HSBC investit dans les startups de la Fintech mais ne veut pas devenir une plateforme

Pour Christophe Chazot, le directeur de l'innovation du groupe HSBC, il faut se méfier du concept à la mode d'une banque devenant un simple intermédiaire vendant des produits financiers et se souvenir des excès de la crise de 2008. En revanche, il pousse la collaboration avec les startups et les investissements dans la Fintech pour accélérer l'innovation dans la banque.
« La banque c’est 4.000 ans d’histoire ! On ne peut pas la remplacer par du financement participatif entre particuliers, qui ne consiste qu'à recycler de l'argent » fait valoir le patron de l’innovation dans le monde du géant bancaire HSBC, Christophe Chazot.

LA TRIBUNE - Quelles sont les relations de HSBC avec les Fintech ?

CHRISTOPHE CHAZOT - Nous avons créé en juin 2014 une structure d'investissement, qui fonctionne très bien. Ce fonds de corporate venture est doté de 200 millions de dollars. L'objectif de cette structure n'est pas tant de gagner de l'argent que de créer un lien stratégique avec ces sociétés et de mieux comprendre leurs domaines d'expertise.

En deux ans et demi, nous avons investi dans 8 entreprises. Ce sont des Fintech, dans le sens de sociétés technologiques qui opèrent dans le secteur des services financiers : elles ne font pas de la banque, elles ne font pas nos métiers, mais évoluent dans des domaines connexes et facilitent nos activités. Nous avons investi notamment dans Tradeshift [aux côtés de PayPal et American Express Ventures entre autres, NDLR], dans la société galloise Vizolution, dans la messagerie électronique sécurisée pour les banques Symphony [aux côtés de Google, Natixis, Société Générale et UBS, NDLR], dans CustomerMatrix, [société d'informatique cognitive fondée par deux Français, NDLR], et dans la Fintech française Kyriba [aux côtés de Bpifrance NDLR], spécialisée dans les solutions de gestion de trésorerie dans le cloud, qui compte parmi ses clients de grandes entreprises mondiales. Nous avons développé toute une série de partenariats ensemble. Le fait d'avoir investi crée une relation différente.

Sur cette enveloppe de 200 millions, combien ont déjà été dépensés ?

La valeur aujourd'hui des investissements de notre fonds de corporate venture est de l'ordre de 45 à 50 millions de dollars. Nous sommes déjà sortis de l'un d'eux : il s'agit de la société américaine d'outils bigdata Platfora, parce qu'elle a été rachetée [cet été par Workday, NDLR]. Nous avons deux autres dossiers dans les tuyaux qui passeront très bientôt en comité d'investissement.

En quoi est-ce nécessaire d'investir en capital dans ces startups ?

Ce n'est pas nécessaire d'investir mais cela permet de pousser de façon plus urgente, en interne et chez eux, certains projets : par exemple, nous leur facilitons l'accès aux marchés d'Asie. Nous avons des projets de solutions en marque blanche ou d'intégration de certaines fonctionnalités. Cela permet de nouer des liens étroits. Nous comprenons mieux ce qu'ils veulent, nous participons à leur conseil d'administration. Ce n'est pas tout à fait comme un mariage mais c'est un engagement réciproque.

Nous sommes très contents de ce modèle. Prenons l'exemple de Tradeshift [société fondée par des Danois mais dont le siège est désormais en Californie, NDLR]. C'est une plateforme qui permet de valider en ligne une facture électronique entre un acheteur et un vendeur, qui peuvent interagir par un système de tchat. Une fois validée, cette facture peut être financée : c'est là que nous intervenons. C'est intéressant pour nous d'investir dans cette plateforme, car nous avons, en tant que banque, un rôle à jouer à l'intérieur de ce cycle d'achats et de ventes, de commerce international qui progressivement se numérise. Ce système permet de limiter la fraude, qui constitue le gros problème de l'affacturage. Nous pouvons ainsi financer la facture sans risque, cette efficacité réduit à terme le coût de transaction et celui du crédit. Or c'est un enjeu majeur à l'échelle du commerce international, dont nous sommes un acteur important.

HSBC investit dans des Fintech au profil BtoB. De nombreuses startups évoluent d'un modèle grand public vers le marché entreprises. Est-ce une tendance de fond selon vous ?

On observe clairement cette tendance, tout du moins dans les pays développés. En Europe, la part des modèles Business-to-Business a beaucoup augmenté dans les financements, sauf dans le paiement, où les fonds de capital-risque continuent d'investir massivement, parce qu'ils sont convaincus que l'on peut les déployer à l'échelle mondiale.

C'est difficile de percer dans le marché grand public, « Business-to-Consumer », dans les pays développés parce que les acteurs existants restent puissants et demeurent au centre du jeu, que ce soit les banques ou les acteurs des cartes. Les « néobanques » proposent une Mastercard ou une Visa dans leur offre qui leur permet à travers la commission interchange de bénéficier de sources supplémentaires de revenus.

Ce n'est pas facile de monétiser un modèle où l'on ne peut pas tirer de revenus de la marge d'intérêt, dans un contexte de taux très bas. Or dans la banque, plus de 50% des revenus sont générés par le crédit. La plupart de ces Fintech se sont réorientées vers le BtoB parce qu'il y a moins d'argent disponible et que l'acquisition de clients est très lente.

A contrario, en Asie, 90% de l'argent investi dans les Fintech se concentre sur les modèles d'affaires grand public, parce que ces derniers combinent en général de la finance avec de l'e-commerce, ce qui les rend plus complets et très puissants.

HSBC est historiquement bien implanté en Asie, pourquoi ne pas avoir investi dans les Fintech chinoises, en plein boom ?

