Les fintech vont-elles faire « sauter » les banques ?

Les investissements dans les startups de la fintech ont été multipliés par dix en cinq ans, à 19 milliards de dollars l'an dernier, à l'échelle mondiale, selon Citigroup. Les banques ont investi cinq milliards de dollars dans ces nouveaux concurrents. Un montant encore faible, comparé aux 50 milliards à 70 milliards de dollars qu'elles dépensent en moyenne chaque année dans leurs infrastructures technologiques.
Christine Lejoux
(Crédits : DR)

Les fintech et les banques, c'est encore David contre Goliath. Sans vouloir offenser ces startups qui ambitionnent de révolutionner l'industrie financière en remettant le client au centre du jeu, elles n'ont pas encore les moyens de faire « sauter » les banques. Certes, les investissements dans la fintech ont été multipliés par dix en cinq ans, passant de 1,8 milliard de dollars en 2010 à 19 milliards l'an dernier, à l'échelle mondiale, selon une récente étude de Citigroup. Mais tout est affaire de proportions : cette somme est en réalité à peine supérieure aux quelque 16 milliards de dollars de bénéfice net dégagés en 2015 par la seule Bank of America, la deuxième banque américaine en termes d'actifs. Reste que, dans la Bible, l'issue du combat entre David et le géant Goliath finit par tourner en faveur du jeune fils de berger...

En mars dernier, les analystes de Citigroup estimaient que l'essor des fintech pourrait contraindre les banques américaines à élaguer leurs effectifs de 30 % en l'espace de dix ans, à 1,8 million de personnes en 2025 contre 2,6 millions en 2015. Pis, les banques européennes seraient amenées à sacrifier 37 % de leurs collaborateurs, dans le même intervalle. Des prédictions cohérentes avec celle formulée quelques mois plus tôt par Antony Jenkins, l'ancien patron de la banque britannique Barclays : selon lui, « l'ubérisation » de l'industrie bancaire pourrait coûter à celle-ci jusqu'à 50% de ses effectifs, au cours des dix prochaines années.

Rien que de très logique, la concurrence des fintech et des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) étant susceptible de grignoter d'ici à une dizaine d'années de 20% à 60% des bénéfices de certains métiers bancaires, comme le crédit à la consommation, les prêts immobiliers, les services de paiement et la gestion de patrimoine, d'après une étude du cabinet McKinsey, publiée en septembre 2015. De là à imaginer que les banques vont être supplantées par les fintech, c'est un pas qu'Hugues Magron, associé chez Deloitte, se refuse à franchir : « Non, les fintech ne vont pas faire sauter la banque ! », a-t-il assuré lors d'une conférence de presse, le 6 juillet. Pour cet expert, la notion de fintech relève en partie du « buzzword, très parisien de surcroît », alors que la réalité du terrain est bien différente, ces startups demeurant largement méconnues du grand public. En effet, sur la dizaine de services proposés par les fintech, le plus prisé des Français, à savoir l'agrégation de comptes bancaires, n'est utilisé que par 9 % des 2 000 personnes interrogées par Deloitte.

Les GAFA, un vrai danger pour la finance traditionnelle

« Les banques étaient là il y a 500 ans, elles seront toujours là demain, mais elles se seront transformées », avait estimé de son côté Guillaume-Olivier Doré, entrepreneur et investisseur dans la technologie et la finance, lors d'une conférence de presse organisée en octobre dernier par la fintech Younited Credit (ex-Prêt d'Union).

Une transformation indispensable à la survie des banques, d'après Anne-Laure Navéos, chargée des opérations de croissance externe et des partenariats au Crédit Mutuel Arkéa, qui s'exprimait dans le cadre de cette même conférence :

« Les établissements qui ne réinventent pas fondamentalement la manière de faire de la banque vont mourir. »

Or, pour réussir cette mutation digitale, quoi de plus simple et de plus rapide, pour des banques, que de racheter des fintech ?

À l'automne 2015, dans le sillage du rachat de l'agrégateur de comptes Fiduceo par Boursorama, filiale de la Société Générale, Crédit Mutuel Arkéa avait ainsi mis la main sur 86 % du capital de Leetchi, spécialiste des cagnottes en ligne, pour une cinquantaine de millions d'euros. Une opération qui avait précédé de peu l'acquisition de la jeune pousse Lepotcommun.fr par S-Money (groupe Banque populaire Caisse d'épargne). Plus largement, sur la vingtaine de milliards de dollars investis en 2015 dans des fintech, à l'échelle mondiale, 5 milliards ont été apportés par des banques, selon Accenture. Un montant encore faible, comparé aux 50 milliards à 70 milliards de dollars qu'elles dépensent en moyenne chaque année dans leurs infrastructures technologiques.

