De la Somalie aux projets perso, GoFundMe finance "n'importe qui pour n'importe quoi"

La plateforme américaine de crowdfunding se lance en France après avoir participé au succès phénoménal de la campagne pour la Somalie de la star des réseaux sociaux, Jérôme Jarre, qui a récolté 2,6 millions de dollars. Elle a dépassé Kickstarter en montants collectés. La startup de San Diego veut aider les ONG à passer au caritatif 3.0.
Delphine Cuny
La campagne Love Army For Somalia lancée par Jérôme Jarre, la star des réseaux sociaux, avec la fondation de Ben Stiller, a réussi à récolter 2,66 millions de dollars sur la plateforme GoFundMe pour apporter de l'eau et de la nourriture aux Somaliens frappés par la famine.

En un tweet et quelques jours, l'influenceur Jérôme Jarre a réussi à mobiliser ce qu'il appelle « l'armée de l'amour » des internautes et à récolter 2,6 millions de dollars pour venir en aide aux Somaliens frappés par la famine, en mars dernier. Coqueluche des ados avec ses millions de boucles vidéo sur Vine, puis ses stories sur Snapchat, le jeune Français résidant aux Etats-Unis, au sourire inaltérable, a mis sa notoriété (1,4 million de followers sur Twitter, 1,8 million sur Instagram) au service de cette noble cause. A coups de hashtags, il a attiré l'attention de Turkish Airlines, qui a accepté d'affréter un avion-cargo pour transporter 60 tonnes d'eau et de nourriture, et s'est rendu lui-même à Mogadiscio, s'associant ensuite à des ONG pour distribuer le reste de l'argent envoyé par plus de 90.000 donateurs en ligne.

L'exploit de la "Love Army for Somalia", révélateur de la puissance virale des réseaux sociaux dans ce qu'elle a de plus positif, n'aurait peut-être pas été possible sans la plateforme de collecte solidaire GoFundMe. Le site américain, spécialisé dans le financement participatif des causes personnelles, se lance officiellement en France cette semaine.

« Quand on leur montre une cause, les gens sont généreux. Ça met du baume au cœur par rapport au discours ambiant. Il y a beaucoup d'histoires inspirantes et de réactions humaines formidables », nous confie lors d'une entrevue David Hahn, le directeur produit de GoFundMe, de passage à Paris.

« Il faut que ce soit pertinent : nous travaillons beaucoup sur ce que j'appelle la proximité sociale et les centres d'intérêts par thèmes. »

Plus fort que Kickstarter

GoFundMe (littéralement « viens me financer ») a été pré-lancé en France il y a quelques semaines : le contenu des campagnes est traduit. La startup de San Diego, au sud de la Californie, a choisi l'Hexagone en regardant sa base de donateurs où figuraient déjà de nombreux Français (45.000 actuellement). Le site ouvre aussi en Espagne, quelques mois après une série de pays anglophones (Australie, Royaume-Uni, etc.), et sera désormais présent dans 18 pays.

Fondé en 2010 par deux vingtenaires, qui ont un peu tâtonné avant de trouver ce positionnement et ont cédé le contrôle il y a deux ans à des fonds (Accel Partners, Technology Crossover Ventures, Greylock, etc.), dans une opération le valorisant 600 millions de dollars, le site de crowdfunding a connu une vraie accélération de sa croissance, passant d'un milliard de dollars collectés en 2015 à 2 milliards en février 2016 et 3 milliards huit mois plus tard. Son directeur général, Rob Solomon, un ancien de Yahoo et ex-DG de Groupon, vient d'annoncer que GoFundMe avait passé en début d'année le cap des 4 milliards de dollars levés en cumulé depuis son lancement, grâce à plus de 40 millions de donateurs.

100.000 nouvelles campagnes en ligne chaque mois

C'est plus que le pionnier du financement participatif Kickstarter (3,1 milliards de dollars collectés à ce jour), pourtant spécialisé dans les projets de créateurs et de startups, où le souscripteur donne souvent en échange du produit fini : la montre Pebble a en tout recueilli 42 millions de dollars en trois campagnes. Sur GoFundMe, la campagne qui a le plus levé d'argent est celle lancée après la fusillade dans un club gay d'Orlando l'an dernier (7,8 millions de dollars). Environ 100.000 nouvelles campagnes sont mises en ligne chaque mois sur le site.

« La première catégorie est le médical. Pas seulement aux Etats-Unis et pas nécessairement pour financer une opération : même dans des pays ayant un bon système de santé, comme en France ou au Canada, il peut y avoir des parents d'enfant hospitalisé qui ont besoin d'aide pour effectuer le trajet », relève David Hahn.

Difficile de rester indifférent devant le récit du calvaire vécu par certains parents ou patients qui partagent leur intimité. Le dispositif peut paraître outrageusement tire-lames, voire indécent : « Quel titre paraît meilleur ? « J'ai besoin d'argent ! » ou « La lutte de Julie contre le cancer ».... le second, n'est-ce-pas ? », observe dans sa rubrique conseil GoFundMe qui joue à fond la carte de l'efficacité et recommande aux organisateurs de partager leur campagne sur Facebook car cela « augmente vos dons de 350%. »

GoFundMe conseils

« Pour que ça décolle, il faut avoir le soutien de sa famille, de ses amis, de sa communauté », fait valoir David Hahn.

