Jérôme Kerviel contre la Société Générale : suivez le procès minute par minute

Poursuite de la deuxième semaine d'audience pour le procès de Jérôme Kerviel contre la Société Générale, qui a commencé mardi 8 juin. La septième journée a tourné autour de l'audition de deux membres de l'Autorité de contrôle prudentiel des banques et des assurances, avec en point d'orgue l'audition d'Alain Declerck, qui a été le supérieur direct de Kerviel au "desk Delta One" de la Société Générale jusqu'au début 2007. Suivez les débats minute par minute avec notre envoyé spécial Benjamin Jullien.

Deuxième semaine du procés de Jérome Kerviel. Suivez en direct le compte-rendu de l'audience de ce mercredi et retrouvez également le compte-rendu de la sixième journée d'audience, le compte-rendu de la cinquième journée d'audience, le compte-rendu de la quatrième journée d'audience le compte-rendu de la troisième journée d'audience, le compte-rendu de la deuxième journée d'audience et le compte-rendu de la première journée d'audience, ainsi que le résumé de toute cette affaire en diaporama animé.

Début de la septième audience.


13h35 - Querelle autour d'une demande de pièce.

L'audience commence par un débat sur une demande de pièce effectuée vendredi dernier (14 juin) par la défense. Celle-ci a demandé à la Société Générale de fournir une copie de la "base tampon" dans laquelle étaient stockées les transactions fictives de Kerviel, ainsi que des disques durs et des messageries des supérieurs N+1 à N+3 de l'ancien trader accusé d'avoir fait perdre 4,9 milliards à la banque. "Puisque la SocGen prétend jouer la transparence, qu'elle le fasse jusqu'au bout !", attaque Me Metzner, l'avocat de Kerviel.

Me Reinhart (SocGen) : "il semblerait que la défense demande que l'instruction soit relancée. Les confrères de Me Metzner qui défendaient le prévenu avant lui avaient fait la même demande sur la base tampon en janvier 2009. Le juge avait alors rendu une ordonnance estimant que les informations nécessaires ont déjà été fournies par la banque. Vous voyez qu'à l'évidence, la défense cherche à retarder la manifestation de la vérité. Je rappelle qu'au fur et à mesure des audiences, Kerviel a reconnu avoir pris des positions fictives, avoir pris des positions non couvertes sans informer sa hiérarchie, avoir menti à son courtier et au déontologue de la banque. L'ensemble de ces aveux fait que le débat va désormais être très juridique. La demande de la défense est tardive et retarderait l'issue de ce procès. Il ne nous apparaît donc pas utile d'y donner suite".

Me Jean Veil (SocGen) : "je comprends que la défense souhaite utiliser cette pièce pour démontrer que la banque a fait preuve de faiblesses dans ses contrôles. Mais la banque a reconnu ces faiblesses. D'ailleurs, il n'existe pas de fraude sans faiblesses. Ces faiblesses ont été admises par la banque lorsque ses dirigeants ont proposé leur démission, et lorsqu'elle a mis fin à certains contrats de travail, désigné un comité d'administrateurs ad hoc, publié le rapport Green, s'est abstenue de faire appel de la sanction CB [blâme et 4 millions d'euros d'amende, Ndlr]. Ces faiblesses ont aussi été admises par Claire Dumas [qui représente la banque, Ndlr] pendant le procès. La requête de la défense n'a pour objet que de continuer à confisquer l'audience pour souligner ces faiblesses (...) Kerviel n'a pas été embauché comme testeur des systèmes de contrôle. Nous avions des faiblesses, nous les avons admises, mais ce sont des problèmes civils et administratifs, pas pénaux. Et ces faiblesses n'ont rien voir avec une incitation à frauder".

Le vice-procureur, Philippe Bourion, appuie cette position.

