe. Celle-ci est passée de 0,1 % à 0,4 % depuis le 16 mars dernier. Cette taxe n'a pas pour fonction, comme on le dit souvent, de favoriser l'usage direct de ces réserves pour les prêts à l'économie. Les fonds déposés auprès de la BCE sont de la monnaie de banque centrale ou « monnaie de base » et ne peuvent qu'être utilisés dans un « circuit fermé » incluant les banques centrales et banques commerciales. Les banques de la zone euro sont ainsi incitées par la BCE à « compenser » ces taux négatifs auxquelles elles peuvent difficilement échapper par des prêts à l'économie et notamment aux secteurs de l'économie les plus risquées, là où les taux sont encore largement positifs. Le coût du dépôt est alors annulé par le gain réalisé par le prêt.

Le problème du secteur financier allemand

Mais, en Allemagne, cette démarche provoque une levée de bouclier. L'Allemagne est un pays d'épargne. L'immense excédent extérieur courant de la première économie d'Europe, qui frôle les 9 % de son PIB prouve assez cet excès d'épargne: c'est le signe d'une économie qui produit plus qu'elle ne consomme . Or, pour récupérer cette épargne immense, qui s'accroît encore avec l'augmentation des revenus outre-Rhin, les banques et les assureurs allemands rivalisent de promesses de rendement. Les taux négatifs rendent ces promesses de moins en moins réalisables, d'autant que l'excès d'épargne rend sa marge de manœuvre pour « compenser » plus étroite. Il suffit d'observer l'évolution récente des dépôts et des prêts outre-Rhin pour s'en convaincre. Les prêts aux ménages et aux entreprises non financières allemands ont progressé entre janvier et avril 2016 de 18,2 milliards d'euros tandis que les dépôts ont progressé de 28,6 milliards d'euros. Le système financier allemand est donc sous pression : elle doit rémunérer davantage d'épargne à des taux élevés tout en devant payer les dépôts auprès de la BCE.

Commerzbank, banque semi-publique

On comprend donc la panique du système financier allemand. Et du gouvernement fédéral qui sait, par ailleurs, la faiblesse structurelle du secteur bancaire allemand. L'information de Reuters est donc clairement une menace adressée à la BCE l'enjoignant de ne pas aller plus avant dans les taux négatifs. Car Commerzbank n'est pas une banque allemande comme les autres. Elle a été sauvée en janvier 2009 par l'Etat fédéral qui a financé la fusion avec la troisième banque du pays, la Dresdner Bank. Aujourd'hui encore, Berlin possède 25 % de son capital. Bref, la discussion sur les moyens de contourner la politique de la BCE ne peut donc ne faire sans impliquer directement le gouvernement fédéral. Or, Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand est un adversaire ouvert et répété des taux négatifs. La semaine dernière, il a encore avancé que la politique de la BCE causait « des problèmes extraordinaires » aux banques allemandes.

De l'euro lourd, très lourd...

La menace est-elle crédible ? Les banques commerciales ne peuvent pas être rationnées en billets de banque. Elles pourraient donc théoriquement demander à la BCE de changer leur « monnaie de base » taxée à 0,4 % en argent liquide non taxé. C'est clairement le talon d'Achille du taux négatif. Mais attention, l'argent liquide n'est pas réellement « gratuit » : il prend de la place et pose des problèmes de sécurité considérables. Reuters a calculé que un stocke de 2 milliards d'euros en billets de 200 euros pèserait 11 tonnes. Le lieu de stockage nécessaire serait donc important et coûteux. L'assureur allemand Ergo a fait part de demandes des banques concernant le coût éventuel d'une assurance sur des stockages d'argent liquide. La question consiste cependant à savoir si ce coût dépasse ou non la taxe de la BCE sur les dépôts.