Mais ce n'est sans doute qu'un début, car une banque européenne sur cinq considère avant tout les fintech comme une cible d'acquisition, selon un sondage mené au printemps par le cabinet IDC. Il faut dire que, si les banques ont besoin de la créativité et de l'agilité des fintech pour réussir leur mutation digitale, les startups de la finance 2.0 sont de leur côté bien aises de pouvoir compter sur la surface financière et les agréments réglementaires des banques pour se développer. Des alliances d'autant plus indispensables que la véritable menace, pour la finance traditionnelle, réside sans doute bien davantage dans les Gafa que dans les fintech.

Ne pas surréguler, mais... éviter le "No Man's Land"

Aussi jeune soit-il, le phénomène des fintech a cependant pris suffisamment d'ampleur pour que les régulateurs commencent à se pencher sur le cas de ces startups spécialisées dans les technologies financières. En effet, les investissements dans ces jeunes pousses, qui ambitionnent de révolutionner l'industrie financière avec des offres plus simples, plus transparentes et meilleur marché, ont été multipliés par plus de dix en l'espace de cinq ans, dans le monde, selon Citigroup. Un carburant qui pourrait permettre aux fintech de ravir près du quart (23 %, exactement) de leur activité aux acteurs traditionnels de la finance, d'ici à 2020, d'après un sondage réalisé auprès de ces derniers par le cabinet d'audit PwC. Cette proportion s'élève même à 28 % dans le seul secteur des moyens de paiement et des transferts d'argent.

Face à cette montée en puissance des fintech, le Forum économique mondial, qui réunit chaque année à Davos la crème des économistes et des grands patrons, a diffusé le 19 avril un rapport, dans lequel il enjoint aux acteurs historiques de la finance, aux régulateurs et aux fintech de collaborer, afin de définir de nouvelles règles favorisant l'essor de cette prometteuse finance 2.0, tout en « préservant la stabilité financière mondiale ». Des propos qui font écho à ceux prononcés quelques semaines plus tôt par Mark Carney, à la tête du Conseil de stabilité financière, une émanation du G20 composée de banques centrales, de régulateurs et de ministres des Finances : « Nous devons évoluer parallèlement au développement des fintech, de façon à ne pas étouffer leur capacité d'innovation, mais sans perdre de vue l'amélioration de la résistance du système [financier]. »

Plus près de nous et plus récemment, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l'Autorité des marchés financiers (AMF) ont créé, le 1er juin, un pôle commun destiné à aider les fintech à se repérer dans le maquis réglementaire des services financiers, ainsi qu'un forum de dialogue entre superviseurs, startups et pouvoirs publics. Autant d'initiatives réglementaires qui font face au dilemme suivant : « Les fintech ne peuvent être ni un no man's land, car la finance ne s'est jamais développée sans un cadre réglementaire, ni un secteur surrégulé. Il va falloir réglementer différemment, en cheminant aux côtés des fintech, et non en les précédant », avait souligné l'ex-ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, le 3 mai, lors d'un événement organisé par l'association professionnelle France fintech.

Face à cette quadrature du cercle, deux approches principales existent. La première est celle du « bac à sable » réglementaire (regulatory sandbox), privilégiée par les pays anglo-saxons, à l'image du Royaume-Uni qui l'a instaurée le 9 mai. Son principe consiste à doter les fintech d'un cadre réglementaire spécifique, suffisamment souple pour leur permettre d'expérimenter « pour de vrai » des produits et des services innovants, mais sur une base de clientèle limitée.

La seconde approche, préférée par la France, réside dans la proportionnalité de la réglementation. Concrètement, afin de préserver des conditions de concurrence équitables avec les acteurs traditionnels de la finance, les mêmes règles s'appliquent à tous, mais elles tiennent compte de la jeunesse de l'entreprise, du degré de risque que celle-ci représente. Par exemple, les startups et les PME qui cherchent à lever moins de 2,5 millions d'euros via des plateformes de financement participatif (crowdequity) sont d'ores et déjà dispensées de publier la lourde documentation habituellement exigée dans le cadre des appels publics à l'épargne.

Quand le Brexit change la donne

Le débat entre le « bac à sable » et la proportionnalité des règles, loin d'être tranché, revêt d'autant plus d'importance que les choix réglementaires des places financières sont les éléments clés pour leur compétitivité internationale. De fait, évoquant le pôle et le forum de dialogue récemment créés par l'AMF et l'ACPR à destination des fintech, Cédric Teissier et Arthur de Catheu, les patrons fondateurs de la startup Finexkap, estiment que ces initiatives ne représentent « qu'un premier pas ». Et les deux dirigeants de préciser leur pensée : « La France a pris du retard. L'Angleterre, à l'origine d'un guichet unique depuis plus de deux ans, est déjà passée au niveau supérieur [avec le lancement du « regulatory sandbox, ndlr]. » Un créateur de fintech, c'est un peu comme un futur papa (ou maman) : l'arrivée prochaine de sa progéniture soulève nombre de questions chez un jeune parent, en particulier celle de la localisation de la crèche, puis, très vite, de l'école maternelle. De la même façon, l'entrepreneur qui monte sa startup spécialisée dans les technologies financières va réfléchir au pays, à la ville, qui constituera le meilleur berceau pour sa société.

