A Bordeaux, les fintech françaises réfléchissent à leur avenir

Les startups spécialisées dans les technologies financières ont organisé leur première conférence nationale, à Bordeaux, ce mercredi 7 octobre. Leur avenir à cinq ou dix ans semble devoir passer par une spécialisation de leurs activités.
Christine Lejoux
Bordeaux Fintech, le premier colloque national des fintechs fraçaises, s'est déroulé le mercredi 7 octobre à l'espace Darwin.

A l'extérieur, une friche industrielle en cours de réhabilitation, des hangars taggués. A l'intérieur, la sculpture d'un squelette d'éléphant et des rampes de skateboard. L'espace Darwin à Bordeaux, sur la rive droite de la Garonne, n'a rien du Palais Brongniart, l'ancien temple de la Bourse de Paris, ni des autres lieux pompeux ou sévères où les acteurs de la finance ont coutume de se réunir. Il n'est donc pas étonnant que les fintechs françaises - ces startups spécialisées dans les technologies financières, qui font le pari de bousculer la finance traditionnelle - aient choisi cet endroit pour le moins original comme théâtre de leur première conférence nationale.

Une manifestation qui devait initialement se dérouler en petit comité, lorsque ses organisateurs - la société de conseil financier Montaigne Conseil, l'agence de marketing digital Digitall Conseil et le magazine FintechMag - ont commencé à réfléchir à son organisation, au printemps dernier. Mais ce sont finalement quelque 25 fintechs et 400 personnes qui se sont retrouvées à l'espace Darwin, ce mercredi 7 octobre.

 Il faut dire que le secteur des fintechs, encore quasiment inconnu du grand public il y a un an, se développe à vitesse grand V en France, dans le sillage des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Suffisamment, en tout cas, pour que ces jeunes pousses commencent à se structurer, avec, par exemple, la création en juin dernier de l'association professionnelle France Fintech, destinée à faire entendre plus facilement leur voix dans le débat public. Dans le même esprit, l'heure est venue, pour le secteur, de dresser un premier bilan de sa jeune activité et de réfléchir à ses perspectives de développement.

 La définition du mot « fintech » en débat

 Un exercice moins aisé qu'il y paraît, tant l'appellation de « fintech » recouvre des profils différents. Au point que, pour les acteurs mêmes du secteur, la définition du mot « fintech » est tout sauf évidente. Pour Audrey Stewart, co-fondatrice de Origin Investing, une plateforme Internet de financement des PME qui verra le jour en janvier 2016, « il est assez dommage qu'on ne parle que de révolutions d'usages et non de révolutions technologiques, au sujet des fintech. » « Le bitcoin et l'Internet ne sont pas nés de la demande des utilisateurs. Ce sont avant tout des révolutions technologiques, qui ont ensuite généré des usages », renchérit Gonzague Grandval, co-fondateur de la plateforme d'échanges Paymium. Au contraire, pour Jérôme Traisnel, président de SlimPay, spécialisée dans les paiements par prélèvement, « il n'y aurait pas de révolution technologique s'il n'y avait pas de changements d'usage. »

 Le dirigeant en veut pour preuve la propre activité de sa startup, basée sur les paiements par abonnements, lesquels résultent « du passage d'une économie de la possession à une économie du partage. » Un passage dont les sites de streaming musical par abonnement comme Deezer ou Spotify constituent l'une des meilleures illustrations. Pour Stéphanie Savel, à la tête de la plateforme d'investissement en capital Wiseed, les fintechs, c'est un peu tout cela : « Ce mouvement est né d'une tendance sociétale, celle de l'économie collaborative, ainsi que d'une certaine désaffection des particuliers pour l'intermédiation bancaire depuis la crise financière de 2008, sans oublier les nouvelles technologies venues bouleverser les modes opératoires des banques. »

 Vers une spécialisation des fintechs

 Si les différents acteurs ne s'accordent pas sur la définition de ce qu'est une fintech, tous sont en revanche convaincus du potentiel du secteur. Un secteur encore très petit, que Philippe Dardier, le patron de la plateforme Alternativa, compare volontiers à « une nuée de moustiques qui piquent les banques. » Stéphanie Savel en convient, tout en soulignant que l'activité de Wiseed double chaque année, à l'image de l'ensemble du secteur du crowdfunding. Dans la même veine, la plateforme de prêts aux PME Lendix ne vient-elle pas de voir une seule et même société - une foncière familiale - collecter 1 million d'euros auprès de prêteurs particuliers et institutionnels, en une seule tranche ? « Au début, je pensais que Lendix attirerait essentiellement des TPE (très petites entreprises). Or nous séduisons des sociétés matures, des ETI (entreprises de taille intermédiaire) comme les pressings 5 à Sec et Alain Ducasse Entreprise », se réjouit Olivier Goy, le fondateur de cette plateforme de prêt.