Pourquoi la BCE prend la menace au sérieux

A priori, les expériences étrangères montrent que l'on peut aller encore plus loin dans les taux négatifs. En Suisse, le taux est de - 0,75 % tandis qu'en Suède, il est de - 1,10 %. Mais les conditions sont différentes : la pression de l'excès d'épargne est moins forte et les taux de refinancement sont aussi négatifs, alors qu'ils sont à zéro en zone euro, ce qui réduit l'impact négatif de la taxe sur les dépôts. Du coup, la menace allemande n'est peut-être pas une menace en l'air. Et cette information parue mercredi vient sans doute enfoncer le clou. Si une banque semi-publique comme Commerzbank discute avec l'Etat fédéral de cette option, ceci signifie peut-être que Berlin envisage la possibilité de participer à la sécurisation du stockage et donc de faire baisser le coût de l'alternative « cash » aux taux négatifs. La BCE est donc prévenue : la ligne rouge est proche pour l'Allemagne. L'institution le sait sans doute et sa décision récente de rationner les billets de 500 euros en stoppant la production, malgré les cris d'orfraies venus d'Allemagne et de la Bundesbank n'est pas étrangère à cette situation. En réduisant la capacité d'accès aux plus grosses coupures, on rend la tâche du stockage plus difficile pour les banques...

La BCE au pied du mur

L'ennui, c'est que les taux négatifs n'ont pas réellement réussi pour le moment à remplir leur rôle. Le premier eût été de faire baisser l'euro, ce qui n'advient pas. Quant à la hausse du crédit, elle est réelle, mais insuffisante. La BCE n'a certes pas l'intention dans l'immédiat d'aller plus loin, mais si les nouvelles mesures de mars ne sont pas suffisantes, la question se posera. De même, si la croissance s'accélère en Allemagne, la pression pour une inversion du niveau des taux négatifs sera très forte. Car il se pourrait que cette croissance s'appuie à nouveau sur le modèle traditionnel de l'Allemagne, celui d'une croissance des exportations. Les chiffres du commerce extérieur allemand en avril sont assez préoccupants de ce point de vue : les exportations ont progressé de 3,8 % en un an et les importations sont restées stables. Autrement dit, l'Allemagne accroît encore son excédent d'épargne, rajoutant de la pression. Comment la BCE réagira-t-elle alors, prise entre la pression déflationniste et les menaces allemandes ?

Cacher la responsabilité allemande

Reste que ces manœuvres allemandes ont un fond politique évident. Il s'agit de faire porter la responsabilité de la situation à la seule BCE. Or, c'est bien le modèle économique allemand qui est le premier responsable. L'immense et grandissant excédent courant est la vraie malédiction de la zone euro, bien davantage que le déficit public français ou même que la dette grecque. Le refus de Wolfgang Schäuble de pratiquer une vraie relance budgétaire, notamment par des investissements massifs dans les besoins d'infrastructures pourtant évident réduit la demande de crédits outre-Rhin. Les rendements proposés par les banques allemandes ont les mêmes torts : elles favorisent l'épargne et réduisent les dépenses. Ce modèle économique basé sur une survalorisation morale de l'épargne et de l'excédent provoque naturellement un effet négatif sur les perspectives d'inflation et conduit la BCE à faire flèche de tout bois pour dissuader l'épargne.

Les taux négatifs sont donc la conséquence logique d'une Allemagne qui refuse de se réformer et d'engager un vrai rééquilibrage de son modèle en abandonnant réellement son modèle mercantiliste. Comme dans le cas grec, par exemple, les accusations allemandes visent avant tout à dissimuler sa propre responsabilité dans les dysfonctionnements de la zone euro. Et que l'on ne s'y trompe pas : comme dans le cas grec, l'Allemagne n'hésitera pas à saper toute solution raisonnable pour défendre ce qu'elle estimera être ses propres intérêts.

Commentaires 24
à écrit le 10/06/2016 à 14:54
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Encore une attaque de Romaric contre l'Allemagne (pardon sa politique). En résumé tous les problèmes viennent du modèle allemand.

à écrit le 10/06/2016 à 11:38
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Achetez de l'or les amis. Soros le fait aussi via les minières.

à écrit le 10/06/2016 à 9:51
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Quelle banque, entreprise voire particulier (si le taux des dépôts poursuivra sa course dans la zone négative...) est suffisamment fou pour placer son argent sur un compte pour être pénalisé ??? Vivent les safes et autres coffre-forts. La BCE a perdu...

à écrit le 09/06/2016 à 21:08
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Il n'y a pas beaucoup de publications en France (cf les idolâtres du "Point" !) où une certaine vérité sur L'Allemagne (et sa responsabilité sur la stagnation morbide de la zone Euro) peut se dire aussi clairement. Intellectuellement salutaire.

le 10/06/2016 à 8:13
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oui bravo à latribune

à écrit le 09/06/2016 à 19:50
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Voila pourquoi l'Union et l'Euro n'est plus viable. L'excédent budgétaire allemand n'est possible qu'en pratiquant un dumping social, fiscal sans parler des lois sur la compétitivité adoptées par Schroeder à l'époque. La France est inaudible et laiss...

