Jérôme Kerviel contre la Société Générale : suivez le procès minute par minute

Troisième jour d'audience pour le procès de Jérôme Kerviel contre la Société Générale, qui a commencé ce mardi 8 juin. Suivez les débats minute par minute avec notre envoyé spécial Benjamin Jullien.

9h37. Les absents de Delta One.

L'audience reprend avec quelques minutes de retard. Après s'être levé à l'arrivée du président Dominique Pauthe, Jérôme Kerviel se rassoit sur sa chaise, et croise les jambes puis les bras. Sans cravate, il porte un costume sombre et une chemise noire dont l'intérieur du col est agrémenté de rayures roses et noires.

Le président annonce qu'un seul témoin est présent sur les quatre prévus ce matin - tous traders sur le desk Delta One. L'audience va de nouveau porter sur la question du dépassement des limites.

Me François Martineau (SocGen) projette un film tourné dans la salle de marchés située au 6è étage de la SocGen, le 21 mai 2010.

A la fin du film, Maître Metzner (Kerviel) intervient sans attendre que la lumière revienne : « on a vu que tout le monde voit tout, et qu'on entend même les ordres passés » !

Claire Dumas, qui représente la banque à l'audience, explique que Delta One a déménagé au sixième étage de la tour SocGen, située à la Défense, et que la salle de marchés où travaillait Kerviel n'existe plus.

Elle explique : « Sur un plan matériel il est tout à fait possible de voir l'écran du voisin, mais un trader surveille 6 à 8 écrans, et il a des objectifs de résultat à réaliser, des positions à surveiller en temps réel. Donc opérationnellement, la charge de travail fait qu'il est impossible de suivre ce que fit le voisin. Jérôme Kerviel passait ses ordres au moyen de la souris de son ordinateur. Pour comprendre la masse de ses opérations, un autre trader aurait du suivre tous ses mouvements au cours de la journée...je défie quiconque de le faire tout en effectuant son propre travail ».


10h15. Gros plan sur "Bacardi"

Claire Dumas explique ensuite le fonctionnement d'une station de trading, et notamment de l'outil Bacardi, qui calcule en fin de journée le « résultat officiel » de chaque trader.

Elle explique que l'objectif est de responsabiliser le plus possible le trader sur ses limites et son résultat : à tout moment de la journée il doit suivre ses risques et son résultat, il a donc accès à des outils qui permettent de consulter ces données.

Metzner l'interroge : « Pourquoi avez-vous utilisé le terme de résultat « officiel », existe-t-il un résultat officieux ? »

Claire Dumas explique qu'elle distingue ainsi la « photo du résultat » réalisée le soir et les niveaux estimés auxquels se réfère le trader en cours de journée. Elle compare ceci avec l'indicateur de vitesse d'une voiture qui permet au conducteur de savoir à quelle vitesse il roule, par opposition à un flash de radar.

Metzner : « Donc un trader peut rouler à 250 toute la journée à condition de ralentir le soir, à l'heure du flash ?
- non, il n'en a pas le droit, réplique Claire Dumas.

Metzner demande ensuite à voir, sur le film diffusé par la SocGen, le poste de travail d'un supérieur N+1. Claire Dumas en trouve un, puis explique que le supérieur de Kerviel, même s'il avait accès aux mêmes données que le trader, ne pouvait pas suivre toutes les opérations de Kerviel.
- mais il pouvait les consulter par sondage, remarque Metzner
- oui, avec les aléas du sondage, conclut Claire Dumas. Elle reste ainsi fidèle à sa ligne de la veille, lorsqu'elle a soutenu que la base de données Eliot, qui recense toutes les opérations, était comme une botte de foin dans laquelle les opérations frauduleuses de Kerviel faisaient figure d'épingles.


10h30. Des opérations fictives.

Maître Huc-Morel, l'associé de Metzner, prend la parole pour la première fois. Il demande à Claire Dumas si les managers valident chaque soir l'ensemble des données d'activités des traders, notamment les frais qu'ils engagent, qui influent sur leur résultat. Elle répond que oui, mais que les modalités dépendent du type d'activité. Sur les frais, notamment ceux liés au financement des opérations des traders, les managers suivent le niveau global plutôt que le détail, car les risques associés sont limités.

-Donc tous les jours, les managers ont validé la construction du résultat de Kerviel, qui était certes affecté par ses opérations fictives, mais aussi le coût de financement de ses opérations, qui, lui, n'était pas impacté par les opérations fictives ?

- Non, le coût de financement n'était pas visible car il était masqué, les jours clés, par des opérations fictives, répond Claire Dumas.


10h42. Un trader sérieux, pas une star.

