Réforme du taux de l’usure : oui pour les crédits aux collectivités locales, non pour les crédits aux particuliers

Malgré l’envolée des taux d’intérêt en mai et juin, la Banque de France n’a pas recommandé de modifier les règles de calcul du taux de l’usure, pour une application au 1er juillet. En revanche, un projet d’arrêté sera présenté pour avis au Comité consultatif de la législation et de la réglementation financière (CCLRF) pour faciliter l’accès au crédit des collectivités locales, également soumises à un taux de l’usure. La crainte d’un effet d'éviction d’une partie de la clientèle du crédit immobilier, compte tenu d’un taux de l’usure trop bas par rapport à la réalité du marché, n’a finalement pas pesé face à l’hostilité des associations de consommateurs, mais aussi de la Banque de France, de faire (trop) bouger les lignes.Toutefois, des ajustements auront bien lieu sur les périodes de référence prises en compte dans la collecte de données, sans changer pour autant la formule.
Le nombre de crédit immobilier a chuté de 14 % en glissement annuel, selon Crédit Logement.
Le nombre de crédit immobilier a chuté de 14 % en glissement annuel, selon Crédit Logement. (Crédits : Reuters)

C'est non. Le gouverneur de la Banque de France n'a pas proposé à Bercy, contrairement à nos informations publiées dans notre édition du 22 juin, de modifier les règles de calcul du taux de l'usure - le taux au-delà duquel une banque ne peut pas prêter de l'argent - et qui doit être révisé le 1er juillet prochain. Il aurait pu le faire, dans le cadre de loi, en mettant en avant les « circonstances exceptionnelles » de la rapide montée des taux d'intérêt sur les marchés que personne n'avait anticipé. Le rendement de l'OAT à dix ans, qui sert de socle de référence pour calculer le taux d'un crédit immobilier, a pris plus de 200 points de base depuis le début de l'année, avec une brusque accélération à partir de mai dernier.

En revanche, les collectivités locales, également soumises à un taux de l'usure, doivent bénéficier d'une modification du mode de calcul pour leur faciliter l'accès au crédit. En gros, il s'agit d'appliquer aux collectivités locales la même approche adoptée pour les particuliers en matière de calcul de taux en fonction des maturités de crédits. Un arrêté en ce sens sera prochainement soumis pour avis au Comité consultatif de la législation et de la réglementation financière CCLRF).

Or, le mode de calcul du taux de l'usure comporte en effet un biais important en cas de forte hausse des taux : ce dernier repose sur une moyenne des taux réalisés du trimestre précédent augmentée d'un tiers. Or, il existe toujours sur le marché du crédit immobilier un effet de latence important, de deux ou trois mois, entre l'acceptation du dossier de crédit et le déblocage effectif du crédit.

Coup de frein sur le crédit immobilier

Autrement dit, le taux pris en compte pour le mois de juin est en réalité un taux proposé en mars ou avril. D'où ce fameux effet de ciseaux, sur lequel les courtiers alertent les autorités depuis des mois, entre un taux de l'usure qui s'ajuste lentement et des taux de marché qui montent trop rapidement. Cet effet est d'autant plus fort que le taux de l'usure intègre les frais de dossiers et le coût de l'assurance emprunteur.

L'effet sur le marché se fait de plus en plus sentir, s'alarment les courtiers mais aussi les banques. « C'est très visible surtout depuis le début mai avec 20 à 25% des demandes qui sont refusées car ils dépassent le taux de l'usure », relève Olivier Lendrevie, président de CAFPI, l'un des principaux réseaux de courtiers.

Cette décision de la Banque de France, avalisée de fait par Bercy, constitue néanmoins une surprise. Les professionnels du crédit de l'immobilier pensaient avoir été entendus. L'appétit pour l'immobilier des Français ne se dément pas - l'expression valeur refuge date même de la période forte inflation des années 70 - mais l'Observatoire du Crédit Logement note un affaiblissement du nombre de prêts accordés depuis le début de l'année (-14% en glissement annuel).

« La demande pour l'accession à la propriété reste forte mais un nombre croissant de dossiers ne passent plus », confirme Olivier Lendrevie. Même les banques reconnaissent lever le pied et prêter actuellement avec une marge quasi-nulle. A l'instar de Société Générale, de nombreuses banques ont ainsi suspendu leur relation d'affaires avec les courtiers.

Hostilité des consommateurs et de la Banque de France

Pourtant autant, ce coup de frein sur le crédit immobilier n'a pas convaincu les autorités de modifier les règles du taux de l'usure.  Les associations de consommateurs avaient déjà manifesté leur refus de toute modification du taux de l'usure au sein du Comité consultatif des services financiers (CCSF) au nom de la protection du consommateur. Ensuite, la Banque de France estime toujours nécessaire de calmer le jeu sur le marché de l'immobilier et de faire baisser les prix, notamment en métropoles. Les recommandations du Haut conseil de stabilité financier sur le taux d'effort maximum sont un des leviers. Le taux de l'usure en est un second. La Banque de France n'a pas souhaité réagir.

Enfin, les banques ne sont pas encore vraiment mobilisées sur le sujet, à l'exception des collectivités locales où elles ont clairement alerté les pouvoirs publics. Bref, les courtiers se sont trouvés un peu seuls. Elles ont cependant évoqué les difficultés liées au taux de l'usure avec Bruno Le Maire, le ministre de l'économie début juin.

Changer sans changer

La porte n'est pas totalement fermée. « Nous restons attentifs à l'accès au crédit des Français et nous suivons l'évolution des taux en lien étroit avec la Fédération bancaire française, la Banque de France et les associations de consommateurs », indique une source de Bercy. « Le CCSF a attiré l'attention du Trésor sur la situation des crédits aux particuliers. Donc le sujet avance même si aucun travail n'est réellement engagé », soutient un courtier en crédit immobilier.

« Les pouvoirs publics travaillent à des solutions pour permettre de continuer à financer de façon satisfaisante et responsable les projets qui sont présentés aux banques. Par ailleurs, le travail mené actuellement avec la Banque de France et le Trésor vise à améliorer la collecte des données pour que la moyenne soit plus représentative du marché », avance de son côté une source bancaire.

Alors que la loi prévoit une augmentation d'un tiers par rapport à la période de référence, la Banque de France peut procéder à des ajustements très techniques sur la période prise en compte dans la collecte de données pour telles ou telles catégories de crédit. L'important étant d'afficher une constance dans la formule. Rendez-vous est donc pris pour le 1er octobre, date de la prochaine révision du taux de l'usure.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.