Complémentaire santé : bataille pour 4 millions de salariés

Le premier janvier 2016, 4 millions de salariés aujourd'hui dépourvus de « mutuelle » seront couverts par leur employeur. Qui les assurera ? La bataille est lancée. Elle sera rude et laissera des traces dans le modèle traditionnel de la complémentaire santé.
Dès l'automne 2012 , François Hollande avait annoncé son intention d'étendre la complémentaire santé à tous les salariés

Ont-ils vraiment mesuré la portée de leur décision ? Les négociateurs de l'accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013, dont Patrick Bernasconi, pour le Medef, et Véronique Descaq pour la CFDT, en pointe sur le sujet, ont-ils réellement envisagé toutes les conséquences de la « complémentaire santé pour tous », qu'ils ont alors décidé d'instaurer ? L'intention était louable : faire en sorte que les quelque 4 millions de salariés dépourvus de « mutuelle », selon l'expression courante (c'est-à-dire d'une complémentaire santé), soient désormais couverts par leur entreprise. Une question de justice, aux yeux de la CFDT, qui tenait à cette réforme. Comme l'avait promis le gouvernement, cet accord entre partenaires sociaux a donc désormais force de loi : le premier janvier 2016, tous les employeurs devront offrir une assurance complémentaire santé à leurs salariés. À défaut, ils se trouveront dans l'illégalité.

L'intention était certainement louable, mais le résultat ? Ce qui se dessine, alors que tous les assureurs se lancent dans la bataille pour séduire les employeurs contraints de choisir une assurance - une véritable guerre des prix a déjà commencé, comme le souligne le délégué général de Malakoff Médéric, Guillaume Sarkozy, dans l'interview qu'il nous a accordée -, c'est un bouleversement du marché, comme prévu, mais aussi, ce qui l'était moins, un changement de modèle pour des salariés a priori non concernés, les plus nombreux, ceux qui étaient déjà assurés via leur entreprise : ils risquent d'en être beaucoup plus de leur poche qu'avant.

LE GRAND BASCULEMENT VERS LE COLLECTIF

Le marché de l'assurance complémentaire santé va être bouleversé : sur les 4 millions de salariés concernés, il se dit que seuls 400.000 n'ont aucune couverture complémentaire. Pour les autres, l'immense majorité, qui avaient souscrit individuellement un contrat santé auprès d'une mutuelle ou d'un assureur, c'est un passage de l'assurance individuelle à une protection collective, dans le cadre de leur entreprise. On n'imagine pas, en effet, les voir conserver leur contrat actuel, alors que leur employeur leur offrira une complémentaire santé équivalente. Pour une partie du monde de l'assurance, ce basculement du marché de l'individuel vers le collectif est synonyme de menace. Les nombreuses mutuelles misant jusqu'à maintenant sur les adhésions individuelles vont perdre beaucoup de leurs clients. Et c'est donc une bonne part d'un gâteau considérable - l'assurance individuelle santé représente un chiffre d'affaires d'une vingtaine de milliards d'euros par an - qui risque d'échapper aux assureurs spécialisés dans ce créneau. Plus précisément, compte tenu des professions indépendantes ou des retraités, qui devront toujours s'assurer eux-mêmes - la loi les a un peu oubliés -, les experts estiment entre 4 et 5 milliards d'euros le montant d'activité qui va basculer de l'individuel vers le collectif.

Tous les acteurs vont tenter de se convertir à l'assurance collective. Mais beaucoup de mutuelles ne sont pas suffisamment armées, loin de là, pour vendre l'assurance santé à une clientèle, nouvelle pour elles, celle des patrons de PME-TPE - ils seraient près de 600 000 -, qui n'avaient pas jugé bon jusqu'à maintenant d'offrir une complémentaire à leurs salariés. Ces mutuelles vont essayer coûte que coûte de les séduire.

« Elles jouent leur survie, relève un expert du secteur. Mais les assureurs traditionnels ne vont pas se laisser faire, tout comme les institutions de prévoyance, spécialistes de l'assurance collective. La bataille va être rude. »

D'autant plus rude que les banquiers s'en mêlent, qui aimeraient prendre une part de ce nouveau marché. Le Crédit agricole a ainsi annoncé la mise en place de moyens considérables pour récupérer une partie du gâteau de l'assurance santé collective.

Qui va l'emporter ? Quand Guillaume Sarkozy décrit les acteurs qui survivront à la bataille, il évoque « ceux qui ont un réseau de distribution fort, offrent de la prévoyance, ont déjà une expertise de l'assurance collective, et travaillent sur une offre de services ». Il décrit là une institution de prévoyance bien connue, celle qu'il... dirige, Malakoff Médéric. Qui serait donc le seul opérateur sortant vivant de la bataille ? Évidemment non.