Témoignage de M. Nemouchi, qui travaille sur le desk Delta One

Que pouvez-vous nous dire ? l'interroge le président
- je n'ai pas vraiment demandé à être là, donc je préfère plutôt répondre aux questions
- décrivez-nous votre activité
- je travaille sur le prêt-emprunt de titres pour le desk Delta One
- aviez-vous des contacts professionnels avec l'équipe de Kerviel ?
- oui, au niveau de la gestion des titres : nous pouvions emprunter des titres pour eux ou prêter des titres qu'ils détenaient, pour obtenir une rémunération
- aviez-vous des contacts avec Kerviel ?
- oui. Un soir, le vendredi 18 janvier 2008, nous avons bu une verre avec Moussa Bakir (le courtier favori de Kerviel) et Kerviel après le travail. Il m'a dit que qu'il avait un problème avec l'arrêté des comptes, je l'ai rassuré en lui disant qu'il fallait qu'il en parle à son supérieur, que tout serait réglé le lundi.
- vous a-t-il semblé abattu ?
- non, plutôt stressé, mais rien d'exceptionnel...on travaille dans une salle des marchés.
- pour vous, Kerviel était-il un arbitragiste ou un market maker ?
-il faisait les deux
- Quelle était sa réputation dans la salle de marchés ?
- Celle d'un trader sérieux, qui travaille beaucoup, qui vient du middle office, et cete année-là on entendait dire qu'il avait fait une très bonne année.
- était-il vu comme un trader star ?
- non

Nemouchi raconte ensuite avoir reçu de Kerviel, le samedi vers 18h, un SMS qui disait « je vais me faire virer. Adieu, content de t'avoir connu ».

Kerviel explique cette phrase par la fait que ses supérieurs lui avaient dit, le vendredi soir, de ne pas revenir à la banque

Nemouchi a ensuite appelé Kerviel pour savoir ce qui se passait. Kerviel a répondu qu'il venait d'être convoqué le soir même par le management, et que le sujet était trop gros pour qu'il puisse en parler.

Puis en début de semaine, constatant l'absence de Kerviel, Nemouchi lui a envoyé un SMS le mardi auquel Kerviel a répondu. « Ca a été notre dernier contact », dit-il

Nemouchi explique alors avoir été « déçu et révolté », en tant que collègue, que Kerviel ait fait prendre des risques « stratosphériques » à la banque et à ses employés.


11h03. Il n'a pas réussi à cacher ses gains.

Interrogé par la police en 2008 sur les positions reprises par Kerviel en janvier 2008, à hauteur de 49 milliards, Nemouchi avait déclaré : « A mon avis, je pense qu'il a voulu perdre en janvier ce qu'il avait gagné à fin décembre, car il ne savait pas comment annoncer sa situation à ses supérieurs ». Pour mémoire, Kerviel a gagné 1,4 milliard en débouclant toutes ses positions dissimulées fin 2007, avant de reprendre des positions encore plus importantes dès janvier 2008. Mais c'est le gain réalisé en 2007, qu'il n' pas réussi à cacher au moment d l'arrêté des comptes, qui est à l'origine du déclenchement de l'affaire.

Le président interroge Nemouchi : « Avez-vous déjà pratiqué la méthode du matelas (cacher du résultat positif pour le ressortir en période de vaches maigres) ou du transfert de résultat entre collègues ?
- euh...non
- l'avez-vous déjà vue pratiquer ?
- pas directement, ce n'est pas courant, mais c'est possible...pour quelques millions d'euros

Kerviel affirme au contraire que le transfert de résultat est pratiqué par tous les traders. « Je suis surpris que M. Nemouchi ne soit pas au courant, car en fin d'année 2007 je suis allé le voir pour faire un transfert de résultat, il m'avait orienté vers M Baboulin (N+3) qui avait des produits permettant de transférer du résultat.

Il affirme ensuite que M. Nemouchi et d'autres ont pioché, avec son accord, dans son résultat caché de 1,4 milliards pour des raisons de trésorerie. Et que c'est la raison pour laquelle certains ont été licenciés, ce que la banque dément.
 

 

11h25. "Le témoin n'est pas là pour se faire insulter"

Maître Metzner amuse la galerie en soulignant que Maître Reinhart (SocGen), qui fait remarquer qu'il n'est pas « un homme de finance », est tout de même...administrateur de banque
-Si vous voulez, répond Reinhart. Mais c'est un argument ad hominem qui n'a strictement rien à voir avec le dossier »

Plus tard, Nemouchi déclare qu'il ne pense pas que les autres traders du desk pouvaient voir l'importance des positions prises par Kerviel. Il déclare aussi qu'il est faux de dire que tous les traders dépassent leurs limites.

Maître Reinhart revient sur la discussion entre Nemouchi et Kerviel du 18 janvier, et fait dire à Nemouchi que l'attitude de Kerviel, qui s'inquiétait parce qu'il sentait qu'il allait être viré, n'est « pas celle de quelqu'un qui a travaillé de concert avec sa hiérarchie ».

Nemouchi déclare que son éthique n'est pas compatible avec la prise de positions hors limites et dissimulées. Il explique qu'en cas de dépassement, il faut s'en ouvrir à la hiérarchie, qui peut décider de relever la limite si l'opération en cours en vaut la peine.