Le site prévient que « les utilisateurs de GoFundMe ne doivent pas s'attendre à recevoir un soutien de la part d'inconnus » et ajoute : « Votre campagne pourra intéresser d'autres gens seulement après avoir reçu le soutien des personnes que vous connaissez personnellement ». Certaines campagnes sont d'ailleurs à zéro. Et seuls les dons aux associations caritatives ou à but non lucratif reconnues comme telles peuvent bénéficier de déduction fiscale : c'est la raison pour laquelle Jérôme Jarre s'est associé à la fondation de l'acteur Ben Stiller.

Financer son mariage, ses vacances à Disney

Les deux autres types de campagne les plus courants sont celles de communautés locales (une tribu sioux a levé plus de 3 millions de dollars pour son camp de protestation contre la construction de l'oléoduc Dakota Access) et tout ce qui a trait à l'éducation (financement des droits d'inscription à l'université, études à l'étranger, etc.). Il y a aussi une rubrique dédiée aux animaux (souvent pour payer des soins).

Il y a aussi des campagnes pour financer son mariage, son disque, son tour de France à vélo. En Angleterre, le cas d'une mère de famille qui demandait de l'aide pour emmener ses deux filles en vacances à Disney World a provoqué une polémique, certains internautes la traitant de parasite : la jeune femme a dû fermer sa campagne, puis en a lancé une autre et a finalement levé plus de 7.000 livres (plus de 8.000 euros) auprès de donateurs touchés par son histoire.

Le site se targue d'ailleurs de financer « n'importe qui pour n'importe quoi. » Vraiment tout ? « Presque. Comme toujours, le bon sens prévaut. Collectez des fonds pour financer des causes utiles, intéressantes et inspirantes », répond le site dans sa "foire aux questions". Des notions somme toute très relatives. Il n'y a pas de validation des campagnes.

« Par principe, nous voulons être une plateforme neutre », insiste David Hahn. « Ceci dit, dans nos conditions d'utilisation, bien sûr, nous précisons aux organisateurs de campagne qu'ils ne doivent rien faire d'illégal selon la législation de chaque pays, par exemple ne pas faire la promotion de la violence, du terrorisme, etc. »

A la façon des Google et Facebook qui se défendent d'être des éditeurs de contenu, GoFundMe se présente comme « une plateforme. Nous ne sommes ni courtiers, ni un établissement financier, ni créanciers, ni un organisme caritatif. »

D'ailleurs, comment savoir si l'argent donné est bien employé à financer la cause présentée par l'organisateur de la campagne et se prémunir contre les arnaques et le détournement ? La responsabilité incombe à l'organisateur, mais :

« Nous avons une équipe qui surveille 24h/24 et s'assure que l'histoire ne présente pas de faille. Nous alertons la communauté dans ce cas. C'est très rare, le taux d'abus est extrêmement bas », assure le directeur produit, qui a occupé ce poste pendant dix ans chez LinkedIn.

GoFundMe vient même de lancer une garantie : les dons sont remboursés à hauteur de 1.000 euros par campagne et pour les bénéficiaires d'une campagne organisée en leur nom par d'autres, les fonds non remis seront remboursés dans une limite de 25.000 euros.

« C'est unique, cela n'existe nulle part ailleurs. La confiance est déterminante. Notre obsession est d'être l'endroit le plus sûr où effectuer des dons », martèle David Hahn.

Solidaire mais à but lucratif !

Or, il y a de la concurrence, notamment PayPal qui propose son bouton "donner" à intégrer à n'importe quel site, sans oublier toutes les cagnottes en ligne, comme Leetchi et Lepotcommun en France. Et bien sûr les sites de crowfunding généralistes, à l'image d'Ulule, mais ces derniers fonctionnent selon la règle du "tout ou rien" (si l'objectif de la levée n'est pas atteint, tout est perdu), alors que tout euro donné est acquis sur la plateforme américaine. Si « l'objectif de GoFundMe est de donner aux gens les moyens de s'entraider », il s'agit bien d'une entreprise à but lucratif, et elle n'a pas le statut de "public benefit corporation" (d'intérêt public) contrairement à Kickstarter (Ulule est également certifié BCorp).

« Notre business model est transparent : nous prélevons une commission de 5% sur les dons et il y a des frais de traitement de 3% de notre partenaire de paiement [la Fintech néerlandaise Adyen, Ndlr] sur chaque don », détaille David Hahn. « Nous sommes rentables depuis longtemps. »

L'entreprise, qui emploie 275 personnes, travaille avec des associations et organisations non gouvernementales et compte à l'avenir accentuer sa collaboration avec celles-ci.

« Nous voulons leur donner les outils pour faire du social et du mobile. Les ONG ont une décennie de retard ! Ce n'est pas moi qui le dis, elles le reconnaissent. Certaines commencent tout juste l'e-mail et en sont encore à envoyer des courriers par la poste ! Les associations caritatives ont peu de présence sur les médias sociaux et elles ratent complètement cette opportunité. Nous voulons aider à régler ce problème », explique le directeur produit.

En janvier dernier, GoFundMe a racheté la plateforme Crowdrise, qui travaille avec de grandes associations caritatives (Croix Rouge, Unicef, etc.) et des fondations philanthropiques, le leader sur ce créneau. L'entreprise californienne a aussi mis en place un programme interne, Gives Back, à travers lequel ses employés défendent une cause chaque mois et donnent 1.000 dollars au nom de GoFundMe :

« C'est un avantage concurrentiel pour recruter des talents de haut niveau, qui étaient chez LinkedIn, Google, Facebook ou Uber : notre culture et notre mission nous différencient vraiment pour ceux qui veulent avoir un impact positif sur la société. »

Delphine Cuny

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