Bâle III : les régulateurs commencent à faire des concessions

Bâle III s'adapte : les banques seront autorisées à passer en dessous des exigences minimales de liquidités Les régulateurs veulent à tout prix tenir leur agenda. Mais des concessions s'imposent au fil des complaintes du secteur financier. Une enquête de notre partenaire suisse Le Temps.
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Ça y est. Du bout des lèvres, le Comité de Bâle vient de céder. Il y a dix jours, le groupe de régulateurs internationaux a annoncé qu'en certaines circonstances, les banques seront autorisées à passer en dessous des exigences minimales de liquidités prévues par Bâle III. Ce, pour éviter des difficultés accrues dans la gestion de leur trésorerie.

Depuis 2007 - le début des travaux de Bâle III hérités des réglementations bancaires internationales établies depuis les années 80 dans la cité rhénane et visant à éviter qu'une faillite bancaire n'ébranle le système financier -, les établissements concernés ont estimé que cette règle (lire ci-dessous) les forcerait à accumuler des liquidités et/ou des titres liquides sans pouvoir réellement les utiliser.

Dans un contexte financier à nouveau difficile, "où les banques européennes ont plus souffert que leurs concurrentes", selon l'analyste crédit de Standard & Poor's Thierry Grunspan, le régulateur aura fini par répondre aux craintes généralisées sur les niveaux de liquidités. "On nous a demandé d'expliciter clairement que les actifs liquides accumulés en temps normal peuvent être utilisés en période de stress", expose le Comité dans son communiqué.

Cette concession paraît logique, estime l'analyste de S&P : "elle est dans l'esprit des textes". Jesper Berg, spécialiste de la stabilité financière au sein de Nykredit, la plus grande banque danoise de crédit, a déclaré à Bloomberg : "un coussin que l'on ne pourrait pas utiliser n'est pas un coussin."

Des examens "très intrusifs"

Toutefois, le Comité de Bâle n'a pas seulement mis de l'eau dans son vin. Il a aussi tenu à remettre la pression, car "il veut à tout prix tenir son agenda, en dépit des évolutions du marché, assure Monika Mars, spécialiste bancaire chez PricewaterhouseCoopers (PwC). C'est d'ailleurs pour cette raison qu'est prévue une si longue période de transition", prévue jusqu'en 2019.

Les régulateurs ont précisé comment et quand seront mises en place les normes de Bâle III. Les premiers «examens de surveillance» débuteront au premier trimestre 2012 et concerneront l'Union européenne, le Japon et les Etats-Unis. Présentés par le Comité lui-même comme "les plus intrusifs de l'Histoire", ils consistent en une analyse détaillée de la façon dont les banques évaluent leurs actifs dits "pondérés au risque", ceux qui servent à mesurer l'exposition d'une banque dans le marché. Car les méthodes de calculs divergent trop d'un pays à l'autre et d'un établissement à l'autre, avait noté le régulateur l'automne dernier. "Les différences nationales peuvent induire d'importantes distorsions de concurrence", ajoute Thierry Grunspan. Surtout, "à l'heure actuelle, il est très difficile, sur la base de seules données publiques, de déterminer quelles banques sont plus liquides que d'autres", poursuit l'analyste de S&P.

Là aussi, le Comité de Bâle semble avoir écouté les remarques de certains grands financiers. La semaine dernière, Vikram Pandit, directeur général de Citigroup, a déclaré qu'il voulait que les banques soient forcées de publier leur méthode de calculs. "Pour pouvoir comparer des pommes avec des pommes", a-t-il illustré dans le Financial Times. Le dirigeant se fait ainsi le porte-parole de ceux qui craignent qu'au lieu de chercher à rassembler de nouveaux capitaux, des banques veuillent artificiellement gonfler leurs ratios financiers.

"L'idée de Bâle III n'est pas d'uniformiser tous les modèles, mais de définir des règles standards sur lesquelles les modèles seront fondés", précise Monika Mars.

Le patron de JP Morgan a, lui, carrément appelé à une révision complète. En l'état, la manière d'appliquer les nouvelles règles se ferait au détriment des banques américaines, selon Jamie Dimon. N'ayant pas adopté Bâle II, qui a introduit la possibilité de pondérer les risques selon un modèle développé à l'interne de la banque, elles travaillent avec des pondérations fixes.

Les régulateurs nationaux en ordre dispersés

Depuis plusieurs mois, les régulateurs sont aussi confrontés à un autre problème prévisible. Dans chaque pays abritant les fameux établissements systémiques (les SIFI, pour "systemically important financial institutions"), ceux dont la chute provoquerait une crise bancaire de grande envergure, la volonté de réglementer prend une voie différente.

Des initiatives nationales ont été prises. En Suisse (lire ci-contre) notamment, mais aussi au Royaume-Uni, où les réformes se concentrent sur les systèmes de rémunérations des dirigeants bancaires, ainsi que sur la séparation partielle des banques d'affaires et de détail, ou encore aux Etats-Unis, où le trading pour compte propre devrait disparaître. "Ces initiatives interagissent avec les règles de Bâle, estime Monika Mars. Et elles sont parfois incompatibles." La loi américaine Dodd-Frank, par exemple, interdit l'utilisation des notes des agences de notation. Alors que Bâle III y fait clairement référence. L'hétérogénéité de ces réformes nationales est un vrai problème, concède la spécialiste de PwC, car elle risque de déboucher sur une fragmentation du marché bancaire.

Que Bâle III aboutisse à temps et dans sa forme initiale importe finalement assez peu, selon Moody's, pour qui les nouvelles exigences ne seront pas suffisantes. "Rien de tel qu'une résolution de la crise de la dette dans l'Union européenne", écrivait l'agence de notation la semaine dernière.

"Une banque bien gérée n'a pas besoin de capital. Aucune quantité de capital ne va sauver une banque mal gérée". L'économiste Walter Bagehot l'affirmait en 1877.

A retrouver sur le site du Temps en cliquant ici (Le Temps © 2012 Le Temps SA)

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