Me Metzner : "ai-je saisi le tribunal de quelque incident ou complément d'information que ce soit ? Claire Dumas a déclaré à l'audience : "si vous voulez ces pièces, nous vous les donnerons". C'est une simple demande dont j'adresse copie au tribunal". Il souligne que les positions du juge d'instruction ne sont "pas figées". "La Société Générale veut jouer la transparence, qu'est-ce que ça coûterait de faire envoyer ces éléments ici par voie électronique, cela prendrait une demi-heure. Dans ce dossier, la curiosité semble déranger la partie civile. Certains des disques durs saisis et mis sous scellés n'ont même pas été ouverts, c'est la SocGen qui a choisi les pièces utilisées dans le dossier d'instruction.
Je m'engage à y passer le week-end et à présenter les éléments qui nous semblent intéressants sans demander le moindre complément d'information ni le moindre délai. Pourquoi la transparence vous fait-elle si peur ? Pourquoi Claire Dumas propose-t-elle à la barre de fournir ces documents pour ensuite refuser de le faire ?"

Me Veil : "il me semble qu'au regard des textes de la Cnil [Commission nationale informatique et liberté, qui encadre les pratiques concernant les données personnelles, Ndlr], le contenu des messageries est confidentiel et ne peut être communiqué que dans le cadre d'une information judiciaire, certainement pas entre confrères, ce qui constituerait un délit. Je ne voudrais pas obliger Me Metzner à prendre un avocat, qui serait nécessairement moins compétent que lui...

- si c'est toi, oui", lui rétorque Me Metzner.


14h - "j'ai commencé à faire des spec pour flaguer le produit en out, pour pouvoir saisir un rebate..."

L'audience entre dans le vif du sujet avec une discussion sur les fausses informations fournies par Kerviel pour justifier ses transactions fictives et dissimuler ses positions non autorisées, ce qui est susceptible de constituer le chef d'accusation de faux et usage de faux, l'un des trois retenus contre le prévenu aux côtés de l'abus de confiance et de l'introduction frauduleuse de données dans un système informatique.

Le président interroge Kerviel, qui a remis la cravate rose à rayures noires qu'il portait le jour de l'ouverture du procès, sur les différentes fausses déclarations, notamment par e-mail, qu'il a effectuées en réponse aux demandes de ses supérieurs et des services de contrôle de la banque. Estimant que Kerviel parle trop vite, le président lui lance : "si vous voulez être convaincant, prenez le temps de l'être".

Le président : "nous avons au dossier un e-mail que vous avez adressé à M. Rouyère (son N+2) en réponse à une question déclenchée par une demande d'information émise par les services de contrôle". Le président s'amuse des formulations obscures utilisées par Kerviel dans cet e-mail : "j'ai commencé à faire des spec pour flaguer le produit en out, pour pouvoir saisir un rebate..."

Kerviel assure que sa réponse ne pouvait abuser ce supérieur, qui connaissait le fonctionnement du produit concerné.

Kerviel argumente en s'appuyant sur les fameux "écarts de méthode" recensés par la banque, dont il affirme que le niveau était synonyme de prises de positions disproportionnées, ce que sa hiérarchie ne pouvait, selon lui, pas ignorer.


14h35 - Dans le public, on baille aux corneilles

Le président continue d'égrener le chapelet des opérations fictives et des fausses explications de Jérôme Kerviel. La discussion s'embourbe dans des méandres techniques, notamment sur les différents types de contreparties, réelles ou fictives, utilisées par l'ex-trader. Dans le public, certains commencent à bailler aux corneilles.


14h55 - Sauver les apparences

Kerviel explique de nouveau qu'il n'a donné de fausses justifications que pour sauver les « apparences », et non pas pour tromper réellement ses collègues.

- Ah, les fameuses apparences, ironise le président. Des apparences qui font de vous un faussaire ?
- Je ne sais pas...
- Puisque vous faites des faux...
- Ce ne sont que des e-mails, ils n'ont aucun impact financier, puisqu'il n'y a pas de sortie de cash, ni aucune valeur juridique.
- M. Kerviel qui se pose en juriste ! s'amuse le président.
Claire Dumas, qui représente la banque, se lève pour récuser formellement une nouvelle affirmation du trader selon laquelle une de ses explications était « incohérente ». L'intéressé maintient sa version.

15h15 - La contrepartie Baader

Kerviel assure que deux des opérations fictives qui lui sont reprochées, et notamment le passage d'une opération de la contrepartie Baader (courtier allemand) à la contrepartie Deutsche Bank le 18 janvier (dernier jour de présence de Kerviel à la banque avant sa mise à pied), lui ont été demandées par M. Paolantonacci, le responsable des risques de la banque entendu le 2ème jour du procès.