Nous avons failli investir dans une Fintech chinoise il y a un an. Finalement, nous ne l'avons pas fait : la réglementation chinoise pour les sociétés connectées à Internet interdit de vendre des parts à un acteur étranger, il aurait fallu faire un montage trop compliqué. La Chine est un marché d'insiders, il faut très bien le connaître. Nous l'attaquerons probablement par le biais de fonds chinois dans lesquels nous investirons. C'est un marché très développé : il y a par exemple plus de 150 fonds de venture capital à Shanghai.

L'autre marché très intéressant est l'Inde, qui est un peu en retard par rapport à la Chine, mais où les taux d'intérêt ne sont pas nuls, donc le métier bancaire traditionnel y fonctionne encore. Le paiement électronique a connu un coup d'accélérateur avec l'initiative gouvernementale Aadhaar qui a créé un numéro d'identification numérique unique à chaque résident indien.

Que vous apporte la collaboration avec les Fintech ?

Il y a une convergence d'intérêts. Les Fintech veulent pivoter. Les banques ont appris à travailler avec des startups et s'organisent en « composants » de cet écosystème, même si je n'aime pas trop ce terme. Dans les « RegTech », les technologies facilitant le respect des obligations réglementaires, les startups nous aident à faire mieux et plus vite. Or les banques ont beaucoup à faire avec la charge réglementaire : utiliser les Fintech pour accélérer notre innovation est un bon moyen, ce serait dommage de ne pas le faire. On aide aussi ces sociétés, en les présentant à des clients, en les accompagnant dans certains pays où HSBC est présent, en leur apportant des revenus.

Nous avons par exemple choisi de travailler avec le français Linxo pour notre nouvelle application, gratuite, HSBC Personal Economy, qui sert à gérer son budget et son épargne : ça ne sert à rien de développer soi-même des outils qui existent. Linxo a adapté sa plateforme d'agrégation de comptes à nos besoins et nous avons créé des interfaces pour que cela se connecte de façon simple et sécurisée bien sûr. Nous pouvons désormais agréger les comptes de nos clients avec ceux des autres banques, au sein de notre appli.

Pourquoi avoir lancé un agrégateur et seulement en France ?

Tous les clients n'ont pas plusieurs banques, mais pour ceux dont c'est le cas, les agrégateurs de comptes sont très utiles. Notre agrégateur est un vrai succès, en termes de notes dans l'App store et de nombre de téléchargements. L'intérêt pour nous est que le client continue d'utiliser un outil HSBC. Notre rôle est de lui donner des outils modernes, de l'aider à gérer ses finances avec un service de meilleure qualité.

Nous l'avons lancé dans le contexte de la prochaine application de la directive européenne sur les services de paiement DSP2 [qui sera transposée en janvier 2018 et obligera les banques à transmettre les informations sur les comptes de leurs clients aux agrégateurs ayant obtenu le statut de prestataire de services d'accès aux comptes, NDLR]. Or en Europe, le Royaume-Uni mis à part, notre présence dans la banque de détail se situe essentiellement en France.

En se connectant avec les startups, les banques vont-elles devenir des « plateformes » d'agrégation ?

La régulation nous pousse vers l'ouverture, à l'image de la DSP2. Et nous allons de toute façon vers un monde plus transparent. Mais est-ce qu'il y a un avenir pour la banque en tant qu'agrégateur de produits ? Nous avons beaucoup réfléchi depuis deux ans à cette question de la « plateformisation », nous en avons discuté avec des universitaires. Cette notion oublie un des aspects fondamentaux du rôle d'une banque dans l'économie : elle prend des risques pour transformer de l'argent court terme en argent long terme. Or on a vu, dans la crise financière de 2008, ce que cela donne quand une banque n'assume plus les risques, compartimente chaque ligne et titrise les créances pour les revendre à des hedge funds. Cela a été un désastre ! Quand une banque n'est qu'un simple intermédiaire, cela crée une gigantesque bombe nucléaire.

Dans la gestion de patrimoine, la banque est déjà en architecture ouverte, puisque nos banquiers privés vendent des fonds Fidelity, BlackRock, etc. Dans la banque de détail, c'est différent : tous les produits sont liés, par cette prise de risque de la banque qui est créatrice de liquidités.

Une plateforme organise la rencontre d'un intérêt et d'un autre. Une banque joue ce rôle mais en plus elle prend un risque, y compris dans les fusions et acquisitions (M&A) avec celui des due diligences.

Notre analyse aujourd'hui est que nous ne voyons pas comment une banque peut remplir son rôle de financement de l'économie, tel que les gouvernements le souhaitent, en étant simplement une plateforme.

Les consultants poussent ce concept de plateforme, de « bank as a platform ». Essayer de mettre la banque dans un schéma pour lequel elle n'a pas été construite est une erreur. La banque n'est pas un effet de mode !

On voit plein de jeunes dire que la banque c'est très simple, puis qui réalisent que le business modèle est assez compliqué. La banque c'est 4.000 ans d'histoire ! On ne peut pas la remplacer par du financement participatif entre particuliers, qui ne consiste qu'à recycler de l'argent. En Chine, 100 plateformes de crowdfunding font faillite chaque mois. Il faut décanter tout cela. Le numérique doit rendre le client plus autonome et offrir des services plus pratiques et plus sûrs : sinon, le monde n'en sera pas meilleur.

Propos recueillis par Delphine Cuny

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Commentaires 2
à écrit le 09/02/2017 à 22:06
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A moins de racheter gogole, ça va pas être gagné...

à écrit le 09/02/2017 à 16:39
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très bon article

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