Crypto-monnaies : « ni souhaitable, ni nécessaire de réguler » selon le rapport Landau

L'ex-sous-gouverneur de la Banque de France Jean-Pierre Landau a remis à Bruno Le Maire son rapport sur l'encadrement des Bitcoin et autres monnaies virtuelles. Ses préconisations : éviter une régulation directe et expérimenter une licence pour les plateformes d'échange. Il propose que les billets des JO 2024 soient digitalisés sous forme de jetons émis sur une Blockchain.
Delphine Cuny
Près de dix ans après l'apparition des premiers Bitcoin en janvier 2009, il existe près de 1.600 crypto-monnaies dans le monde.
Près de dix ans après l'apparition des premiers Bitcoin en janvier 2009, il existe près de 1.600 crypto-monnaies dans le monde. (Crédits : JM)

L'annonce du choix d'un ancien sous-gouverneur de la Banque de France, Jean-Pierre Landau, missionné en janvier par Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie et des Finances, afin de dresser des pistes de régulation des crypto-monnaies, avait été accueillie par les railleries des acteurs de ce jeune secteur. « C'est comme nommer quelqu'un de Total au ministère de l'Environnement », avait ironisé le directeur général de Paymium, Pierre Noizat. Le rapport remis au ministre le mercredi 4 juillet par le haut fonctionnaire de 71 ans, rendu public ce 5 juillet, privilégie en réalité une approche pragmatique et « équilibrée », au dire même du secteur, loin d'ambitions maximalistes en matière de régulation.

« Malgré les interrogations qu'elles suscitent, il n'est pas proposé de réguler directement les crypto-monnaies. Ce n'est aujourd'hui ni souhaitable, ni nécessaire », affirme le rapport.

Une réglementation directe « obligerait à définir, à classer et donc à rigidifier des objets essentiellement mouvants et encore non identifiés », et donc à prendre le risque de se tromper et « d'orienter l'innovation vers l'évasion réglementaire. » En clair, de faire partir les talents et les startups de l'écosystème "crypto" et Blockchain (la technologie sous-jacente) à l'étranger.

De quoi alimenter les discussions lors du futur G20 Finances, qui se tient à Buenos Aires les 21 et 22 juillet, et dont ces sujets seront à l'ordre du jour.

L'ancien banquier central estime que ce n'est pas nécessaire de réguler car les encours de crypto-monnaies (environ 270 milliards de dollars) « élevés dans l'absolu, restent très faibles au regard de la taille des systèmes financiers mondiaux : 1,5% seulement de la capitalisation de marché de l'indice S&P 500 et 5,5% de la valeur totale du marché de l'or. L'exposition des intermédiaires financiers au risque des crypto-monnaies est également minime et le risque de contagion inexistant. »

Vers une « Euro Bitlicense »

En revanche, l'approche préconisée est celle de réguler les « interfaces » entre le monde des crypto-monnaies et le système monétaire financier, essentiellement les plateformes d'échange. Le rapport recommande ainsi d'une part de définir des « principes minimaux de transparence, d'intégrité et de robustesse » au niveau mondial et d'autre part d'expérimenter à l'échelle nationale un statut spécifique, un régime d'agrément unique pour les prestataires de services de crypto-monnaies, à l'image de la Maison du Bitcoin en France (rebaptisée récemment Coinhouse).

« Ce statut expérimental pour deux à trois ans aurait vocation à s'effacer devant un statut européen unique, de type "Euro Bitlicense" capable de concurrencer les BitLicenses new-yorkaise et japonaise », explique le rapport.

Le régulateur des services financiers de l'État de New York a en effet été pionnier en 2015 en accordant des licences d'exploitation, notamment aux plateformes Ripple, Gemini et Coinbase, et la neuvième tout récemment à Square.

L'agrément expérimental français serait adapté au cas par cas selon que la plateforme détient ou contrôle les fonds, ou si son activité se limite à la négociation.

Outre les dispositifs "incontournables" de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, les gestionnaires des plateformes s'engageraient à respecter « un socle minimal d'exigences en matière de KYC [connaissance du client], d'audit et de contrôle interne », en particulier des tests d'intrusion informatique, « de réserve de capitaux, d'assurance civile professionnelle ainsi que de transparence sur la formation des prix et les frais de transaction ». Bref, la fin du Far West et une « sécurité juridique » pour les acteurs émergents du secteur.