15h25 - La dernière opération fictive


Le président interroge Kerviel sur sa dernière opération fictive, le 18 janvier, celle qui a permis à la banque de détecter ses positions cachées. Ce jour-là, Kerviel, voyant que l?étau se resserre autour de son résultat caché de 1,4 milliard, saisit un achat-vente (fictif) de forward face à Baader, un courtier allemand dont la petite taille n?est pas cohérente avec le montant de l?opération. La banque est alertée par le risque de contrepartie énorme qui résulte de l?opération. On interroge donc Kerviel.

Kerviel assure de nouveau au juge que c?est M. Paolantonacci qui lui a dit de passer cette transaction sur la contrepartie Deutsche Bank, dont la solidité financière (en comparaison avec Baader) permet de réduire très sensiblement le risque de contrepartie (et donc le besoin de fonds propres) associé à la position.


15h45 - Un boulevard

Le président réagit parfois vivement aux affirmations de Kerviel.

A propos du laxisme supposé des contrôles :
« Vous y avez vu un boulevard ouvert devant vous ? parce que, vous n?y êtes pas allé de main morte. Et le boulevard menait droit dans le vide !
- C?est vrai, reconnaît Kerviel.
Plus tard, lorsque Kerviel dit s?être laissé entraîner, le président lui demande : « Est-ce que le propre d?un trader, ce n?est pas d?être calculateur, de man?uvrer ?
- il y a de ça.
- c?est essentiellement ça !

Le président : « la partie de cache-cache était permanente ! on vous imagine en train de bidouiller de faux mails, fébrilement, à votre bureau, pour essayer de trouver une réponses aux questions qu?on vous pose. Ca ne cade pas avec l?image de quelqu?un qui travaille avec le soutien de sa hiérarchie?
- Je remarque que dès que ma position est passée en gain latent, à partir de juillet, les services de la banque m?ont posé beaucoup moins de questions, ce qui m?interpelle.
- Ca ne devrait pas vous interpeller si vous pensez que la banque était consentante, ça devrait vous sembler logique?

Kerviel maintient que ses opérations étaient contrôlées au quotidien : « bizarrement c?est quand les commissaires aux comptes arrivent qu?on vient me voir?
- Nerveusement ça devait être éprouvant ? lui demande le juge.


16h02 Un milliard disparaît

Kerviel affirme : « Plusieurs matins je suis arrivé au bureau et dans mon reporting j?avais un milliard de dépassement, tout le monde dans le service le voyait, et j?envoyais plus tard à l?équipe un reporting débarrassé de cette exposition au moyen d?une opération fictive, et personne ne se posait de question sur la disparition du milliard ».

L?un des deux magistrats assesseurs interroge Kerviel. Ce dernier assure que lors de la confrontation avec M. Rouyère, il a interpellé ce dernier en lui disant « Martial, tu étais au courant », mais que « bizarrement cette remarque n?est pas dans la transcription ».

La juge assesseur : « N?avez-vous pas voulu défier le système ?

- Non, ces pratiques sont un sport national dans les salles de marché »
Le procureur, M. Aldebert, l?interroge à son tour, lui demandant de répondre par oui ou par non.
- Avez-vous passé des opérations fictives ?
- Dans Eliot [la base de données interne qui recense les opérations de marché, Ndlr], oui.
- Avez-vous donné de fausses explications pour justifier vos opérations ?
- Des bobards pas crédibles, oui.
- Avez-vous confectionné des faux e-mails ?
- des e-mails, heu?oui.
- Avez-vous pris des positions hors mandat ?
- Elles étaient dans mon mandat quand je gagnais de l?argent, et elles n?y étaient plus quand je perdais.

Le procureur souligne que les trois chefs d?accusation lui semblent donc avérés.

Il revient ensuite sur les « bobards » de Kerviel, qui a, selon lui, « manipulé » ses interlocuteurs, n?hésitant pas à « faire du zèle » pour se faire passer pour un bon petit soldat. « Pour moi les mots que vous avez utilisés sont les mots d?un escroc, M. Kerviel », lui lance le procureur avant de préciser qu?il ne l?accuse pas d?escroquerie. Ce chef d?accusation n?a pas été retenu car il est établi que KErviel n'a pas touché d'argent dans l'affaire.

"Si la banque est d?accord, pourquoi continuer à « maintenir les apparences », de quelles apparences parlez-vous ?", demande le procureur.