Le potentiel du crowdlending semble tel que 70 plateformes ont vu le jour en France, depuis l'entrée en vigueur d'une réglementation ad hoc pour le financement participatif, le 1er octobre 2014. C'est déjà trop, estime Olivier Goy. Certes, avec 80 milliards d'euros de nouveaux prêts bancaires aux TPE et aux PME chaque année, le marché potentiel est trop énorme pour qu'une seule plateforme de crowdlending subsiste, à terme. Il n'en reste pas moins que l'effet volume est indispensable pour atteindre le point mort, dans ce métier. Aussi le marché du crowdlending s'achemine-t-il vers une concentration inévitable au cours des cinq à dix prochaines années », pronostique Thomas de Bourayne, directeur général de Credit.fr. A moins que les plateformes ne parviennent à se spécialiser sur des niches, à, l'image, par exemple, de Lendosphère, axée sur le financement de projets de développement durable. Plus globalement, la spécialisation est peut-être l'avenir des fintechs.

 « Dans cinq ou dix ans, le marché sera beaucoup plus complexe. Tout comme le modèle de banque généraliste - qui fait tout, de la banque de détail à la banque de marché - sera de plus en plus difficile à tenir, nous devrons, nous-mêmes, développer des verticaux, des spécialités »,

prévient Jérôme Traisnel, le patron de SlimPay. « Dans le domaine des paiements, nous sommes déjà dans une deuxième phase, celle de la spécialisation, avec des paiements mobiles, des paiements récurrents, etc. », approuve Octave Oger, co-directeur France de la fintech londonienne GoCardless.

 En France, un écosystème favorable aux fintechs

 Londres, vue comme l'eldorado européen des fintechs... Il est vrai que près de 800 millions de dollars ont été investis dans les fintechs britanniques entre 2008 et 2014, contre 13 millions seulement pour leurs concurrentes françaises, selon le cabinet Accenture. « Nous avons tout en France pour devenir les champions de la fintech. Nous sommes déjà numéros un sur le crowdlending en Europe Continentale, nous bénéficions d'un écosystème favorable», affirme néanmoins Thomas de Bourayne, chez Credit.fr. Une opinion partagée par Jérôme Traisnel, de SlimPay, qui souligne la multiplicité des aides à la création d'entreprises existant en France, ainsi que la capacité des investisseurs à répondre aux besoins de financement des startups.

 Mais quid d'un environnement fiscal autrement moins favorable que de l'autre côté de la Manche ? « Je ne crois pas qu'on puisse construire un marché uniquement sur des mesures fiscales. En revanche, nous avons de la pédagogie à faire auprès des épargnants français, compte tenu de leur aversion au risque », rétorque Stéphanie Savel, présidente de Wiseed. Philippe Dardier, chez Alternativa, abonde dans ce sens : « Tous les acteurs de la finance, anciens et nouveaux, doivent réconcilier les Français avec la prise de risque. » A la clé, un bas de laine de 4.000 milliards d'euros, les Français étant parmi les épargnants les plus « fourmis » d'Europe.

Christine Lejoux

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Commentaires 2
à écrit le 08/10/2015 à 14:35
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Génial ! On se gargarise, on se réunit, et tout ce qu'on obtient, c'est de l'argent public. Un seul choix rationnel: se tirer de ce pays.

à écrit le 08/10/2015 à 10:26
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Sans oublier l'intervention de Philippe Gaborieau, fondateur d'Happy Capital, la seule plateforme d'equity crowdfunding sur Bordeaux qui a pour particularité de récolter des fonds uniquement auprès de particuliers. https://happy-capital.com/

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