L’histoire des banques françaises, un éternel recommencement : la loi bancaire de 1984 consacre la banque universelle (4/5)

Il y a un an, le 26 juillet 2013, la loi de séparation des activités bancaires était promulguée en France, avec pour objectif d’isoler les activités les plus spéculatives des banques. Une leçon tirée de la crise financière de 2008, mais, en réalité, toute l’histoire des banques françaises depuis le 19ème siècle s’est construite autour de ce dilemme de la spécialisation – ou non – des activités bancaires. Un débat au centre duquel se trouve le financement de l’économie. Quatrième volet de notre série : les décrets Debré-Haberer de 1966-1967, puis la loi bancaire de 1984, portent le concept de banque universelle sur les fonts baptismaux.
Christine Lejoux
En 1999, deux banques commerciales, BNP et la Société générale, se disputent les faveurs d'une banque d'affaires, Paribas. REUTERS;

Plein-emploi, augmentation des salaires, du niveau de vie... Non, il ne s'agit pas d'une fiction mais de la France des Trente Glorieuses. De 1945 au premier choc pétrolier de 1973,  le pays connaît une forte croissance économique, couplée à une ouverture grandissante vers l'extérieur. Une expansion dont le financement va bientôt poser problème, compte tenu de la structure du système bancaire hérité de l'après-guerre. En effet, depuis la loi du 2 décembre 1945, les banques de dépôt - qui collectent l'abondante épargne liquide des Français - n'ont pas le droit d'utiliser cette ressource de court terme pour financer les crédits à long terme dont les entreprises ont besoin.

 Quant aux banques d'affaires, elles disposent certes de l'autorisation d'octroyer des prêts sur plus de deux ans, mais l'épargne longue des ménages est insuffisante, et il leur est interdit de collecter les dépôts à vue [exigibles à tout instant ; Ndlr] des particuliers, ce qui limite leur capacité à accorder des crédits. Cette problématique devient d'autant plus aiguë que l'Etat - qui pouvait distribuer jusqu'à 50% des encours de crédit jusqu'au milieu des années 1960 - entend se désengager en partie du financement de l'économie, dans une logique libérale.

 La distinction entre banque de dépôt et banque d'affaires est supprimée

 Afin de dynamiser le crédit bancaire, le gouvernement procède à une première "déspécialisation" du secteur, avec les décrets Debré-Haberer de 1966 et 1967, du nom du ministre de l'Economie et des Finances de l'époque, Michel Debré, et de son conseiller technique Jean-Yves Haberer, futur patron du Crédit lyonnais de 1988 à 1993. Les banques de dépôt sont ainsi autorisées à collecter des dépôts de plus de deux ans, et à prendre des participations dans des entreprises industrielles jusqu'à 20% du capital de ces dernières, contre 10% auparavant. De leur côté, les banques d'affaires ont désormais la possibilité de collecter les dépôts à vue des particuliers, et d'ouvrir des agences.

 Ce mouvement de décloisonnement du crédit sera parachevé par la loi du 24 janvier 1984 : portée sur les fonts baptismaux par Jacques Delors, ministre de l'Economie et des Finances du gouvernement Mauroy, elle supprime toute distinction entre banques de dépôt et banques d'affaires. Sonnant ainsi le glas de la doctrine d'Henri Germain, le fondateur en 1863 du Crédit lyonnais, qui prônait une séparation stricte entre banques de dépôt et banques d'affaires, afin que l'épargne liquide des ménages ne se trouve pas immobilisée dans des crédits à long terme, rendant de facto son remboursement impossible au cas où une panique financière provoquerait des retraits d'argent massifs.

 Jean-Yves Haberer versus Henri Germain

Cet enterrement de la doctrine Germain consacre la naissance de la banque universelle à la française, sur le modèle allemand, à savoir une banque tournée aussi bien vers les petits déposants que vers les entreprises et les marchés financiers. Ou, plus exactement, sa renaissance car le concept de banque mixte ou de banque "à tout faire" était celui qui prévalait en France avant... le krach de l'Union générale en 1882, qui avait inspiré à Henri Germain sa doctrine sur la séparation des activités bancaires.

 En tout état de cause, à partir de 1984, voilà donc les banques de dépôt françaises autorisées à faire de la banque de financement et d'investissement - ou banque d'affaires -, et réciproquement. Ironie du sort, "lorsque Jean-Yves Haberer s'installe dans le bureau de Henri Germain en 1988, le Crédit lyonnais (...) est réglementairement autorisé, comme toutes les banques, à exercer avec la plus grande liberté l'ensemble des activités bancaires", souligne Jean-Philippe Bidault, dans son livre "Si la banque m'était contée."

 Le Crédit agricole amorce le mouvement en rachetant Indosuez

 C'est surtout à partir du milieu des années 1990 que le mélange des genres va s'opérer, lorsque la crise économique, la crise financière asiatique et la concurrence croissante des banques étrangères - avec l'avènement de géants comme UBS/SBS - vont donner aux banques françaises des raisons supplémentaires de se diversifier et de grossir. L'une des premières banques de dépôt à succomber aux charmes du conseil en fusions et acquisitions, du pilotage d'introductions en Bourse et autres lucratives activités de marché n'est autre que le Crédit agricole.

 Née en 1894 de la volonté de l'Etat de développer le financement de l'agriculture, la banque verte commence à s'éloigner de ses origines en rachetant en 1996 au groupe Suez la banque d'affaires Indosuez (ancienne banque de l'Indochine), qui travaille pour les grandes entreprises internationales alors que la clientèle du Crédit agricole est essentiellement constituée de PME.

 Des banques françaises parmi les premières du monde

 Les Banques populaires, créées en 1917 pour favoriser le financement des petits entrepreneurs et des artisans, feront elles aussi le grand écart en 1998, en rachetant Natexis, axée sur le financement des grandes entreprises. L'année suivante, deux autres banques commerciales, la Société générale et la BNP - née en 1966 de la fusion entre la Banque nationale pour le commerce et l'industrie (BNCI) et le Comptoir national d'escompte de Paris (CNEP) - se disputent les faveurs de la banque d'affaires Paribas.

 Moins de dix ans plus tard, bâties sur le modèle de la banque universelle, BNP Paribas et la Société générale n'étaient autres que les 14ème et 20ème banques mondiales, avec des capitalisations boursières respectives de 80 milliards et de 64 milliards d'euros. C'était en février 2007, moins de six mois avant l'éclatement de la crise des subprimes (crédits hypothécaires américains risqués).

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>>> Demain : le projet de réforme Barnier, ou quand la doctrine Germain a un goût de revenez-y (5/5)

Christine Lejoux

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Commentaire 1
à écrit le 26/05/2018 à 13:30
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Excellente série d'articles, très intéressante.

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