Kerviel revient sur l?argument du procureur, selon lequel Kerviel n?a dit la vérité qu?une fois, lors de sa première opération spéculative en 2005 sur le titre Allianz. Il souligne qu?en guise d?avertissement, on l?a sermonné pour la forme, avant de doubler son objectif de résultat pour l?année suivante. « Si c?est votre vision d?un avertissement, je ne la partage pas », lance-t-il.
Kerviel revient sur le fait que ses supérieurs ont validé plusieurs fois un résultat journalier de plus d?un milliard d?euro.

Me Veil le questionne sur le fait qu?il a déclaré que tout le monde voyait ce qu?il faisait, alors qu?il affirme que les stratégies de trading sont secrètes : « Expliquez moi comment vos collègues pouvaient selon vous voir les ordres que vous passiez mais ne pas connaître vos stratégies, expliquez-moi cette incohérence
- Il ne suffit pas de voir la séquence des ordres d'un trader pour comprendre sa stratégie, explique Kerviel.
- Le tribunal appréciera, conclut Jean Veil.

Me Martineau l?interroge ensuite sur sa conscience des besoins en fonds propres, pour la banque, qui auraient découlé de ses positions si elles n?avaient pas été dissimulées. Il affirme que cela représente 20 milliards, pour un établissement pour le total des fonds propres était alors de 31 milliards. Kerviel conteste ce chiffre.


16h30 - "Cinq procureurs, cela fait beaucoup"


Me Valeanu, avocat de cinq actionnaires salariés constitués partie civile, interroge Kerviel.
Il attaque avec une pique à l?attention du parquet et des trois avocats de la banque, qui, de fait, ont jusqu?ici été plus actifs que le ministère public dans la conduite de l?accusation : "on a parfois un peu l?impression qu?il y a cinq procureurs dans la salle, cela fait un peu beaucoup". Puis il interroge Kerviel : "on parle souvent de "culture d?entreprise", celle de la SocGen était-elle simplement faire du fric ?

- Dans la salle des marchés, c?était le cas.
- On ne vous apprend pas l?esprit d?équipe ? Est-ce que parfois on évoquait la situation des autres employés de la banque ?
- Non, c?est un univers très fermé. Ce qui se passe à l?extérieur, on s?en fout.
- Donc, en fait, il y a les employés des activités de marché, et la piétaille qu travaille dans les agences?

Il reprend : "le slogan de la Socité Générale est "on est la pour vous aider", cela veut dire quoi pour vous ?
- Je ne peux pas vous répondre, mais je peux vous garantir que dans mes fonctions, ma seule mission était de faire du fric, pas d?aider les clients."


17h13 - Trois témoins

L?audience reprend après une courte suspension. Le tribunal va maintenant entendre trois témoins : deux membres de l?Autorité de contrôle prudentiel des banques et des assurances, qui ont participé à l?enquête menée par le régulateur (au moment des faits, la Commission bancaire, fusionnée depuis avec l?autorité de contrôle des assurances) ; puis Alain Declerck, qui a été, jusqu?au début 2007, le supérieur direct de Kerviel au "desk Delta One" de la Société Générale.

Jean-Laurent Moisson est inspecteur à l?Autorité de contrôle prudentiel (ACP). "Nous avons commencé nos investigations dans la banque le 25 janvier, avec un mandat bien précis : faire la clarté sur les circonstances des faits et déterminer si des défaillances, manquements ou carences pouvaient être mis en évidence dans le contrôle interne de la banque ; et non pas rechercher des responsabilités ou des complicités. Nous avons terminé nos investigations début mars, nos conclusions ont été soumises à la procédure contradictoire. La procédure s?est soldée par un blâme et une sanction pécuniaire de 4 millions d?euros. Nous avons notamment constaté une carence grave dans le dispositif de contrôle interne, qui méritait une sanction proche du plafond, qui était alors fixé à 5 millions d?euros [ce plafond a depuis été porté à 50 millions, Ndlr]. La Commission bancaire a tenu compte du fait que la SocGen avait déjà commencé à corriger ces problèmes, d?où le choix d?un montant inférieur au plafond".

