Quand le capital-investissement encourage… l’innovation responsable

Un nombre croissant de fonds intègrent des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs stratégies d’investissement. Et ce, sous la pression de leurs propres investisseurs, les fonds de pension et autres fonds souverains craignant pour leur réputation… et leurs finances.
Christine Lejoux
Le thème de l'innovation responsable, intégrant respect de l'environnement, protection des clients et des consommateurs, s'invite désormais dans le débat public. REUTERS.

Innover, oui. Mais pas n'importe comment. A l'heure où l'Etat français s'interroge sur les moyens de favoriser le financement des entreprises innovantes, la notion d'innovation responsable s'invite dans le débat public.

"Certes, les progrès techniques et technologiques de ces dernières années ont été fulgurants. Mais cela a-t-il un sens, si nous poursuivons parallèlement, et en toute connaissance de cause, la destruction de notre environnement ?",

s'interrogeaient ainsi Alexandre Asselineau et Marc Ingham, enseignants-chercheurs à l'école de commerce ESC Dijon Bourgogne, dans un point de vue publié dans La Tribune Hebdo, le 13 décembre dernier, et intitulé "L'innovation responsable, un modèle économique pour l'avenir." Dans la même veine, ce sujet d'une innovation intégrant respect de l'environnement et protection des collaborateurs comme des clients a inspiré à l'école d'ingénieurs Mines ParisTech la création, en 2011, de l'Observatoire pour l'innovation responsable, un think tank qui "défend l'idée qu'innover implique aujourd'hui de faire face aux externalités imprévues engendrées par l'innovation."

Un nombre croissant de fonds investissent sur la base de critères ESG

 Certes, il est sans doute bien moins aisé pour les petites entreprises de développer une innovation responsable, que cela ne l'est pour les grands groupes, tenus depuis la loi Grenelle 2 du 24 avril 2012 de publier chaque année un rapport sur leur politique de RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Mais start-up et PME n'ont pas le choix : pour trouver des capitaux, il leur faut désormais prouver leur implication en matière de RSE. Pourquoi ? Parce qu'un nombre croissant de fonds de capital-investissement prennent en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) avant de décider d'investir dans une entreprise.

"Quand nous démarrons les due diligences [vérification des données (financières, juridiques...) de l'entreprise dans laquelle le fonds s'apprête à investir ; Ndlr], nous effectuons désormais systématiquement une due diligence sur les critères ESG, et nous utilisons 150 indicateurs pour cela",

a témoigné Virginie Morgon, directeur général de la société de capital-investissement Eurazeo, le 17 septembre, lors de la troisième conférence annuelle ESG organisée par l'Afic (Association des investisseurs pour la croissance) et le cabinet d'audit PwC. Par exemple, avant d'investir 285 millions d'euros dans la chaîne espagnole de prêt-à-porter Desigual, cette année, les équipes d'Eurazeo ont "regardé très attentivement la problématique de la gestion de la supply chain (chaîne logistique)", souligne Virginie Morgon. En effet, le drame du Rana Plaza - cet immeuble qui, au Bangladesh, s'était effondré sur des ateliers textiles, provoquant la mort de plus de 1.000 personnes - est dans toutes les mémoires. Car, au-delà de la tragédie humaine, cette catastrophe a eu des conséquences négatives pour les multinationales qui employaient les ouvriers de ces ateliers, tant sur le plan financier que sur celui de la réputation.

 Les signataires de la charte PRI gèrent 45.000 milliards de dollars d'actifs

 "Le  risque de réputation, c'est la problématique ESG la plus importante pour nos investisseurs", indique Philippe Poletti, membre du directoire d'Ardian France (ex Axa Private Equity). En effet, si les sociétés de capital-investissement - qui, dans l'opinion publique, ne riment pas vraiment avec "social" - accordent une importance croissante aux critères ESG, c'est parce que les fonds de pension et autres investisseurs institutionnels qui leur confient de l'argent sont devenus très attentifs à l'éthique des affaires, après la multiplication des procès pour corruption et des scandales financiers, ces dernières années. De fait, les 1.262 signataires de la charte PRI (Principes pour l'investissement responsable), élaborée à l'initiative des Nations Unies, représentent aujourd'hui 45.000 milliards de dollars d'actifs sous gestion, dans le monde, contre 4.000 milliards seulement lors du lancement de cette charte, en 2006. "Nous avons constaté une évolution très rapide de l'intérêt des investisseurs institutionnels pour l'ESG", confirme Bertrand Pivin, associé au sein de la société de capital-investissement Apax Partners.

 "En 2013, lorsque nous avons levé un fonds, 50% des investisseurs ont abordé la question de l'ESG, devenue pour eux une thématique majeure en peu de temps", renchérit Philippe Poletti. Idem chez KKR :

"Nous avons récemment réalisé notre premier investissement en Afrique, plus précisément en Ethiopie, dans le domaine de l'agriculture. Nos investisseurs ont voulu savoir si les employés de ces fermes étaient bien traités, de quelle façon nous comptions contribuer aux soins de santé des communautés de cette région",

raconte Ludo Bammens, responsable en Europe des affaires publiques du fonds américain. Et de donner un autre exemple : "Les sociétés de notre portefeuille investissant de plus en plus dans le digital, nous sentons que la protection des données de leurs clients devient une problématique croissante pour nos investisseurs." Plus question, donc, d'innovation sans RSE. D'autant que l'une n'est pas antinomique de l'autre : "Nombre d'entreprises voient désormais la RSE comme un facteur d'innovation", assure Emilie Bobin, "senior manager" chez PwC.

Christine Lejoux

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Commentaire 1
à écrit le 19/09/2014 à 7:59
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ou un peu plus manipés au nom de faux emblèmes et autres fadaises sociétales?

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