Mais, s'ils se montrent volontiers critiques à l'égard des institutions de prévoyance (IP), ces groupes gérés par les partenaires sociaux (AG2R, Malakoff Médéric, Humanis...) accusés de profiter indûment de cette proximité avec les syndicats, les assureurs traditionnels les voient tirer leur épingle du jeu, alors même que la législation n'a pas évolué en leur faveur.

Jusqu'en 2013 en effet, les partenaires sociaux pouvaient « désigner » un opérateur à toutes les entreprises d'une branche, lesquelles n'avaient plus le choix. Les IP profitaient largement de ce système, mais il est désormais prohibé, suite à une décision du Conseil constitutionnel. Cela étant, si la liberté de choix des entreprises est désormais totale, les partenaires sociaux peuvent toujours recommander un opérateur. Une capacité d'influence non négligeable, sachant que de nombreux patrons de TPE ou PME se montrent très indécis.

« Les IP ont pour atout ont une bonne maîtrise de l'assurance collective, leur seul handicap, c'est parfois l'absence de réseau de distribution », estime un assureur.

Beaucoup d'entre elles surmontent cet obstacle en nouant des alliances : ainsi, Malakoff Médéric s'est allié à la Mutuelle générale pour profiter de son réseau. Du coup, selon certaines estimations, près de la moitié des salariés nouvellement couverts pourraient l'être finalement via un opérateur (IP ou mutuelle) recommandé par les partenaires sociaux, négociant pour le compte de leur branche.

CONCURRENCE FÉROCE SUR LE RAPPORT QUALITÉ/PRIX

Quant à l'offensive des banquiers, beaucoup d'assureurs ne veulent pas croire à son succès. Vendre un contrat santé individuel, c'est relativement simple, les banquiers y sont parvenus ; mais l'assurance collective est beaucoup plus complexe, font valoir les assureurs. L'aspect juridique est fondamental dans un accord collectif, beaucoup moins standardisé qu'une assurance de base vendue à la chaîne au guichet de la banque. Bref, il faut disposer d'un savoir-faire qu'un conseiller d'agence bancaire n'a évidemment pas.

Certains assureurs sont plus inquiets de cette offensive bancaire.

« Avant qu'ils ne s'installent sur le marché, j'ai souvent entendu dire que les banquiers ne sauraient pas vendre les complémentaires santé en individuel, rappelle ainsi Jean-Louis Mercier, directeur général adjoint d'Harmonie Mutuelle, première mutuelle française. Pourtant, ils ont pris 13 à 15 % du marché. Ils parviendront à un niveau équivalent en assurance collective : l'argument de la complexité qui les freinerait ne me paraît pas juste. Pour une TPE, il s'agira d'un contrat standard. »

Un contrat standard, offrant souvent le minimum légal de couverture, correspondant au panier de soins ANI, défini par le gouvernement. Contraints de souscrire une complémentaire santé, que beaucoup assimilent à une taxe, les patrons de TPE vont souvent se tourner vers cette couverture « a minima ». Quant aux salariés, ils auront souvent moins qu'avec un contrat individuel. « Dans un contexte économique difficile, il va falloir expliquer aux dirigeants qu'ils vont devoir prendre en charge une partie du coût de la complémentaire santé de leurs salariés, et aux salariés que le contrat ne couvrira pas leurs ayants droit », souligne Jean-Louis Mercier.

À ce niveau de couverture, aucun dépassement d'honoraire n'est pris en charge, lunettes et soins dentaires sont remboursés « a minima ». Un contrat réduit au minimum, mais à quel tarif ? La guerre des prix évoquée par Guillaume Sarkozy est déjà lancée.