Il explique qu?un tel montant de sanction était alors très rare, même si depuis le relèvement du plafond, une autre banque (L?Ecureuil) s?est vue infliger une amende de 20 millions. Une sanction liée à une autre perte de trading, de 750 millions, en octobre 2008, qui avait conduit à la démission des deux principaux dirigeants du groupe.


17h25 - "Des techniques assez habiles, mais qui provoquaient régulièrement des anomalies..."

J-L Moisson explique que le besoin réglementaire en fonds propres lié aux positions cachées de Kerviel aurait avoisiné 4 milliards, sur un total de 31 milliards au moment des faits. Il explique que la Commission bancaire (CB) a examiné le plan de remédiation mis en ?uvre par la banque (baptisé "Fighting back") et jugé qu?il remédiait effectivement aux failles mises en évidence par l?enquête.

Le procureur l?interroge : "les techniques utilisées par Kerviel ont-elle retardé la découverte de la fraude ?
- Ces techniques étaient assez habiles, mais elles provoquaient régulièrement des anomalies, repérées par les services de contrôle. Mais c?est plutôt les justifications de M. Kerviel qui n?étaient pas suffisament analysées par les équipes de contrôle. Si celles-(ci étaient allé pplus loin et pensé à une fraude au lieu de vouloir corriger le traitement des opérations, elles auraient compris que quelques chose n?allait pas.

Interrogé par le président, il précise : "ses méthodes n?étaient pas particulièrement sophistiquées ni imparables, d?ailleurs une fraude comparable, avec les mêmes techniques, avait été détectée au premier semestre 2007 dans la banque, même si elle portait sur des montants beaucoup plus faibles.

Me Veil : "avez-vous eu le sentiment d?avoir eu une collaboration pleine et entière de la Société Générale ?
- oui, on n?a pas eu le sentiment d?être entravés
- vous n?avez pas eu le sentiment que la banque cachait des choses ?
- non
- sur les raisons de la découverte tardive de la fraude, vous avez évoqué les insuffisances du contrôle permanent, notamment l?absence de limite portant sur les montants nominaux. Y avait-il à l?époque une obligation réglementaire de mettre en place de telles limites ?
- non, mais cela a été instauré depuis
- avez-vous déjà constaté d?autres situations de dépassement de limites dans les banques ?
- oui, mais on exige que ce soit contrôlé, or la SocGen avait des dépassements plus fréquents que les autres banques
- mais la SocGen n?est-elle pas plus active sur les marchés que d?autres banques ?
- je ne vois en quoi cela justifierait ces dépassements plus fréquents
- d?accord, concède Me Veil

Il interroge ensuite le témoin sur le parcours de Kerviel, passé par le "middle-office". "Son expérience professionnelle lui donnait effectivement une connaissance d?un certain nombre de circuits", déclare M. Moisson


17h40 - 1,4 milliard qui passe inaperçu

Me Metzner interroge à son tour le témoin (J-L Moisson). Il revient sur l?autre cas de dépassement des limites détecté début 2007 dans la banque, et qui a donné lieu à un rapport de l?inspection générale de la SocGen en juin 2007. Il lui fait confirmer qu?il ne s?agissait pas de Kerviel.

Le régulateur déclare qu?après cette affaire, la banque n?avait pas pris de mesures pour éviter ce genre de fraudes, du moins dans le secteur où travaillait Kerviel.

"Si on avait appliqué les conditions du rapport de l?inspection générale, peut-être qu?on n?en serait pas là aujourd?hui", déclare Me Metzner.

L?avocat revient sur la trésorerie de la banque. Un point essentiel pour la défense, qui estime que les mouvements erratiques du solde de trésorerie de Kerviel, passé de -2,5 milliards à +1,4 milliard au cours de l?été 2007, ne pouvaient passer inaperçu.

M. Moisson estime que la somme de 1,4 milliard détenue par Kerviel fin 2007 "peut passer inaperçue" au niveau global de la trésorerie de la banque.
"Donc on peut posséder 1,4 milliard et ne pas le savoir ?", interroge Me Metzner.
- si c?est fondu dans un ensemble d?éléments qu?on ne regarde que globalement, oui
- mais le contrôle de la trésorerie est un élément important ?
- certainement, et nous avons conseillé dans notre rapport de mieux la contrôler au niveau des traders et des équipes.
- quand vous débarquez le 25 janvier pou remplir votre mission, vous avez appris qu?il y avait 1,4 milliard de trésorerie en trop dans la banque, cela ne vous a pas surpris ?
- si. On nous a expliqué que la banque ne suivait sa trésorerie qu?au niveau global, et nous avons conseillé de changer cela."