Un vrai droit au compte bancaire

L'autre piste recommandée par le rapport est de favoriser « la bancarisation des acteurs de la chaîne de valeur de la crypto-finance », en soulignant que les entrepreneurs français du secteur, qui se plaignent des refus essuyés et des difficultés à ouvrir un compte, sont obligés de se tourner vers des banques étrangères.

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Pour les acteurs dont l'activité est indirectement liée aux crypto-monnaies et « ne les conduit pas à les détenir ou les contrôler », comme les fournisseurs de porte-monnaie digitaux (on pense à la pépite Ledger), les sociétés de conseil (à l'image de Blockchain Partner qui a notamment travaillé pour la Banque de France) ou les entreprises travaillant sur des projets de Blockchain, le rapport souligne qu'il n'y a « pas de risques particuliers » :

« Une simple recommandation professionnelle de la Fédération bancaire française (FBF) publiée avant la fin de l'été 2018 devrait parvenir à lever tout obstacle. »

Concernant les autres acteurs, plateformes d'échanges, émetteurs de jetons par le biais d'une Initial Coin Offering (ICO), le rapport préconise « un dialogue de place » pour que les banques discernent mieux les risques de leurs activités.

Le récent rapport de France Stratégie, publié fin juin, soulignait également la nécessité de lever ce blocage des banques « préjudiciable au développement du marché français et à l'attractivité de la place de Paris. »

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Sur le plan fiscal et comptable, le rapport suggère un alignement sur le régime des devises pour les gains réalisés sur des cessions de crypto-monnaies. Il n'évoque pas la piste de l'application de la flat-tax à 30% avancée par les acteurs de l'écosystème. Dans le cas des ICO, l'idée serait de permettre aux émetteurs de jetons de lisser dans les comptes le produit de l'émission afin d'éviter d'inscrire la totalité dans les résultats et d'étaler le paiement de l'impôt. Le rapport imagine aussi de créer une nouvelle catégorie comptable d'instruments de trésorerie pour pouvoir inscrire à l'actif du bilan les crypto-monnaies reçues en contrepartie des jetons vendus.

Les billets des JO 2024 sur la Blockchain

Enfin, le rapport avance une proposition audacieuse aux pouvoirs publics, dans le but de « promouvoir plus directement la Blockchain et la digitalisation des actifs.»

« Les Jeux olympiques de 2024 offrent l'opportunité d'aller plus loin : il est proposé, pour toucher un large public, qu'une partie de la billetterie de ces jeux soit digitalisée à travers des jetons émis sur une Blockchain. »

Cette technologie permettrait selon le rapport de « fluidifier, de rendre plus transparent et de moraliser un marché secondaire toujours très actif pour de tels événements. » La perspective reste cependant lointaine. Le comité de candidature de Paris 2024 avait indiqué que la mise en vente ne devrait démarrer qu'au cours du troisième trimestre 2023. Dans cinq ans.

Le ministre Bruno Le Maire a déclaré que ce rapport « constituera une base précieuse pour les travaux que mène le gouvernement » dans le cadre de la loi Pacte, qui contient des dispositions concernant les ICO (un visa optionnel fourni par l'Autorité des marchés financiers).

« Les autres propositions seront examinées et pourront faire l'objet de mesures complémentaires, dans le cadre de la loi Pacte ou du projet de loi de finances », indique Bercy dans un communiqué.

Delphine Cuny

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Commentaires 4
à écrit le 07/07/2018 à 2:41
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Pas mal de questions éludées dans ce rapport...c'est un peu étrange de nommer quelqu'un pour faire des suggestions de régulation et de lire ensuite que finalement on ne peut rien faire. Par exemple, rien sur l'utilisation en tant que moyen de paiemen...

à écrit le 06/07/2018 à 14:28
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Un article très détaillé sur la fiscalité des crypto-monnaies : http://gagnercryptomonnaie.com/comprendre-les-crypto-monnaies/fiscalite-des-crypto-monnaies/

à écrit le 05/07/2018 à 23:46
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Comme d'habitude, c'est comme pour les paradis fiscaux : tout ce qui permet l'évasion fiscal et le blanchiment d'argent sale est au final autorisé mais bien entendu en les combattant...

à écrit le 05/07/2018 à 21:04
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En effet ce rapport plein de bon sens surprend positivement.

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