« J'ai vu 19 offres ANI, dont les prix allaient de 13,50 euros à plus de 20 euros, avec une concentration autour de 18-20 euros, confie Jean-Louis Mercier. En dessous de 20 euros, on ne couvre pas les frais de distribution : il faut en moyenne trois rendez-vous pour mettre en place une complémentaire santé quelle que soit la taille des entreprises. Notre contrat de base sera au juste niveau tarifaire, sans dumping, pour permettre une pérennité des cotisations. »

Comment des mutuelles peuvent-elles proposer des contrats à partir de 17 euros par mois, à l'instar de la Macif ? C'est que le modèle de la complémentaire santé est en passe de changer radicalement, et ce pour tous les salariés. Si elle est traditionnellement indolore ou presque pour l'employé - les 50 % qu'il paie sont prélevés à la source, sur la fiche de paie, autrement dit, peu visibles - cela va être de moins en moins le cas. Explication : la nouvelle norme proposée par les assureurs, à destination de patrons de TPE qui assimilent souvent la complémentaire santé à une taxe - ils chercheront évidemment à la minimiser -, est un contrat de base financé comme c'est l'usage à 50-50 par l'employeur et le salarié, le tout figurant sur la fiche de paie, mais désormais assorti d'options supplémentaires, à la discrétion du salarié. Des options entièrement payées par les employés, via un prélèvement direct sur leur compte en banque.

C'est exactement ce que vient d'annoncer la Macif, qui propose six formules de contrat. Pour résumer, l'offre de base, au prix de 17 euros par mois, qui risque d'être retenue par de nombreux patrons de TPE, ne prévoit pas le remboursement des médicaments dits de confort, limite à 30 euros le prix d'une monture de lunettes et à 35 euros le verre simple, s'aligne sur le tarif de la Sécurité sociale pour les frais dentaires et ne couvre aucun dépassement d'honoraires. Un contrat qui correspond peu ou prou au minimum légal.

Si le salarié veut plus, il peut bien sûr choisir une meilleure formule, entièrement à ses frais, en retenant telle ou telle option. Et la Macif espère bien voir ces options choisies par un grand nombre d'adhérents, car c'est la condition de la rentabilité du contrat. « Dans l'hôtellerie restauration, nous avons vu que la moitié des salariés avaient choisi d'améliorer le contrat de leur entreprise », expliquent les dirigeants de la mutuelle.

Ce système d'options quasi obligatoires, payables par l'employé, risque de ne pas concerner seulement les salariés de TPE et PME. Ceux des entreprises plus importantes, qui ont toujours bénéficié d'une « mutuelle » pourraient être aussi concernés. Car une grande majorité des contrats existants sont susceptibles d'être révisés. Nombre des « mutuelles » offertes actuellement aux salariés sont trop généreuses, eu égard à la réglementation concernant les nouveaux « contrats responsables », entrant en vigueur le 1er avril (pour tous les contrats nouvellement signés). Un décret a fixé de nouveaux plafonds de remboursement s'agissant des lunettes, des dépassements d'honoraires... Des adaptations seront nécessaires. Ainsi, à l'heure actuelle, 22% des « mutuelles » couvrent les dépassements d'honoraires au-delà de 100% du tarif de la Sécurité sociale, soit la limite, à terme, des nouveaux contrats. En outre, beaucoup de « mutuelles » dépassent les nouveaux plafonds en matière d'optique. Selon la nouvelle norme, le prix d'une monture ne peut plus dépasser 150 euros. De nombreuses couvertures santé complémentaires vont donc devoir être ajustées à la baisse. Sous peine de voir ces contrats taxés à hauteur de 14% (au lieu de 7% pour ceux déclarés « responsables ») , ce qui rendrait leur prix prohibitif.

Mais la réglementation a parfois bon dos. À la faveur de la révision des garanties, imposée par l'entrée en vigueur des contrats responsables, beaucoup de patrons offrant déjà une « mutuelle » à leurs salariés ont envie de mieux « maîtriser », comme il est dit poliment, le coût du contrat de leur collectif santé. Autrement dit, de faire des économies, en révisant à la baisse les garanties offertes. Libre aux employés de payer par eux-mêmes des options s'ils jugent les nécessaires, sans participation de l'employeur. Ainsi, beaucoup de contrats incluent aujourd'hui la couverture du conjoint.

À l'avenir, cela va être de moins en moins le cas. Le salarié, s'il veut continuer de bénéficier de cet avantage, devra donc souscrire une option. De même, s'il veut voir ses lunettes ou prothèses dentaires bien remboursées. Bref, le principe de la mutuelle financée de façon quasi indolore pour le salarié, car figurant intégralement sur la feuille de paie - que peu d'entre eux sont allés jusqu'à décortiquer - pourrait avoir vécu. Et les salariés bien couverts jusqu'à présent vont devoir payer plus, pour une garantie parfois moindre.

BEAUCOUP DE GAGNANTS MAIS PLUS DE PERDANTS...