à écrit le 09/06/2016 à 17:35
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...Article 50 du Traite de Lisbonne !

à écrit le 09/06/2016 à 17:07
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Les retraités sont une plaie dont l Europe ou le Japon auront bien du mal à se défaire... Même si je suis d'accord sur les problèmes posés par l'excédent allemand, je pense que nous en portons également la responsabilité. Nos différents gouverneme...

à écrit le 09/06/2016 à 17:02
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Si je comprends bien l'auteur critique l'allemagne qui fait du benef a un budget déficitaire et n'emprunte pas de l'argent snas limite. Je pense perso que c'est plutot un modèle à suivre et hautement plus sécurisé que la fuite en avant des autres pay...

à écrit le 09/06/2016 à 14:40
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Pour "couler" les banques, il faut que Draghi utilise le concept de la "monnaie hélicoptère"...

à écrit le 09/06/2016 à 14:28
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un boulet ce pays. c'est ce que vient de dire le US Treasury en mettant la Germanie sur une watch list.

le 09/06/2016 à 17:37
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La GB est un boulet, l'Allemagne est un boulet, la Pologne est un boulet... Conclusion ?

à écrit le 09/06/2016 à 14:25
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Mais comment nos assureurs vont pouvoir servir un taux positif sur les contrats d'assurance vie alors qu'ils paient pour placer nos sommes? risque sur le capital investi?

le 10/06/2016 à 5:36
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L'AMF a déja mis en garde les assureurs sur le montant des intérets versés.Ils sont en plein système de PONZI depuis des années déja.Nouveauté ils commencent a investir dans l'immobilier pour s'en sortir

à écrit le 09/06/2016 à 14:02
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"L'immense et grandissant excédent courant est la vraie malédiction de la zone euro, bien davantage que le déficit public français" => C'est une affirmation qui déculpabilise.... mais qui est loin d'être vraie !! "rééquilibrage de son modèle en a...

le 09/06/2016 à 15:18
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Vous oubliez, un très faible taux de pauvreté. C'est vrai, ces gens ne comptent pas.

le 09/06/2016 à 16:51
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Oui, oui! On comprend bien que pour les Allemands, le modèle de référence c'est l'usure...

le 09/06/2016 à 17:12
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J'adore que vous donniez des leçons de morale incomplète. Vous oubliez, comme la majeure partie de la presse audio-visuelle de ce pays, de préciser qui est le responsable de ce désastre financier, à savoir le seul parti de FRANCE en faillite, au pouv...

le 09/06/2016 à 17:41
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Ha bon ? y-a des pauvres et des precaires en Allemagne ?.... je croyais que les Allemands roulaient tous en BM...

à écrit le 09/06/2016 à 13:51
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"Depuis le 11 juin 2014, la BCE frappe les dépôts au-delà des réserves obligatoires d'une taxe. Celle-ci est passée de 0,1 % à 0,4 % depuis le 16 mars dernier" Non, ce n'est pas un taxe mais un intérêt.Lorsqu'une banque escompte un titre de créanc...

à écrit le 09/06/2016 à 13:38
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Je suis un peu idiot, mais je ne comprends pas en quoi ce modèle allemand est si mauvais. Le système privilégie l'industrie exportratrice à la croissance interne, ce qui génère des emplois (car la compétitivité s'accroit puisque l'inflation est anémi...

le 09/06/2016 à 15:49
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Le problème, c'est que : 1) Pour qu'un pays puisse exporter indéfiniment, il en faut d'autres qui importent indéfiniment. Le solde constamment exportateur de l'Allemagne se fait forcément au détriment d'autres pays. 2) Pour qu'un pays puisse ex...

le 09/06/2016 à 19:03
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Merci beaucoup pour votre commentaire. Très instructif, très apprécié. Je suis d'accord que le système exportateur allemand ne peut fonctionner qu'au détriment de pays importateurs comme nous. Le modèle n'est pas universel, mais c'est un modèle qui ...

à écrit le 09/06/2016 à 13:02
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C'est Juncker qui détient la clef: les traités prévoient une procédure punitive pour excédent excessif (hé oui!) ce qui est clairement le cas de l'Allemagne. Puisque ça fait 8 ans qu'on nous rabat les oreilles que les Allemands aiment les règles et l...

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