Kerviel revient à la barre, Maître Veil (SocGen) tient à lui poser une question :
« Cette somme de 1,4 milliard, vous comptiez en parler quand à la banque ?
- je comptais la faire ressortir petit à petit et l'utiliser comme matelas pour mes opérations
- un matelas multispires, grince Jean Veil, provoquant des rires dans la salle

Le procureur interroge ensuite Nemouchi sur la position de 49 milliards prise par Kerviel début 2008
-c'est une position débile, au-delà des fonds propres de la banque

Metzner interroge à son tour Nemouchi, après l'avoir qualifié de « trader exemplaire » : « Pensez-vous que si vous disiez le moindre mal de la Société Générale, qui vous emploie, vous auriez encore votre place demain ?
- oui
- alors essayez donc ! »

Les avocats de la SG interviennent : « le témoin n'est pas là pour se faire insulter!
- je ne l'insulte pas, réplique Metzner
- vous insinuez le faux témoignage, je vous rappelle que le témoin dépose sous serment »


11h45. La SocGen accusée de dissimulation.

Metzner interroge Nemouchi sur la « rumeur » qui a circulé fin 2007 selon laquelle Kerviel avait fait une année exceptionnelle. Il confirme avoir entendu que Kerviel avait fait une très bonne année, battant le record sur son activité précise.

« Avez-vous emprunté de l'argent sur la trésorerie de Kerviel en 2007 ?
- Non, c'est possible que des membres de mon équipe aient fait des opérations de trésorerie avec Kerviel, mais je ne crois pas l'avoir fait personnellement

- Que se serait-il passé si Kerviel avait déclaré son gain de 1,4 milliard fin 2007 et avait annoncé son départ ? Lui aurait-on versé un très gros bonus ?
- je ne crois pas, non, on aurait plutôt essayé de comprendre ce qui s'était passé

Claire Dumas exhibe ensuite un graphique qui montre le résultat (gain ou perte) de la position non couverte de 49 milliards prise début 2008 par Kerviel. « La position perdait 2,7 milliards lorsqu'elle a commencé à être découverte, et a été débouclée à 4,9 milliards, soit très près du minimum, qui est à 4,2 milliards. Mais si on l'avait conservée, la perte potentielle aurait atteint un pic de 29 milliards début 2009 ».

Le graphique montre aussi qu'en avril 2010, la perte potentielle restait supérieure à 12 milliards.

Maître Metzner accuse la SocGen de dissimulation pour n'avoir pas versé cette pièce au dossier au préalable. « Nous avons beaucoup moins dissimulé de votre client », lui rétorque l'un des avocats de la banque


12h11. Kerviel guette le visage des juges.

La défense projette à son tour une pièce. Il s'agit d'une copie d'écran de l'outil dont disposent les managers pour contrôler les limites et les risques. Maître Huc-Morel (Kerviel) précise que les paramètres ne peuvent être fixés que par le manager. « Vous voyez que le manager pouvait fixer diverses limites, notamment sur le montant nominal cumulé des opérations passées par le trader dans la journée. Vous constatez que le paramètre fixé par le manager indique une limite à 6 millions d'euros par opération, mais que la limite portant sur le montant quotidien cumulé indique zéro, ce qui veut dire que le manager a désactivé cette limite ».

Metzner : « Ce n'est pas le cas seulement sur le desk de Kerviel, mais aussi sur d'autres dans la banque, comme nous pouvons vous le montrer : on a désactivé les limites ! »

Maître Huc-Morel montre ensuite un courriel envoyé à l'assistant trader de Kerviel, Thomas Mougard, qui comporte juste une pièce jointe : la copie d'écran correspondant à l'automate de trading de Kerviel. Là aussi, la limite portant sur le montant nominal cumulé est fixée à zéro.

Alors que la défense semble marquer un point, Kerviel guette le visage des juges, comme pour jauger leur réaction

Claire Dumas mène la contre-attaque : « On n'a pas « désactivé » les limites en nominal cumulé. Il n'existait pas de suivi systématique des limites nominales à la Société Générale, comme nous l'avons déclaré après la découverte de la fraude. C'est d'ailleurs un des points qui a permis la fraude, aux côtés des opérations fictives et des fausses déclarations de M. Kerviel, précise Claire Dumas. La possibilité de paramétrer cette limite, comme l'outil le permettait, était laissée au libre choix des managers. L'absence de limites en nominal est aussi une des raisons pour lesquelles nous avons été sanctionnés par la Commission bancaire à la suite de cette fraude (4 millions d'amende, ndlr). Je précise que c'était aussi le cas dans la quasi-totalité des banques, qui suivaient, comme nous, les risques en fonction des écarts entres les positions » (en delta)

Avant la fin de l'audience, Metzner annonce qu'il exhibera demain un mode d'emploi réalisé par la banque pour ses employés sur la façon de répondre aux questions de la justice sur cette affaire.

L'audience est levée pour la journée.

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