Cela n'était assurément pas l'optique initiale des promoteurs de la complémentaire santé pour tous (les salariés), à savoir, d'abord, la CFDT. La centrale syndicale pourra mettre en avant les 400.000 salariés qui ne disposaient jusqu'alors d'aucune couverture complémentaire, les 3,6 millions contraints de la payer entièrement de leur poche, et qui pourront bénéficier d'une participation de l'employeur à hauteur de 50 %. Mais, si la tendance au désengagement des employeurs se confirme, tous les autres risquent d'être peu ou prou perdants.

En outre, avant même que l'ANI entre en vigueur, le gouvernement avait décidé de faire payer plus d'impôt aux Français afin de la financer. Objectif : réduire le coût pour les finances publiques de la complémentaire santé pour tous. En effet, les sommes versées par les employeurs au titre des « mutuelles » sont à la fois déductibles de l'assiette des cotisations salariales et du résultat imposable. Et, côté salariés, la cotisation n'est pas soumise à l'impôt sur le revenu. D'où un manque à gagner de 2 milliards d'euros pour les finances publiques, à compter de 2017.

Le gouvernement a largement anticipé cette échéance, d'un point de vue fiscal. Depuis l'année dernière, les salariés paient de l'impôt sur le revenu sur la participation de leur employeur. Soit une taxation supplémentaire des salariés à hauteur de 1 milliard d'euros.

« Cela fait cher de la réforme, pour seulement 400.000 personnes réellement non couvertes », commente un assureur.

En matière sociale, comme ailleurs, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres...

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Commentaires 13
à écrit le 16/02/2015 à 23:38
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a quand un sujet sur les batailles pour les postes d'administrateurs des centaines de nouvelles mutuelles ainsi crées? Voilà qui doit en faire des postes pour syndicalistes méritants?

à écrit le 16/02/2015 à 13:34
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Comment passer de la sécurité sociale vers l'insécurité sociale. C'est bien de la destruction de la protection sociale et du collectif, dont il s'agit. Même la droite n'aurait pas réussi à faire passer cette privatisation partielle de la sécurité s...

à écrit le 16/02/2015 à 0:06
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Le gouvernement va t-il souscrire lui aussi des complémentaires pour les fonctionnaires, ou seuls les privilégiés du privé en bénéficieront?

à écrit le 15/02/2015 à 20:01
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La "mutuelle" obligatoire va faire baisser un peu le salaire, c'est pas gratuit. Les retraités, généralement, ils continuent avec la mutuelle qu'ils avaient quand ils étaient salariés, et voient alors leur cotisation doubler !

à écrit le 15/02/2015 à 19:31
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Phase 2 du plan: retrait progressif de la sécu qui ne servira qu'à protéger ses salariés fonctionnaires. Les Mutuelles vont augmenter leur couverture en compensation et les cotisations aussi. Bref, ce système communiste est au bout du rouleau. Bientô...

à écrit le 15/02/2015 à 17:40
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Cette réforme n'est pas innocente et visait à l'origine deux objectifs : - offrir aux IP et Mutuelles proches du PS et du monde "fraternel" sur un plateau la quasi totalité du marché par le biais des désignations de branche ce qui a été cassé par le...

le 16/02/2015 à 0:03
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Vont-ils rivaliser avec les assureurs adeptent de l’hyper complexité, rendant impossibles les comparaisons, et spécialistes du mensonge par omission?

le 16/02/2015 à 9:42
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Parce que vous croyez que les mutuelles dédiées uniquement à la fonction publique sont des philanthropes ? et vous Gringo (ou élu PS) quel est votre métier, vous faites du bénévolat ou de l'humanitaire ?

à écrit le 15/02/2015 à 14:39
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Merci à hollande. Grâce a sa super loi, ma mutuelle rembourse de moins en moins l optique et le dentaire. C est cela la vision égalitaire du ps, moins de remboursement pour les gens qui travaillent, plus de droits pour ceux qui ne branlent rien.

le 16/02/2015 à 0:05
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Les 4 millions de salariés qui n'avaient pas de complémentaires ne "branlent rien"? Vous n'avez honte de rien?

le 16/02/2015 à 9:17
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L'optique et le dentaire, c'est du "confort". On voit que vous ne vous êtes pas encore frotté à l'audioprothèse ! Surprise.... 100% de la Sécu sur les lunettes, ça fait 14 euros, attention aux affichages, 100% ça fait 'bien'.

à écrit le 15/02/2015 à 14:39
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Grâce à la complémentaire obligatoire les socialistes ont réussi là où le MEDEF a échoué: la destruction du CDI et du CDD longue durée.

à écrit le 15/02/2015 à 14:14
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et voila ! encore du bon pognon pour les copains coquins qui vont s'en mettre plein la poche genre guillaume sarkozy

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