Le témoin déclare ensuite que les services de contrôle n?auraient pas dû se contenter des réponses de Kerviel, mais creuser davantage. Il précise que pour la CB, les alertes de la Bourse allemande Eurex auraient dû être examinées par l?audit interne de la banque, et pas seulement par son déontologue, comme expliqué dans son rapport.

Me Metzner : "vous dites que la banque aurait du rapidement s?apercevoir que Kerviel était en dehors des clous ?
- tout à fait
- vous dites aussi que le supérieur aurait du contrôler les positions de Kerviel ?
- oui
- sur un base?mensuelle, ou annuelle ?
- plutôt quotidienne
- d?accord !

Me Metzner lit les conclusions du rapport de la CB : "l?évaluation annuelle de ce nouveau responsable [Eric Cordelle, arrivé au-dessus de Kerviel vers mars 2007, Ndlr], réalisée en novembre 2007, faisait ressortir des résultats financiers très favorables, mais aussi des carences très préoccupantes, notamment en matière de suivi et de contrôle des risques.

On a laissé en place quelqu?un qui ne contrôle pas, et un peu plus tard on s?étonne qu?il y ait des positions de 50 milliards ?
- nous avons aussi pointé les insuffisances du N+2, qui ne vérifiait pas bien le travail du N+1."
-
Me Metzner : "vous disiez aussi dans votre rapport qu?un suivi analytique plus attentif des flux de trésorerie aurait généré des alertes en février, mars juillet, août, novembre et décembre 2008
- effectivement, mais la banque ne suivait cela qu?au niveau global. Pourtan, le système permettait de connaître la trésorerie de M. Kerviel, au niveau du front office ça faisait partie des contrôles à effectuer."
Le rapport de la CB parlait de variations de la trésorerie de Kerviel "inexplicables au regard de son mandat."

Me Metzner : "arrivez-vous à comprendre qu?après avoir constaté que Kerviel avait fraudé en 2005, on ait relevé sa limite d?engagement en cours de séance (intra-day) de 1 à 5 millions ?"
Plus tard : "comment peut-on ne rien voir ou laisser faire pendant trente mois ?
- il y a des contrôles de positions qui n?étaient pas faits au niveau du N+1, il y a des clignotants qui se sont allumés, mais la philosophie sous-jacente de la maison à l?époque était de faciliter les opérations, ce qui a conduit à se satisfaire des explications de Kerviel sans aller assez loin dans les vérifications. C?est ce que nous avons pointé dans notre rapport".

Plus tard, le témoin déclare : "c?est clair que M. Kerviel, de ce point de vue, a permis à la banque de faire des progrès."

Me Metzner l?interroge ensuite sur la question des limites et de leur contrôle. Il répond : "il peut y avoir des contrôle automatiques pour éviter des erreurs de saisie, mais à l?époque il n?y avait pas souvent de limite en nominal.
- le créateur du "desk Delta One" est venu nous dire qu?à son époque, il y avait des limites en nominal. Que penseriez-vous d?une banque qui aurait désactivé ces limites ?
- je ne sais pas si ces limites ont été désactivées
- si elles étaient actives, et ensuite non, c?est qu?elles ont été désactivées, conclut Me Metzner.
La défense conteste ce point.
[Ndlr : le témoin a bien dit qu?il y avait à son époque des "limites en nominal", mais sans préciser s?il s?agissait de limites par ordre, ou sur le montant cumulé sur une séance]

Me Veil interroge à son tour le témoin. Il veut lui faire dire que la trésorerie n?est pas le résultat.

"Euh?a priori on n?a pas beaucoup de cash si on est en perte", estime M. Moisson.
Contrarié, Me Veil promet de revenir sur ce "sujet comptable assez simple", et fait savoir qu?il n?est "pas d?accord" avec ces propos.
- moi si !, jubile Me Metzner

Le tribunal entend ensuite, en coup de vent, un autre membre de l?ACP.