Il n'y a pas si longtemps encore, Londres avait de fortes chances d'être son premier choix. En effet, une récente étude du cabinet d'audit EY a érigé Londres en capitale mondiale de la fintech, avec 6,6 milliards de livres (7,9 milliards d'euros) de chiffre d'affaires réalisé dans ce secteur en 2015, contre 5,6 milliards à New York et 4,7 milliards en Californie.

Il faut dire que, non contente d'être de longue date l'une des principales places financières du monde, et la première d'Europe, Londres est devenue, ces dernières années, la capitale digitale de l'Europe, avec plusieurs milliers de startups, dont une quinzaine de « licornes », ces jeunes pousses valorisées plus d'un milliard de dollars. Et ce, en bonne partie grâce à un régulateur compréhensif et proactif à l'égard de ces nouveaux entrants dans l'industrie financière.

Mais le Brexit pourrait bien changer cette donne. En effet, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (UE) risque de faire perdre leur passeport européen aux sociétés de services financiers en général, et aux fintech en particulier. Ce précieux sésame permet à nombre d'entre elles, notamment aux jeunes pousses spécialisées dans les paiements et les transferts d'argent, d'exercer leur activité dans l'ensemble de l'UE, dès lors qu'elles sont agréées par le régulateur de l'un des 28 pays membres. Et, partant, de bénéficier d'un accès simplifié aux quelque 500 millions de consommateurs de l'UE.

Un « coup dur porté au secteur des services financier de Londres »

« À l'heure actuelle, nous sommes agréés par la FCA [Financial Conduct Authority, le gendarme financier britannique, ndlr] et nous portons cette licence dans d'autres pays européens. Mais, demain [en raison du Brexit], nous devrons peut-être obtenir aussi une licence dans un pays restant dans l'UE, comme la France ou l'Allemagne. Cela n'apporterait aucune valeur ajoutée pour nos clients, car nous dépenserions beaucoup de temps et d'énergie à refaire ce qui est déjà en place », expliquait récemment à La Tribune Octave Auger, directeur Europe au sein de la fintech londonienne GoCardless, spécialisée dans les prélèvements Sepa.

Même son de cloche chez Azimo, une fintech britannique spécialisée dans le transfert d'argent, dont les cofondateurs - Michael Kent et Marta Krupinska -qualifient le Brexit de « coup dur porté au secteur des services financiers de Londres » et prévoient « le déménagement de nombreux acteurs vers des cieux européens plus favorables, comme Paris, Francfort, Amsterdam ou Dublin ».

Au risque de la perte du passeport européen s'ajoute, pour les fintech londoniennes, celui que la capitale britannique devienne moins attrayante pour les talents étrangers, compte tenu des conséquences possibles du Brexit sur la libre circulation des personnes. Or, près d'un quart des fintech membres de l'association professionnelle britannique Innovate Finance sont dirigées par des patrons d'Europe continentale. Et ces derniers emploient nombre de développeurs et autres salariés venus des quatre coins de l'Europe, les embauches de citoyens britanniques ne suffisant pas à combler les besoins de main-d'oeuvre d'un secteur qui crée des emplois à un rythme très rapide.

Berlin et Paris en mode séduction pour attirer les fintech anglaises

Face à toutes ces éventualités créées par le Brexit, une dizaine de fintech londoniennes employant chacune entre 10 et 18 personnes ont déjà pris langue avec Berlin Partner, a indiqué le 18 juillet cet organisme chargé de promouvoir les investissements dans la ville allemande. Cette dernière met notamment en avant son dynamisme en matière de création de fintech, un coût de la vie qui n'a rien de prohibitif, ainsi que l'usage très répandu de la langue anglaise.

Un atout que Berlin partage avec Dublin et Luxembourg. À cet égard, Paris semble moins évidente, mais la capitale française s'est, elle aussi, placée en mode séduction à l'égard des fintech londoniennes, vantant sa maind'oeuvre qualifiée en finance et en « data sciences », ainsi qu'une réglementation désormais plus souple et accueillante. La bataille pour devenir « la » capitale européenne de la fintech est lancée.

Christine Lejoux

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Commentaires 3
à écrit le 23/09/2016 à 10:19
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Excellent article qui résume bien la situation et les modes de pensées et amène aussi d’autres questionnements. Où il est question de naissance et de survie. Mais ces idées novatrices peuvent elles survivre dans les anciennes couveuses, avec des par...

le 23/09/2016 à 12:22
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Bonjour Velka, la FinTech Morning, réinvente les vieilles structures bancaires en toute indépendance : http://billetdebanque.panorabanques.com/banque/la-start-up-payname-renommee-morning-veut-reveiller-la-banque/

à écrit le 23/09/2016 à 8:29
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"Les banques étaient là il y a 500 ans," La banque, une institution moyenâgeuse, et ils en sont fiers en plus.

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