Me Metzner : "s?il n?y a ni appel de marge, ni "deposit" sur une opération de "forward", comme c?était le cas pour celles de Kerviel, c?est qu?une opération est fictive ?
- c?est qu?elle n?existe pas, oui."

 

18h28 - "Kerviel était très efficace, très travailleur"

Entrée d?un témoin clé, Alain Declerck, qui a été le supérieur de Kerviel sur le "desk Delta One" jusqu?au début 2007. Il a été mis en cause par la défense pour sa connaissance supposée des pratiques du prévenu. Il semble mal à l?aise et parle tout bas, ce qui provoque des protestations dans les rangs de la presse.

Il précise que Kerviel était jusqu'en 2005 "assistant trader", un poste du "middle office avancé", au sens où il est localisé avec les opérateurs du front-office

"Kerviel était très efficace, très travailleur, il m?a beaucoup aidé pour développer des outils de gestion, notamment des tableaux Excel [logiciel de tableur, Ndlr] permettant d?avoir une vision d?ensemble de nos positions. Il a créé des macros [qui s?apparentent à des programmes de calcul insérés dans le tableau Excel, Ndlr] pour suivre la désactivation des titres que nous traitions [des "turbo warrants" dotés d?une "barrière désactivante" Ndlr].

Le président : "avez-vous fait partie de ceux qui ont soutenu le passage de Kerviel au poste de trader junior [cette fois au "front office"] ?
- oui, et comme j?étais senior c?est moi qui l?ai formé
- quel jugement portiez-vous sur ses qualités professionnelles ?
- j?étais très satisfait de sa performance en tant que "market maker", il était réactif, s?entendait bien avec les vendeurs et assurait un service de qualité aux clients
- comment contrôliez-vous son activité ?
- ben, déjà, en lui demandant comment s?était passé la journée, et combien il avait généré d?argent."

Le président lui fait expliquer ce que signifie "générer de l?argent". Il explique que le principe de cette activité est de prendre un risque dont un client ne veut pas, et de se couvrir rapidement sur le marché pour éviter de subir une perte. La banque gagne de l?argent sur la différence entre le prix de vente du risque et celui de l?achat de la couverture, et cette différence dépend de deux facteurs : le prix auquel la banque prend ce risque, et l?évolution du marché dans l?intervalle de temps qui sépare ce transfert de risque de l?achat de la couverture.


18h50 - "Nous lui avons expliqué qu?il n?avait pas le droit de faire ça"

Le président interroge le témoin sur l?épisode "Allianz".
Il répond : "je lui demande ce qu?il est en train de faire, il me dit qu?il gagne de l?argent, je lui demande combien, il me dit 200.000 euros, c?est un montant important, j?en parle à mon supérieur, puis je regarde ses transactions pour comprendre comment il a fait. Les opérations du jour ne permettaient pas de réaliser un tel résultat, donc j?ai examiné son carnet d?ordres et je me suis rendu compte qu?il avait pris des positions la veille, ce qu?il n?avait pas le droit de faire".

Le président rappelle que la position en question valait 15 millions. "Un gros montant pour un trader junior, d?autant qu?à l?époque il n?avait le droit d?engager que 1 million, et encore, en intra-day, explique Declerck
- Il y a donc eu une explication ? demande le président
- Oui, il y a eu une réunion avec moi et d?autres managers. Nous lui avons expliqué qu?il n?avait pas le droit de faire ça, et après je lui ai dit que s?il recommençait il serait viré
- ensuite, l?avez-vous surveillé plus attentivement ?
- oui, mais je ne peux pas vous dire pendant combien de temps
- est-ce vous qui fixiez ses objectifs ?
- je participais à la fixation de ses objectifs qualitatifs, mais pour les objectifs financiers ça dépendait des supérieurs

Declerck explique qu?il n?existe "pas beaucoup de sanctions à disposition" : en fait, on passe directement de l?engueulade au licenciement.

« Donc il n?y a eu aucune sanction ? rien ?
- à pat le fait qu?il soit réprimandé, non.
- c?est gentil?
- ce n?était pas à moi de décider

Declerck précise que le gain réalisé par Kerviel sur Allianz n?a pas été pris en compte dans l?appréciation de sa performance annuelle (donc dans la fixation de son bonus), tout en précisant que le bonus ne résulte pas d?une formule de calcul basée sur le résultat financier du trader.

Fin de la septième audience.

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